Trop chaud, trop froid : changeons notre rapport aux températures

Il y a encore une quinzaine d’années, je ne me sentais bien qu’entre 19° et 23°. En dessous de 19°, j’avais froid et je montais le thermostat de ma chaudière. Au-dessus de 23°, j’avais chaud, et je déclenchais mon ventilateur, en envisageant sérieusement d’investir un jour dans un système plus moderne de climatisation. À 21°, ma vie était parfaite.

Petit à petit, j’ai élargi la fourchette, année après année, degré après degré, par souci d’économie financière autant que par préoccupation écologique. Je le sais maintenant : je peux vivre dans un intérieur chauffé à 18°, voir 17° avec un bon pull en véritable laine (bio, bien sûr). Je me plais même, grâce au renfort d’une couette supplémentaire, à laisser la température descendre encore plus bas pendant que je dors. Une fraicheur nocturne qui, selon l’avis de la majorité des spécialistes, est très bénéfique pour le sommeil, et pour la santé. Quant à la chaleur, je m’efforce de vivre avec, en me protégeant du soleil, en buvant beaucoup d’eau et en évitant les efforts trop intenses durant les périodes de cagnard. Bref, en respectant quelques consignes élémentaires connues de tous, mais sans allumer un quelconque appareil électronique pour me soulager.

Ces quelques degrés en plus ou en moins n’ont l’air de rien, mais ils sont pourtant significatifs. À tout point de vue. Chaque degré gagné, dans un sens comme dans l’autre, diminue ma consommation d’environ 10%, la facture et la production d’énergie. Des économies significatives qui peuvent être consacrées plus généreusement et à moindre coup à ceux qui ont réellement besoin de tempérer leur cadre de vie : les personnes fragiles, malades, âgées. Sans oublier ceux qui travaillent dans des conditions extrêmes, en intérieur comme en extérieur. Mais nous, les valides, les actifs, les jeunes et les pas encore vieux, pouvons agir.

Car là encore, nous avons collectivement besoin d’une révolution culturelle majeure.

Une amie proche, manager de son propre gîte, me racontait récemment qu’en hiver, le premier réflexe d’une immense majorité de ses hôtes était de monter le thermostat à 24° dès leur arrivée, même quand cela ne s’imposait pas. Pas 20°, ou 21°, mais 24°… Confort rime trop souvent avec chaleur. Et si l’on peut entendre que les responsables des casinos de Las Vegas (45° en moyenne l’été) aiment à faire plaisir à leurs clients en climatisant leurs salles de jeu pour les inciter à jouer, baisser la température jusqu’à 15° est excessif. Surtout en plein désert.

Au-delà de ces considérations écologiques et financières, une répercussion inattendue s’est imposée : j’aime bien avoir chaud, et avoir froid. Les températures intermédiaires ne me procurent en fait aucun émotion. Cette démarche se révèle donc avoir eu une autre vertu : elle m’a permis de me reconnecter avec des sensations primaires oubliées. Ressentir le froid, le chaud, agit comme une forme active de reconnexion avec mon environnement, et nourrit mon impression de me sentir en vie. Des sensations qui, tant qu’elles restent dans des proportions raisonnables, bien sûr, ne me sont accessibles que si j’arrête de les combattre, que je les accepte, et que je m’y adapte. Tant qu’ils ne sont pas extrêmes, le froid et le chaud restent des fabrications de l’esprit, des constructions mentales et culturelles qui peuvent être bousculées, modifiées, révolutionnées. Sans véritable risque, comme en témoignent les Tuaregs qui vivent depuis des millénaires dans le désert du Tassili, ou encore leurs cousins (très) éloignés, les Lapons, qui survivent au nord du cercle polaire depuis des générations. En espérant, bien sûr, que nous n’en arriverons jamais à de tels extrêmes. Car rénover une toiture de maison dans le vent glacial par -15° (ce qui arrivera de plus en plus rarement avec le réchauffement climatique) ou cueillir du raisin dans un champ par plus de 40° (ce qui arrivera de plus en plus souvent) reste des missions hautement pénibles. Mais quelques degrés, lorsque l’on est en pleine forme et dans la force de l’âge, c’est tout à fait envisageable. En gardant en tête que, si nous parvenions à mieux accepter la température ambiante naturelle de notre environnement, c’est l’un de nos 58 réacteurs nucléaires en fonctionnement qui pourrait fermer. Ou être consacré à d’autre desseins, ce qui éviterait que le 59e sorte de terre. Si nous nous y mettions, tous ensemble, cette révolution aurait un véritable impact à l’échelle de la planète. Le réchauffement climatique s’accélérant, nous allons de toute façon être contraints, tôt ou tard, de devoir nous adapter à un environnement moins clément, à des climats plus extrêmes.

Autant commencer dès maintenant à s’y préparer.

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Il a récemment publié Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, aux éditions La Trace.

 

Visuel : Rose Erkul / Unsplash

 

 

Le magazine du capital au service de l’humain

À l’heure des “bullshits jobs” et de la finance folle, Capital Social souhaite réaffirmer la valeur de l’être humain et du travail qui a un sens. Dépassant la lutte entre anti-capitalistes et exploiteurs, Joseph Thouvenel, syndicaliste chrétien, a créé ce magazine avec les éditions Bayard. Le capital n’y est plus considéré ni comme un maître ni comme un moyen de faire des profits au détriment des autres mais comme « une ressource à mettre au service du développement humain intégral » selon les mots du directeur de rédaction.

Capital Social se veut être le journal de ceux qui souhaitent donner au travail et à l’usage des capitaux un sens responsable. Le lundi de Pentecôte est resté férié grâce aux fondateurs de ce trimestriel dont le premier numéro nous offre un dossier en défense du repos dominical.

