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Ma voiture et moi : du désir de prestige au bon sens

Catégorie(s) : Développement personnel, Art de vivre, Nature

Depuis sa démocratisation au début du 20e siècle (merci Henri Ford), la voiture a pris une place centrale dans nos vies. À la fois outil indispensable, objet de convoitise, symbole de réussite sociale, ou encore loisir à haute teneur en émission de CO2, son importance suffit à nous autoriser à faire tout et n’importe quoi. Et s’il était temps que cela cesse ?

Une nuit, sur une route, au milieu d’une ligne droite en bordure de forêt, ma bonne vieille Citroën C4 rouge croise la trajectoire d’un sanglier adulte qui rentre tranquillement chez lui. Le choc est violent. Les airbags se déclenchent et un grand flash blanc me fait perdre connaissance pendant quelques secondes. Que ceux qui s’inquiètent soient rassurés : quand je reprends mes esprits,  j’aperçois, dans la lumière du seul phare qui a miraculeusement survécu à la collision, l’animal gambader dans les champs. Sanglier 1, voiture 0. Une victoire nette, sans aucune contestation possible. La C3 est morte, définitivement hors service. Dès lors, je dois la remplacer. J’aimerais vivre sans, utiliser les transports en commun, acheter un vélo, de préférence électrique, ou encore tout faire à pied, mais pour moi comme pour beaucoup d’entre nous, l’automobile reste indispensable.

Ma corvée dans les allées d’un concessionnaire de voitures d’occasion prend fin quand mon regard se pose sur un Espace Renault, un véhicule spacieux susceptible de transporter en grand nombre des parpaings pour les travaux de la maison, d’embarquer des tonnes de bagages pour les vacances, et d’accueillir une myriade d’enfants, ceux des autres puisque je n’en ai pas. Le prix, le kilométrage, la couleur (bleu marine), l’aspect général, l’état du moteur, du châssis, le contrôle technique… Tout me parait optimal pour que je m’arrête sur ce choix, lorsqu’un événement imprévu remet tout en question. Derrière cet Espace Renault se cache une Citroën C1 grise, deux portes seulement, un pot de yaourt sur roues qui me fait de l’œil.

Et là, ma vie bascule.

Soudain, des années plus tard, la solution à cet épineux problème de mathématique de niveau CE2 qui hante mes nuits depuis toujours m’apparaît comme une révélation. Monsieur Machin (ou Madame Machine, ça marche aussi) doit acheter une nouvelle voiture. Il hésite en un modèle A qui pèse 1785 kilogrammes et un modèle B qui pèse 840 kilogrammes (source constructeurs). Question numéro 1 : lequel de ces deux véhicules consommera le moins d’essence, et donc polluera le moins? Question numéro 2 : sachant que Monsieur Machin passera en moyenne plus de 80 pour cent de ses trajets seul dans son véhicule, quel choix devrait logiquement lui dicter son bon sens ?

Fort de ces réflexions et de l’éveil tardif de mon intelligence, j’opte pour la C1.

Une décision que je n’ai jamais regrettée.

Certes, sa contenance maximale en parpaings est restreinte, mais une petite boule et une remorque font très bien l’affaire, je vous rassure. Certes, sur l’autoroute, ma voiture tremble de toute part dès que je dépasse trop les 130 kilomètres-heure, mais comme je ne suis pas censé aller au-delà de cette vitesse limite, je m’en fiche. Et rouler moins vite dans une voiture moins lourde se traduit par une facture moins douloureuse à la pompe (et oui !), moins de CO2 dans l’atmosphère, mais aussi, on l’ignore trop, moins de poussière d’usure de frein et de pneu dans l’air, deux fléaux méconnus pour l’environnement. Certes, mon arrivée sur des parkings mondains n’attire pas l’attention, ou seulement pour être victime de railleries plus ou moins drôles. Oh, mon pauvre, tu n’as pas les moyens de t’acheter une vraie voiture? Ton véhicule pour Playmobile, ils font le même pour les humains? Riez, braves gens. Riez. Mais voyons le bon côté des choses : au moins, je suis sûr que ma compagne ne m’a pas choisi pour la taille de ma voiture. Et ne vous en déplaise, chaque fois que je gare mon pot de yaourt entre une Jaguar et une Aston Martin, je me sens bien. Parce qu’au regard de la crise environnementale, je suis dans le vrai, ce qui me procure à chaque nouvelle occasion un bonheur légitime bien supérieur au plaisir que je pourrais avoir à posséder une grosse berline allemande.

Pour finir, un aveu : si j’accédais à la présidence de la République, ce dont je n’ai pas du tout envie, une de mes premières mesures consisterait à imposer à chaque citoyen, selon son activité professionnelle, son lieu de résidence et la taille de sa cellule familiale, un modèle de voiture unique adapté à sa vie. Et pour désacraliser l’objet, j’interdirais toute publicité pour les véhicules. J’autoriserais seulement le choix de la couleur de la carrosserie et de la marque du tapis de sol. Avec un tel programme, je ne serais jamais élu, j’en suis conscient. Je n’aurais sans doute pas même les cinq cents signatures pour me présenter. Mais on a le droit de rêver, non ?

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Il vient de publier Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, aux éditions La Trace.

Photo Taton Moïse/Unsplash