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Mieux vivre son écoanxiété : Sauvons les araignées normandes

Catégorie(s) : Non classé, Sagesse & spiritualité, Rituels, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Nature, Maison

Diminution de la biodiversité, espèces en voie de disparition, sixième extinction… L’heure est grave. L’avenir s’assombrit, le nôtre comme celui de tous les êtres vivants de la planète. Le moment semble venu d’admettre une fois pour toute que nous ne sommes pas seuls sur Terre, que nous sommes tous embarqués sur le même navire, de changer nos habitudes pour vivre en harmonie avec le monde du vivant sur cette petite planète. Et si la sauvegarde des espèces commençait sur le pas de notre porte ?

Après quinze ans de vie parisienne, je me suis installé dans un corps de ferme normand, dans une vieille maison de maître plus ou moins vétuste, un endroit accueillant, mais infesté d’araignées. Autant le clamer haut et fort : aucune d’entre elles ne représentait un danger pour ma survie, puisque la morsure de la pire espèce d’aranéide normande provoquera à peine plus de douleur qu’une bonne piqûre de guêpe. Et que, je l’avoue, la majorité des résidentes de cette baraque était des faucheuses, ces bestioles au corps minuscule et aux longues pattes interminables, des êtres absolument inoffensifs. Pourtant, leur présence me gênait. Et comme j’étais chez moi, je m’octroyais le droit de m’en débarrasser. Les premiers mois, pour ne pas dire les premières années, j’ai orchestré sans états d’âme un véritable génocide pour nettoyer mon précieux intérieur en cours de rénovation de ces parasites indésirables.

Et puis, petit à petit, nos rapports ont évolué.

Plusieurs évènements sont à l’origine de cette révolution dans notre cohabitation. Un film, tout d’abord, Le Monde du Silence, un documentaire des années 50 du célébrissime Commandant Cousteau. Avant le début de la diffusion, l’ancienne personnalité préférée des Français, son légendaire bonnet rouge sur la tête, prit la parole pour se défendre à l’avance de quelques séquences insoutenables à venir, parmi lesquelles un massacre joyeux de requins blancs en haute mer et le prélèvement à la grenade d’espèces endémiques d’une plage exotique du Pacifique. Il justifia ces actes à priori indéfendables en prétendant qu’à l’époque du tournage, en 1955, la préservation de l’environnement n’était pas dans l’air du temps. L’argument diminua à peine ma colère à la vue de ces images stupéfiantes, mais une fois l’émotion retombée, je finis par admettre qu’il avait raison de préciser que, depuis le tournage du film, notre regard sur la Nature avait radicalement changé. Dès lors, je devais m’adapter à ce Nouveau Monde dans lequel, nous en étions dorénavant sûrs, la biodiversité se réduisait.

La lecture d’une biographie, ensuite. Celle de Ian MacMillan, ornithologue et naturaliste américain de la fin du 19e siècle, un auteur passé à la postérité pour une citation qui, depuis que je l’ai découverte, m’habite. Je le cite : « Il faut sauver les condors, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines pour les sauver, car ce sont ces qualités-là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes ». Une déclaration avant-gardiste (aux alentours de 1870, il y a donc plus de cent cinquante ans) qui m’ordonnait de mettre fin à mon anthropocentrisme, cette mauvaise habitude qui m’amenait à considérer l’homme au-dessus de toutes les autres espèces vivantes, et m’autorisait à me comporter à leur égard comme un barbare.

Une constatation, enfin, un témoignage auquel les moins de quarante ans devront croire sur parole. Quand j’étais jeune, et que nous traversions la France dans un 504 Peugeot rempli jusqu’à la gueule de valises et autres matériels de plage, mes parents faisaient régulièrement une halte pour nettoyer le pare prise couvert de centaines de cadavres d’insectes morts. Une contrainte qui n’existe plus. Comme je doutais que les insectes aient appris à éviter nos voitures lancées à pleine vitesse sur les autoroutes, j’en conclus que leur population avait sans doute diminué de manière drastique. À l’instar des hordes de papillons multicolores qui peuplaient nos campagnes, des colonies d’abeilles sauvages qui butinaient nos fleurs et de tant d’autres espèces.

Cette prise de conscience m’amena à reconsidérer mon rapport au monde du vivant, à me reconnecter avec l’ecosystème dont je fais partie, un sentiment à la fois salvateur pour mon environnement direct et réconfortant en terme de karma. Depuis, bien sûr, je ne tue plus aucune faucheuse, ni aucun autres insecte, ni aucun animal. Frelons asiatiques, mulots menaçants, araignées sanguinaires, scolopendres inquiétantes… Quand leur présence me contrarie, je les enferme sous un verre, je glisse un morceau de carton dessous, et je les dépose délicatement à l’extérieur. Expulsé, oui. Assassiné, non. Je les protège au nom de leur droit à exister dans une Nature qui est aussi la leur, et dont ils font partie depuis bien plus longtemps que moi. Les requins (que nous massacrons annuellement par dizaines de millions) sont là depuis 400 millions d’années, plus ou moins comme les araignées et les papillons, les abeilles depuis au moins 100 millions d’années. Nous autres, homo sapiens, fêtons à peine quelques millions d’années d’existence. En bon colibri, je participe à mon échelle à la préservation de ce qui peut encore être sauvé dans ce qui ressemble de plus en plus à une sixième extinction massive de la vie sur Terre.

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com
Il vient de publier Presque libre aux éditions La Trace.

Photographie : © Timothy Dykes / Unsplash