Capital Social décrypte les enjeux sociaux actuels au travers d’enquêtes économiques, juridiques, historiques ou même écologiques. On y découvre également des fenêtres sur le monde du travail et de la culture, et même des publicités parodiques en lien avec le thème du numéro.

Au delà des utopies naïves, des promesses de richesse sans travail, de production illimitée sur une Terre qui ne l’est pas, Capital Social se positionne comme un magazine qui souhaite nous aider à retrouver la voie d’une humanité responsable. Nous saluons une telle démarche.

Pour en savoir plus : https://www.capital-social.info/

Texte : Thomas Jaeck

Photographie : Timon Studler / Unsplash

 

Avignon : un paradis musical

Là, en 980 des bénédictins ont construit un lieu pour être plus proches de Dieu, et l’association Violoncell’Emois nous propose d’y embarquer pour une série de voyages spirituels au croisement de la poésie, de la littérature contemporaine et de la musique classique.

Des levers de soleil aux soirées intimistes, les mots et les silences feront écho aux notes dans un espace consacré à la célébration de la beauté. Dans ce lieu où la divinité des muses est palpable, résonnera notamment l’intégrale des Suites de Bach interprétées par Henri Demarquette, ou les voix de grands écrivains (Lydie Salvayre, lauréate du prix Goncourt sera là entre autres…) mêlées au son des harpes ou des violoncelles. Face aux Alpilles et au Mont Ventoux, ce petit festival nous emmène de la musique baroque au romantisme en passant par celle d’Astor Piazolla.

Dans un cadre idyllique, il propose des rencontres musicales aussi inattendues et peu convenues que brillantes ; il n’en faut pas plus pour que la magie opère. Ne ratez pas les jardins matutinaux du festival qui sauront faire de l’aurore un véritable enchantement ; et il parait que la musique prend d’autres couleurs quand vient le soir… En tout cas, à l’aube ou au crépuscule, la musique invite à aimer, et surtout à aimer la Provence en été !

Pour plus d’infos : www.helloasso.com/associations/violoncell-emois/evenements/jardins-secrets-poetiques-et-musicaux-2022

Texte : Thomas Jaeck

Mes très chers déchets

Petit à petit, comme tout le monde, je me suis mis à recycler. D’abord en trainant les pieds face à la difficulté de l’exercice : les emballages dans la poubelle jaune, le verre dans la poubelle bleue, le reste dans la poubelle verte, tout cela demandait un réel effort d’attention. Le temps passant, j’ai pris l’habitude de trier, sans trop m’interroger sur ce qui me motivait concrètement à charrier mes déchets jusqu’aux poubelles adéquates cachées entre le château d’eau et le cimetière en périphérie de mon village. Le jour où j’ai commencé à réfléchir plus sérieusement aux tenants et aux aboutissants de cette corvée hebdomadaire, je me suis mis à apprécier cette nouvelle contrainte.

Petit retour en arrière.

Jusqu’au milieu des années 90, nous fumions tous partout, tout le temps. Dans les voitures, même quand il y avait de jeunes enfants à bord, dans des zones situées à l’arrière des avions séparés de l’espace non-fumeurs par un simple rideau insignifiant. Dans les bars, les restaurants, les salles de réunion et les bureaux, nous fumions sans jamais nous préoccuper le moins du monde de ceux que cela pouvait légitimement importuner. En matière de tabagie, le monde a radicalement changé. De nos jours, à de rares exceptions près, le plus addict des amateurs de nicotine déguste sa cigarette à l’extérieur de sa maison, de son entreprise, devant les halles de départ des aéroports ou encore sur les quais d’arrivée des gares, sans ne plus jamais se plaindre.

Collectivement, nous avons évolué.

Cette révolution culturelle s’applique lentement à la gestion du contenu de nos poubelles, chacun à son rythme. Je me souviens du premier palier : je recyclais uniquement pour que mes déchets quotidiens ne terminent plus dans des décharges sauvages à ciel ouvert, et qu’ils partent en fumée dans l’atmosphère. Puis est venu le second palier : comme beaucoup d’entre nous, j’adhérais à l’idée que ces matières indésirables puissent être réutilisées, d’une manière ou d’une autre, dans nos vies. Plus récemment, un troisième palier a décuplé mon engagement à respecter rigoureusement le tri dit sélectif.

Jusque-là, je ne m’intéressais qu’à ce qui se passait en aval (comment nos déchets sont recyclés) mais pas à ce qui se jouait en amont. Un exemple. Pour fabriquer un banal blister en plastique, des plates-formes terrestres ou maritimes forent la Terre toujours plus profondément, souvent au grand dam de la préservation de l’environnement. L’or noir récupéré de plus en plus péniblement est alors stocké, traité, envoyé dans des pétroliers, des pipelines sans fin, des camions-citernes, aux quatre coins du monde pour y être retraité, raffiné, puis renvoyé sous d’autres formes plus adaptées dans des usines pour envelopper, emballer, protéger à peu près tout ce que nous achetons, du plus petit au plus gros des objets. Un long périple qui se révèle à peine moins contraignant en matière d’empreinte écologique pour le verre ou le carton.

Que des emballages aussi couteux en énergie, manufacturée souvent avec soin, générosité, ne servent qu’à emballer, quel gâchis ! Quelle hérésie ! Alors, le moins que je puisse faire, c’est de rentabiliser au mieux ces dépenses d’énergie en réutilisant ces matières plus ou moins transformées autant que possible, encore et encore. Tant que cela peut servir, en fait. Un processus lui aussi consommateur d’énergie, certes, mais dans des proportions considérablement moindres que de repartir toujours de zéro. Et pour diminuer les contraintes que représente le tri des déchets dans nos maisons et réduire la fréquence des allers-retours jusqu’aux poubelles différenciées, une solution existe : s’efforcer de consommer moins d’emballage. Et moins de tout le reste, d’ailleurs. Et garder bien en tête qu’en réponse à ce cycle infernal et ô combien désastreux à l’échelle de la planète, je dois préférer le papier au plastique, dont chaque microparticule finira tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, dans les océans, où elle mettra des siècles à se désagréger totalement, et que le verre se recycle presque à l’infini ! Entre autres.

