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Mes très chers déchets

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Pour la plupart d’entre nous, le recyclage quotidien de nos déchets est une contrainte, une corvée dont nous nous passerions bien. Souvent parce que nous le vivons comme une contrainte, et que nous n’y réfléchissons pas. C’est pourtant, quand on laisse son bon sens s’exprimer, une manière active de faire du bien à la planète, et de tempérer son écoanxiété.

Petit à petit, comme tout le monde, je me suis mis à recycler. D’abord en trainant les pieds face à la difficulté de l’exercice : les emballages dans la poubelle jaune, le verre dans la poubelle bleue, le reste dans la poubelle verte, tout cela demandait un réel effort d’attention. Le temps passant, j’ai pris l’habitude de trier, sans trop m’interroger sur ce qui me motivait concrètement à charrier mes déchets jusqu’aux poubelles adéquates cachées entre le château d’eau et le cimetière en périphérie de mon village. Le jour où j’ai commencé à réfléchir plus sérieusement aux tenants et aux aboutissants de cette corvée hebdomadaire, je me suis mis à apprécier cette nouvelle contrainte.

Petit retour en arrière.

Jusqu’au milieu des années 90, nous fumions tous partout, tout le temps. Dans les voitures, même quand il y avait de jeunes enfants à bord, dans des zones situées à l’arrière des avions séparés de l’espace non-fumeurs par un simple rideau insignifiant. Dans les bars, les restaurants, les salles de réunion et les bureaux, nous fumions sans jamais nous préoccuper le moins du monde de ceux que cela pouvait légitimement importuner. En matière de tabagie, le monde a radicalement changé. De nos jours, à de rares exceptions près, le plus addict des amateurs de nicotine déguste sa cigarette à l’extérieur de sa maison, de son entreprise, devant les halles de départ des aéroports ou encore sur les quais d’arrivée des gares, sans ne plus jamais se plaindre.

Collectivement, nous avons évolué.

Cette révolution culturelle s’applique lentement à la gestion du contenu de nos poubelles, chacun à son rythme. Je me souviens du premier palier : je recyclais uniquement pour que mes déchets quotidiens ne terminent plus dans des décharges sauvages à ciel ouvert, et qu’ils partent en fumée dans l’atmosphère. Puis est venu le second palier : comme beaucoup d’entre nous, j’adhérais à l’idée que ces matières indésirables puissent être réutilisées, d’une manière ou d’une autre, dans nos vies. Plus récemment, un troisième palier a décuplé mon engagement à respecter rigoureusement le tri dit sélectif.

Jusque-là, je ne m’intéressais qu’à ce qui se passait en aval (comment nos déchets sont recyclés) mais pas à ce qui se jouait en amont. Un exemple. Pour fabriquer un banal blister en plastique, des plates-formes terrestres ou maritimes forent la Terre toujours plus profondément, souvent au grand dam de la préservation de l’environnement. L’or noir récupéré de plus en plus péniblement est alors stocké, traité, envoyé dans des pétroliers, des pipelines sans fin, des camions-citernes, aux quatre coins du monde pour y être retraité, raffiné, puis renvoyé sous d’autres formes plus adaptées dans des usines pour envelopper, emballer, protéger à peu près tout ce que nous achetons, du plus petit au plus gros des objets. Un long périple qui se révèle à peine moins contraignant en matière d’empreinte écologique pour le verre ou le carton.

Que des emballages aussi couteux en énergie, manufacturée souvent avec soin, générosité, ne servent qu’à emballer, quel gâchis ! Quelle hérésie ! Alors, le moins que je puisse faire, c’est de rentabiliser au mieux ces dépenses d’énergie en réutilisant ces matières plus ou moins transformées autant que possible, encore et encore. Tant que cela peut servir, en fait. Un processus lui aussi consommateur d’énergie, certes, mais dans des proportions considérablement moindres que de repartir toujours de zéro. Et pour diminuer les contraintes que représente le tri des déchets dans nos maisons et réduire la fréquence des allers-retours jusqu’aux poubelles différenciées, une solution existe : s’efforcer de consommer moins d’emballage. Et moins de tout le reste, d’ailleurs. Et garder bien en tête qu’en réponse à ce cycle infernal et ô combien désastreux à l’échelle de la planète, je dois préférer le papier au plastique, dont chaque microparticule finira tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, dans les océans, où elle mettra des siècles à se désagréger totalement, et que le verre se recycle presque à l’infini ! Entre autres.

En résumé : d’écouter, le plus souvent possible mon bon sens, que diable !

Symbole éloquent de cette mutation profonde, ne pas déposer mes emballages dans la bonne poubelle est aujourd’hui pour moi un geste criminel (le mot est fort, mais je l’assume) du même ordre que de balancer une canette vide par la fenêtre de ma voiture sur l’autoroute, ou encore de fumer une cigarette au lit auprès de ma compagne qui, elle, a eu la force de renoncer à ce vice.

Autant d’impossibilités devenues viscérales, et définitives.

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Il a récemment publié Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, aux éditions La Trace.

 

Photo © Laura Pocho / Unsplash