En résumé : d’écouter, le plus souvent possible mon bon sens, que diable !

Symbole éloquent de cette mutation profonde, ne pas déposer mes emballages dans la bonne poubelle est aujourd’hui pour moi un geste criminel (le mot est fort, mais je l’assume) du même ordre que de balancer une canette vide par la fenêtre de ma voiture sur l’autoroute, ou encore de fumer une cigarette au lit auprès de ma compagne qui, elle, a eu la force de renoncer à ce vice.

Autant d’impossibilités devenues viscérales, et définitives.

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Il a récemment publié Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, aux éditions La Trace.

 

Photo © Laura Pocho / Unsplash

Ma voiture et moi : du désir de prestige au bon sens

Une nuit, sur une route, au milieu d’une ligne droite en bordure de forêt, ma bonne vieille Citroën C4 rouge croise la trajectoire d’un sanglier adulte qui rentre tranquillement chez lui. Le choc est violent. Les airbags se déclenchent et un grand flash blanc me fait perdre connaissance pendant quelques secondes. Que ceux qui s’inquiètent soient rassurés : quand je reprends mes esprits,  j’aperçois, dans la lumière du seul phare qui a miraculeusement survécu à la collision, l’animal gambader dans les champs. Sanglier 1, voiture 0. Une victoire nette, sans aucune contestation possible. La C3 est morte, définitivement hors service. Dès lors, je dois la remplacer. J’aimerais vivre sans, utiliser les transports en commun, acheter un vélo, de préférence électrique, ou encore tout faire à pied, mais pour moi comme pour beaucoup d’entre nous, l’automobile reste indispensable.

Ma corvée dans les allées d’un concessionnaire de voitures d’occasion prend fin quand mon regard se pose sur un Espace Renault, un véhicule spacieux susceptible de transporter en grand nombre des parpaings pour les travaux de la maison, d’embarquer des tonnes de bagages pour les vacances, et d’accueillir une myriade d’enfants, ceux des autres puisque je n’en ai pas. Le prix, le kilométrage, la couleur (bleu marine), l’aspect général, l’état du moteur, du châssis, le contrôle technique… Tout me parait optimal pour que je m’arrête sur ce choix, lorsqu’un événement imprévu remet tout en question. Derrière cet Espace Renault se cache une Citroën C1 grise, deux portes seulement, un pot de yaourt sur roues qui me fait de l’œil.

Et là, ma vie bascule.

Soudain, des années plus tard, la solution à cet épineux problème de mathématique de niveau CE2 qui hante mes nuits depuis toujours m’apparaît comme une révélation. Monsieur Machin (ou Madame Machine, ça marche aussi) doit acheter une nouvelle voiture. Il hésite en un modèle A qui pèse 1785 kilogrammes et un modèle B qui pèse 840 kilogrammes (source constructeurs). Question numéro 1 : lequel de ces deux véhicules consommera le moins d’essence, et donc polluera le moins? Question numéro 2 : sachant que Monsieur Machin passera en moyenne plus de 80 pour cent de ses trajets seul dans son véhicule, quel choix devrait logiquement lui dicter son bon sens ?

Fort de ces réflexions et de l’éveil tardif de mon intelligence, j’opte pour la C1.

Une décision que je n’ai jamais regrettée.

Certes, sa contenance maximale en parpaings est restreinte, mais une petite boule et une remorque font très bien l’affaire, je vous rassure. Certes, sur l’autoroute, ma voiture tremble de toute part dès que je dépasse trop les 130 kilomètres-heure, mais comme je ne suis pas censé aller au-delà de cette vitesse limite, je m’en fiche. Et rouler moins vite dans une voiture moins lourde se traduit par une facture moins douloureuse à la pompe (et oui !), moins de CO2 dans l’atmosphère, mais aussi, on l’ignore trop, moins de poussière d’usure de frein et de pneu dans l’air, deux fléaux méconnus pour l’environnement. Certes, mon arrivée sur des parkings mondains n’attire pas l’attention, ou seulement pour être victime de railleries plus ou moins drôles. Oh, mon pauvre, tu n’as pas les moyens de t’acheter une vraie voiture? Ton véhicule pour Playmobile, ils font le même pour les humains? Riez, braves gens. Riez. Mais voyons le bon côté des choses : au moins, je suis sûr que ma compagne ne m’a pas choisi pour la taille de ma voiture. Et ne vous en déplaise, chaque fois que je gare mon pot de yaourt entre une Jaguar et une Aston Martin, je me sens bien. Parce qu’au regard de la crise environnementale, je suis dans le vrai, ce qui me procure à chaque nouvelle occasion un bonheur légitime bien supérieur au plaisir que je pourrais avoir à posséder une grosse berline allemande.

Pour finir, un aveu : si j’accédais à la présidence de la République, ce dont je n’ai pas du tout envie, une de mes premières mesures consisterait à imposer à chaque citoyen, selon son activité professionnelle, son lieu de résidence et la taille de sa cellule familiale, un modèle de voiture unique adapté à sa vie. Et pour désacraliser l’objet, j’interdirais toute publicité pour les véhicules. J’autoriserais seulement le choix de la couleur de la carrosserie et de la marque du tapis de sol. Avec un tel programme, je ne serais jamais élu, j’en suis conscient. Je n’aurais sans doute pas même les cinq cents signatures pour me présenter. Mais on a le droit de rêver, non ?

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Il vient de publier Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, aux éditions La Trace.

Photo Taton Moïse/Unsplash

 

Libéré… délivré… Ma vie sans télévision…

Subitement, il y a une dizaine d’années, j’ai décidé de me passer de télévision. J’ai démonté l’antenne, enroulé conscieusement le câble, puis j’ai amené le tout à la déchèterie pour être bien sûr de ne pas changer d’avis. J’ai gardé l’écran, pour continuer à voir des films, des documentaires et des séries. Mais j’ai dit adieu au reste.

Quel soulagement, depuis cette révolution !

Premier effet, attendu celui-là : la diminution, en quelques mois, de la fréquence de ces irréfrénables pulsions d’achat qui ne se calmaient qu’après l’acquisition d’objets divers, dont, la plupart du temps, je n’avais pas besoin. Une répercussion logique : 8 minutes de publicité par heure, règle générale imposée par le CSA en France, façonnaient mon cerveau en permanence et depuis longtemps pour faire de moi un consommateur docile. Un phénomène publiquement reconnu par les professionnels concernés depuis que Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, déclara fièrement au début des années 2000, avec un cynisme assumé, je le cite, « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Et pour ne pas tomber dans le piège de la déformation de l’information, la phrase remise dans son contexte : «Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : le divertir, le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible». Avec mes mots : m’endormir pour mieux m’appâter et m’amener à consommer. Et pour éviter toute ambiguïté, ce qui est vrai pour TF1 l’est pour toutes les chaînes qui diffusent de la publicité.

Bonne nouvelle : le sevrage a fonctionné au-delà de mes espérances. Au bout de deux ans, ces crises récurrentes de consumérisme avaient quasiment disparu. Une victoire contre l’oppresseur qui eut pour effet de soulager mon portefeuille, et de moins acheter. Donc, par effet de boule de neige, de diminuer mon empreinte écologique sur mon environnement, puisque quoique l’on achète, cela coûte, en matière première et en énergie. Et dans le marasme actuel dû à nos perspectives d’avenir moribondes, tout est bon à prendre, pour la planète comme pour mon moral.

Ce qui m’amène à un second effet, que je n’avais pas anticipé : mon taux d’angoisse quotidien a encore diminué. Quand j’ai choisi de renoncer totalement aux sirènes du petit écran, cela faisait déjà plusieurs années que j’évitais les grandes messes quotidiennes des journaux de 20 heures et l’abus de chaînes d’information en continu. La biodiversité se meurt, le climat se dérègle, les crises environnementales se multiplient… J’en suis conscient, je n’ai pas besoin qu’on me le rappelle à longueur de journée. Idem pour les guerres, les famines, la misère dans le monde…

Tout cela devenait trop anxiogène.

Après quelques mois sans antenne, j’ai réalisé qu’en réalité, l’ensemble des programmes nuisait à mon équilibre intérieur. Pas seulement les émissions d’informations, qui se nourrissent du négatif bien plus que du positif, de manière affichée ou plus sournoise, mais aussi toutes les autres formes télévisuelles. Les talk shows supposés de divertissement, les thématiques des fictions, les jeux plus ou moins idiots toujours basés sur l’appât du gain, la victoire sur l’autre, sans  oublier les diffusions de manifestations sportives, toujours plus sponsorisées, qui exacerbent l’esprit de compétition à outrance et l’envie de posséder toujours davantage. Autant de propositions différentes qui, je le constatais, créaient aussi chez moi agitation, frustration et angoisse. Pour lutter contre cette forme moderne d’obscurantisme, je dois avoir le moral, conserver mon énergie, pour la consacrer à améliorer ce qu’il peut encore l’être. En résumé, j’ai besoin d’espoir, certainement pas de déprimer en ressassant en boucle le risque de fin du monde, ni de me morfondre dans mon canapé devant ma télévision.

En passant, ingurgiter trop de vidéos sur internet provoque les mêmes symptômes. La liberté du web des premières années a été depuis longtemps corrompue par la réalité de notre mode de vie consumériste. La publicité est omniprésente, de plus en plus, sur les réseaux sociaux, dans chaque pop-up qui envahit mon écran sur la plupart des sites mercantiles. Sans oublier ma boite mail, à travers l’hameçonnage (phishing, dans la langue de Shakespeare), les tentatives d’arnaque ou encore les relances commerciales incessantes. J’ai beau me défendre, installer des logiciels anti-publicitaires, balancer automatiquement mes spams dans la poubelle des indésirables, les parasites passent quand même.

Depuis que j’ai arrêté la télévision, et que je contrôle (un peu, pas assez) ma consommation d’internet, je dors mieux, je suis moins angoissé et j’ai davantage d’entrain dans tout ce que j’entreprends. C’est déjà énorme.

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Il vient de publier Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, aux éditions La Trace.

Photo Fuu J/Unsplash

Entre corps, cœur et féminin sacré – rencontre avec Jean-Philippe de Tonnac

Il est des réalités évidentes qui demeurent néanmoins cachées. Nos yeux refusent de les voir. C’est le cas par exemple du rôle essentiel que joue le féminin dans nos vies. La transmission de ses mystères, qui n’avaient aucun secret pour les Anciens, s’est un jour étiolée, mais le féminin n’en reste pas moins présent en notre for intérieur. Nous nous sommes tous développés et nous sommes tous nés dans le sang, dans ce rouge profond sur lequel a été jeté l’opprobre, la honte, le secret. La société des Hommes nous a coupé du corps, le considérant comme un concept extérieur à nous. Nous demeurons pourtant ce corps nu et nous baignons toujours dans l’humeur pourpre. Pourquoi un tel embarras règne-t-il autour de ce sujet ? Dans son roman L’Ensaignement, paru l’année dernière aux éditions Guy Trédaniel, l’écrivain et essayiste Jean-Philippe de Tonnac nous invite à tirer sur le fil de cette vérité, ce lien subtil, délicat, valeureux, afin d’appréhender notre humanité sous un nouvel angle de vue. Son récit nous plonge dans l’univers d’un jeune homme croyant vivre une romance alors que se prépare une initiation qui va changer le cours de son existence. C’est l’histoire d’une rencontre et d’une renaissance à plus d’authenticité dans un monde plus grand. Rencontre avec l’auteur qui évoque pour nous les grands thèmes qui traversent son œuvre et nos vies.

Happinez : La société a mis le sang des femmes à l’ombre. Votre ouvrage va à l’encontre de cette réclusion de l’humeur rouge. Selon-vous, quels sont les pouvoirs du sang ?

Jean-Philippe de Tonnac : Nous avons un rapport au corps, à l’incarnation, pétri de pudeur et de honte. Avoir un corps, être un corps, a constitué dans nos sociétés une aventure vécue avec difficulté, avec douleur, souvent comme si nous ne pouvions pas habiter pleinement la maison dans laquelle, par la naissance, nous descendons. La honte et le rejet du sang menstruel, le tabou presque unanime qu’il a suscité traduit cette incertitude que nous éprouvons les uns et les autres, à des degrés divers, sur le statut du corps. Chez Platon, notamment dans le Gorgias, le rapprochement est fait entre sôma, le “corps” et sêma, le “tombeau”, comme si l’âme n’attendait que le moment de la mort pour recouvrer son destin d’immortalité. Le discrédit jeté sur le corps est ancien. Il est probable que la civilisation chrétienne ne nous a pas permis non plus d’accepter pleinement d’être, le temps de notre existence, des corps. Il me semble que la réhabilitation du sang menstruel participe de cette revalorisation du corps, corps de chair, mais corps d’énergie, corps des peurs et des hautes joies, corps orgasmique, corps-miracle.

Que pourrait apporter au monde le respect des cycles lunaires féminins ?

Il y a peut-être dans la haine du sang menstruel quelque chose qui traduit cette volonté collective de nous décrocher de la nature, de la terre, de bâtir une civilisation hors-sol où la mort elle-même sera un jour “guérie”. Dans mon roman L’Ensaignement, le narrateur rejoint une communauté qui vit aux marges du monde, une communauté qui essaie de quitter le temps linéaire, celui du “progrès” et de la “croissance” pour revenir dans le temps de l’Éternel retour, celui des semailles et des moissons, celui de la vie et de la mort, celui du cycle féminin. Cet apprentissage n’est pas aisé pour des êtres à qui on a appris que demain est plus florissant qu’aujourd’hui, qui n’habitant pas leur corps, ou si mal, ne peuvent pas habiter le corps du monde, vibrer avec lui.

Votre roman met en avant la question du lien. Comment expérimenter une réelle amitié ?

Si vous parlez d’une amitié avec une femme, j’aime à penser qu’elle doit tenir compte des “saisons”, de ce qui nous rend à la fois semblable à nous-mêmes et tellement différent d’une rencontre à l’autre. Nous craignons d’être “en dessous” de nous-mêmes, nous préférons souvent annuler un rendez-vous de peur de nous montrer tel que nous sommes, parfois fatigués de l’existence, par elle abîmés, enlaidis peut-être. L’amitié est ce lieu où nous devrions pouvoir déployer l’éventail de notre être au monde, montrer l’automne comme le printemps, être la mort et puis la vie, mourir pour mieux renaître dans les yeux de son amie, elle dans les nôtres.

En quoi accueillir sa colère contribue à faire une expérience de l’amour ?

La colère se dégonfle comme baudruche si elle est accueillie, comme le vent violent du large vient s’éteindre sur le rivage. L’amour, c’est la perception de la Source à travers l’autre, cet amont de toute division. La plus haute expérience.

Croyez-vous au pardon salvateur ?

Le pardon est une déflagration au sein de l’être qui fait voler en éclat toutes nos structures défensives érigées contre le monde et contre les autres ; il s’apparente à une forme de réinitialisation. Je crois donc à la puissance transformatrice et réparatrice du pardon. Dans ma propre vie, j’en ai expérimenté la force, à la fois pour moi qui pardonnais et pour la personne à qui je pardonnais. Ce que je dis du pardon à soi-même est évidemment valable pour le pardon à autrui. Je ne connais pas de démarche plus belle que celle-là et plus libératrice.

Quelle est votre regard sur les cercles de parole ?

J’ai expérimenté dernièrement des cercles d’hommes où les hommes mettent en partage leur difficulté à vivre leur condition masculine. Écouter un homme qui se livre, qui pleure, qui demande parfois pardon est une expérience bouleversante, dans un contexte où les hommes sont accablés de reproches et d’insultes pour leurs manquements, leurs démarches prédatrices, leur surdité au monde. Être un homme dans une société patriarcale en procès n’est pas toujours une aventure épanouissante. Le cercle conjugue la force de la démarche individuelle avec la force de la démarche collective, l’une et l’autre articulée au désir de transformation d’une situation de souffrance et donc de guérison.

Dans nos sociétés modernes, nous négligeons souvent la dimension spirituelle de la vie. Faut-il retrouver la puissance de l’initiation pour se rapprocher de notre essence véritable ?

C’est souvent l’ “insignifiance” de nos démarches, de nos parcours, de nos activités dans une société matérialiste et athée qui est cause des défaillances du cœur des femmes et des hommes. “Insignifiance” au sens de “privé de sens”. Chacun a besoin de donner sens à sa mission de vie sur terre. Personne ne peut habiter durablement une nuit si obscure qu’elle ne permette même pas d’envisager une aurore. L’initiation dans un tel contexte est une porte qui annonce, une fois franchie, la fin de l’errance, d’une errance en rond, comme pris dans un manège et le commencement du chemin.

Pouvez-vous nous offrir une définition de la liberté ?

Est libre celui qui a regardé dans les yeux sa dernière peur. Mais qui est-il celui-là ? Nous ne l’avons sans doute jamais rencontré. Peut-être une fois un sâdhu en Inde, au-dessus de Dharamsala qui m’amena à la rencontre d’un yogi immobile et silencieux. J’en parle dans mon prochain livre. Les peurs sont en même temps ces tâches d’ombre dans le paysage, un repos au sein du royaume de la Lumière. Nous ne sommes pas absolument libres et nous ne le serons sans doute jamais ; sauf à accepter de ne pas l’être et de faire amitié avec ces cordes invisibles attachées à nos pieds.

 

Propos recueillis par Lara Turiaf

 

 

Mieux vivre son écoanxiété : Sauvons les araignées normandes

Après quinze ans de vie parisienne, je me suis installé dans un corps de ferme normand, dans une vieille maison de maître plus ou moins vétuste, un endroit accueillant, mais infesté d’araignées. Autant le clamer haut et fort : aucune d’entre elles ne représentait un danger pour ma survie, puisque la morsure de la pire espèce d’aranéide normande provoquera à peine plus de douleur qu’une bonne piqûre de guêpe. Et que, je l’avoue, la majorité des résidentes de cette baraque était des faucheuses, ces bestioles au corps minuscule et aux longues pattes interminables, des êtres absolument inoffensifs. Pourtant, leur présence me gênait. Et comme j’étais chez moi, je m’octroyais le droit de m’en débarrasser. Les premiers mois, pour ne pas dire les premières années, j’ai orchestré sans états d’âme un véritable génocide pour nettoyer mon précieux intérieur en cours de rénovation de ces parasites indésirables.

Et puis, petit à petit, nos rapports ont évolué.

Plusieurs évènements sont à l’origine de cette révolution dans notre cohabitation. Un film, tout d’abord, Le Monde du Silence, un documentaire des années 50 du célébrissime Commandant Cousteau. Avant le début de la diffusion, l’ancienne personnalité préférée des Français, son légendaire bonnet rouge sur la tête, prit la parole pour se défendre à l’avance de quelques séquences insoutenables à venir, parmi lesquelles un massacre joyeux de requins blancs en haute mer et le prélèvement à la grenade d’espèces endémiques d’une plage exotique du Pacifique. Il justifia ces actes à priori indéfendables en prétendant qu’à l’époque du tournage, en 1955, la préservation de l’environnement n’était pas dans l’air du temps. L’argument diminua à peine ma colère à la vue de ces images stupéfiantes, mais une fois l’émotion retombée, je finis par admettre qu’il avait raison de préciser que, depuis le tournage du film, notre regard sur la Nature avait radicalement changé. Dès lors, je devais m’adapter à ce Nouveau Monde dans lequel, nous en étions dorénavant sûrs, la biodiversité se réduisait.

La lecture d’une biographie, ensuite. Celle de Ian MacMillan, ornithologue et naturaliste américain de la fin du 19e siècle, un auteur passé à la postérité pour une citation qui, depuis que je l’ai découverte, m’habite. Je le cite : « Il faut sauver les condors, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines pour les sauver, car ce sont ces qualités-là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes ». Une déclaration avant-gardiste (aux alentours de 1870, il y a donc plus de cent cinquante ans) qui m’ordonnait de mettre fin à mon anthropocentrisme, cette mauvaise habitude qui m’amenait à considérer l’homme au-dessus de toutes les autres espèces vivantes, et m’autorisait à me comporter à leur égard comme un barbare.

Une constatation, enfin, un témoignage auquel les moins de quarante ans devront croire sur parole. Quand j’étais jeune, et que nous traversions la France dans un 504 Peugeot rempli jusqu’à la gueule de valises et autres matériels de plage, mes parents faisaient régulièrement une halte pour nettoyer le pare prise couvert de centaines de cadavres d’insectes morts. Une contrainte qui n’existe plus. Comme je doutais que les insectes aient appris à éviter nos voitures lancées à pleine vitesse sur les autoroutes, j’en conclus que leur population avait sans doute diminué de manière drastique. À l’instar des hordes de papillons multicolores qui peuplaient nos campagnes, des colonies d’abeilles sauvages qui butinaient nos fleurs et de tant d’autres espèces.

Cette prise de conscience m’amena à reconsidérer mon rapport au monde du vivant, à me reconnecter avec l’ecosystème dont je fais partie, un sentiment à la fois salvateur pour mon environnement direct et réconfortant en terme de karma. Depuis, bien sûr, je ne tue plus aucune faucheuse, ni aucun autres insecte, ni aucun animal. Frelons asiatiques, mulots menaçants, araignées sanguinaires, scolopendres inquiétantes… Quand leur présence me contrarie, je les enferme sous un verre, je glisse un morceau de carton dessous, et je les dépose délicatement à l’extérieur. Expulsé, oui. Assassiné, non. Je les protège au nom de leur droit à exister dans une Nature qui est aussi la leur, et dont ils font partie depuis bien plus longtemps que moi. Les requins (que nous massacrons annuellement par dizaines de millions) sont là depuis 400 millions d’années, plus ou moins comme les araignées et les papillons, les abeilles depuis au moins 100 millions d’années. Nous autres, homo sapiens, fêtons à peine quelques millions d’années d’existence. En bon colibri, je participe à mon échelle à la préservation de ce qui peut encore être sauvé dans ce qui ressemble de plus en plus à une sixième extinction massive de la vie sur Terre.

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com
Il vient de publier Presque libre aux éditions La Trace.

Photographie : © Timothy Dykes / Unsplash

Écoute ton corps… Rencontre avec Lise Bourbeau

Happinez : En quoi notre corps est-il notre ami ? Ne joue-t-il pas souvent contre nous à travers les douleurs que l’on peut ressentir et les limitations qu’il nous impose ?

Lise Bourbeau : Notre corps est notre ami dans le sens qu’il nous envoie sans cesse des messages pour nous ramener à l’équilibre, la santé, le bonheur. Ces messages incluent des douleurs ou des situations difficiles à vivre.  Par exemple, si je touche quelque chose de brûlant, mon corps me signale la douleur pour m’aider à enlever mes doigts le plus vite possible. Le corps attire notre attention sur le fait que souvent nous ne prenons pas les bonnes décisions pour nous. Pourquoi ? Parce que nous écoutons trop nos peurs, notre ego. Le corps est heureux, en bonne santé et plein d’énergie seulement quand nous écoutons notre cœur, donc nos besoins.

 

Qu’est-ce qui vous a inspirée ces grandes lois de la vie que vous partagez avec nous dans le livre Écoute ton corps ?

Avant de démarrer mon école, j’ai suivi de nombreuses formations. Tout ce que j’enseigne est une synthèse de ce que j’ai appris. Aujourd’hui, je continue à m’instruire de toutes les façons possibles. C’est pour cela qu’il m’est difficile de dire où j’ai appris tout ce que je sais. Il peut m’arriver en lisant un paragraphe d’un livre que, tout à coup, me viennent à l’esprit des sujets que j’ai appris, sur lesquels j’ai lu ou simplement que j’ai vécus personnellement. Quand la synthèse de tout cela se fait, je ressens beaucoup d’enthousiasme, car cela me donne un nouveau moyen pour conscientiser. Aider les gens à conscientiser est ce qui me rend le plus heureuse. Ma spécialité est surtout de simplifier le plus possible pour nous permettre de sentir au lieu de forcer notre mental à vouloir comprendre. La simplicité est une des caractéristiques de l’intelligence à développer durant l’ère du Verseau, que nous vivons actuellement.

 

Vous expliquez notamment les raisons de notre présence ici sur Terre. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Notre âme doit revenir encore et encore sur Terre tant que nous n’avons pas appris à vivre dans l’amour véritable, c’est-à-dire à nous donner le droit d’être humain avec ses hauts et ses bas, ses défauts et ses qualités, ses forces et ses faiblesses, etc. Sur Terre, nous avons le pouvoir de choisir et, au fil de milliers d’années, nous avons de plus en plus utilisé ce pouvoir pour écouter notre ego plutôt que notre cœur. Pour chaque incarnation, nous avons un plan de vie qui est choisi avec notre guide spirituel dans le monde de l’âme. Ce plan de vie vise toujours à nous ramener à l’amour. Souvent, les moyens que nous utilisons nous semblent difficiles, mais c’est toujours à cause du grand pouvoir que nous donnons à notre ego. Le plus important est de nous demander si dans notre vie d’homme ou de femme, nous nous dirigeons toujours davantage vers l’amour. Si oui, notre âme est heureuse, si non, nous souffrons beaucoup. C’est ce qu’on appelle l’enfer dans notre monde et dans le monde de l’âme.

 

Comment expliquer que malgré les connaissances spirituelles que nous pouvons développer au cours de notre vie, il y a toujours cette part typiquement humaine qui revient à la charge pour nous entraîner dans des réflexions interminables qui nous minent ? Existe-t-il un moyen d’y échapper ?

Le moyen par excellence est de décider de prendre notre responsabilité. Être responsable, c’est accepter l’idée que nous sommes toujours en train de créer notre vie et que nous devons en assumer les conséquences. Rien de ce qui nous arrive n’est la faute de quelqu’un d’autre ou d’une situation. Une fois que nous acceptons cette grande loi spirituelle, il nous est donc plus facile d’utiliser le deuxième moyen indispensable qui est la conscientisation. En se posant sans cesse la question : Qu’est-ce que j’ai fait, pensé, dit ou senti qui a attiré cette situation à moi ? Cela nous aide à être responsables et à devenir conscients que nous avons écouté notre ego au lieu de notre cœur. Voilà pourquoi je me suis spécialisée à enseigner différents outils sous forme de questions. Les gens peuvent ainsi se poser des questions pertinentes dans différentes situations désagréables. Une question clé souvent utilisée est : Cette situation désagréable m’empêche d’être quoi ? La réponse à cette question nous indique comment notre âme veut ÊTRE dans ce genre de situation. Par contre, notre ego essaie par tous les moyens de nous empêcher de l’être.

 

Vous parlez aussi des faux-maîtres. Qui sont-ils et s’il existe un vrai maître, qui (ou quel) est-il ?

Les faux maîtres sont tout ce à qui et à quoi nous donnons le pouvoir de décider à notre place. Nous devons surtout nous souvenir que c’est nous qui donnons notre pouvoir à l’extérieur. Par exemple, si ce sont les prix qui dictent ce que vous achetez, l’ARGENT est un faux maître pour vous. Votre enfant/votre conjoint vous fait du chantage et vous le laissez décider afin d’éviter une dispute ? Il est à ce moment-là un faux maître pour vous. Je nomme plusieurs faux maîtres dans le livre Écoute ton corps, mais il se peut qu’il y en ait encore d’autres dans votre vie. En devenant plus conscient, vous finirez par découvrir qui sont VOS faux maîtres.

 

Auriez-vous un exercice à nous donner pour entrer plus facilement en relation avec notre corps ?

Quand vous avez pris conscience de la grande intelligence de votre corps, le meilleur exercice est de penser à le remercier plusieurs fois par jour. Combien de fois l’avez-vous remercié de digérer tout ce que vous ingérez ? Même quand c’est souvent trop ou pas ce dont il a besoin, il est toujours à votre service, 24 heures sur 24. Faites-lui confiance ! Ne soyez jamais en colère parce qu’il est faible, qu’il se blesse, qu’il est malade, qu’il oublie, etc. Sachez que chaque fois que vous n’aimez pas votre vie, ce n’est pas la faute de votre corps, mais de vos choix. Parlez-lui souvent ! Dites-lui que vous voulez vraiment apprendre à l’écouter davantage, mais que pour le moment vous n’en êtes pas capable et que peu à peu vous allez y arriver.

 

Comment expliquez-vous, d’un point de vue spirituel, ce qui se passe actuellement sur notre planète ?

Comme la vie est parfaite et que Dieu (cette superconscience qui est le créateur de tout ce qui existe) ne veut qu’une vie parfaite, remplie de bonheur, d’amour et de joie de vivre, ce qui se passe est selon moi un moyen extrême pour attirer l’attention de tous les humains sur le fait que nous devons changer notre façon de vivre. C’est une manifestation naturelle liée à l’énergie de l’ère du Verseau. Il est grand temps que les humains redeviennent eux-mêmes au lieu de laisser leur ego contrôler leur vie de plus en plus dans tous les domaines. À l’heure actuelle, nous avons donc le choix entre vivre de plus en plus dans la peur (ego) ou décider d’être nous-mêmes et ne pas nous laisser diriger et influencer par la peur collective sur notre planète. Le choix entre une vie de surconsommation ou une vie où nous prenons le temps de vérifier nos vrais besoins. Le choix entre garder des rancunes et de la haine (ego) ou décider que l’autre n’est que notre miroir. Le choix de se juger pour tout et pour rien ou se donner le droit d’être un humain avec des limites, etc.

 

Propos recueillis par Aubry François

Visuel © Adrià García Sarceda / Unsplash

 

Savourer la métamorphose – Les conseils santé du Dre V.

J’ai stationné longtemps sur cette Terre, j’ai observé les hommes, les femmes, les fourmis et une grande partie du vivant, m’obstinant à résoudre un nombre incalculable de nœuds dont le fameux qui suis-je? ressassé, pétri, insoluble. Chercher son moi à l’intérieur de soi, arpenter ce chemin-là comme une évidence, se révèle être une impasse. Le moi, ici conçu en tant que centre — de l’âme, du corps, de la nature, du monde — prend la forme d’un objet nu, pur, vierge, authentique, détaché de la chair qui, en quelques sortes, serait un obstacle pour l’atteindre. Cette étrange logique qui place le moi dans l’humain, en fait le cœur, la vérité, son objectif ultime est peut-être le premier conditionnement que mes calculs et élixirs s’emploient désormais à secouer — puisque malheureusement la menace qui pèse sur tous les écosystèmes ne suffit pas.

Or mes recherches — l’ai-je raconté ici ? — ont débuté il y a de nombreuses années, à la lecture de La Merveilleuse Transformation et l’Étrange Nourriture Florale de la Chenille, composé par une savante née en 1647, Maria Sibylla Merian. À l’époque, j’étais convaincue que je pouvais fabriquer un breuvage permettant à l’humain d’avoir la puissance des chenilles, de voler après avoir rampé, de passer d’une existence à l’autre sans devoir mourir et renaitre. Le livre a bouleversé mes ambitions. Dans ce chef d’œuvre absolu, l’insecte étudié n’est jamais au centre de l’illustration. Maria représente les plantes qui le nourrissent, les vers, les oiseaux, les papillons, les mouches et quantités d’animaux en transformation, car elle avait déduit de ses longues observations que chaque vivant est un atlas où s’articulent une série de mondes, chacun peuplé d’une panoplie de formes…

J’ai alors compris une chose essentielle : comme la chenille, la forme humaine n’habite pas un territoire, elle en est la chair, la carte, le fragment, respire et se métamorphose avec lui, en lui. Elle porte en elle ses parents, grand-parents, mais aussi et avant tout les singes pré-humains, les poissons, les poules, les graines, les bactéries, les atomes de carbone, d’azote, etc. Tous les vivants constituent un même corps, une même vie et un même moi qui continue de passer de forme en forme, de sujet en sujet, d’existence en existence dans un même espace-temps. Cette vie est elle-même échappée d’un corps — le soleil— et engendrée par métamorphose de sa matière il y a 4,5 milliards d’années. Ainsi, chaque vivant est un petit morceau de soleil.

Par conséquent, pour trouver le moi, inutile de regarder au dedans de soi, et pour se transformer, inutile d’avoir des ailes ! Certains ont déjà compris qu’il suffit d’être né ou qu’il suffit d’observer tous les êtres nés, tous les vivants présents, passés, futurs; une chenille, une allée de platanes, un œuf. Pour ma part, j’aime attraper un peu de terre, caresser une fougère, peler une orange, toucher mon propre nombril en me remémorant l’extraordinaire aventure du soleil qui permit, un beau matin, la naissance de la vie, qui permit la métamorphose. Longue vie à vous,

 

Dre Vitale

 

Lisa Diez est une chercheuse polyvalente, sorte d’artiste tout-terrain. Plasticienne, clown, autrice, formatrice, elle ausculte sans relâche le vivant, le sensible, l’invisible en inventant des formes qui les relient. Promenez-vous sur son site, toujours en construction, www.atelierdiez.com

Photographie : © David Clode / Unsplash