Au rythme des saisons

Elle vit à Kyôto depuis quarante ans et nous propose dans ce livre un parcours, une balade, aussi spirituelle que poétique. Pendant trois mois, de septembre à novembre, elle observe l’ancienne capitale, dans la douce lumière de l’automne. Elle nous entraîne dans les rues, les temples, et même dans sa propre maison. Elle enrichit son récit de souvenirs personnels, de haïkus, de romans, d’essais sur le Japon. C’est absolument passionnant, érudit, riche et sensible, sincère. On chemine avec elle et l’on apprend cette culture si particulière, la complexité de cette langue, cette symbolique qui souvent nous fascine et nous échappe. Un livre merveilleux pour tous ceux qui s’intéressent au Japon, un peu, beaucoup ou avec passion.

Un Automne à Kyôto, Corinne Atlan, Albin Michel, 18 € 

Sur le fil de la vie

Un prénom en guise de destin… Pourtant, Ásta la belle grandira loin de ses parents et de sa sœur, seule bien souvent. Des années plus tard, Sigvaldi, son père, tombe d’une échelle et se souvient. De sa vie, de ses ratures, de ses errances, de sa beauté. Stefansson explore une fois encore le cœur de l’homme, vaste monde où soufflent le vent, les ténèbres et l’éternité, mais où la lumière se dépose aussi, dans la douceur de l’été islandais. Les poètes, sous sa plume bienveillante, sont des gardiens de phare qui éclairent nos nuits et donnent à la vie le sens que nous ne lui trouvons pas. Les hommes se trompent souvent mais ils sont beaux, funambules en équilibre sur le fil de la vie. Stefansson est un poète, et ce sixième roman est, tout comme les précédents, magnifique.

 Asta, Jon Kalman Stefansson, Grasset, 23 € 

Agnès Stévenin : S’émerveiller

C’est un sentiment que j’ai eu la chance de garder et qui me permet d’entrer plus facilement dans cette instantanéité joyeuse propre aux enfants. Eux ne se posent pas de questions ; ils voient le verre à moitié plein et savent s’enthousiasmer d’un rayon de soleil ou d’une rangée d’arbres quand ils ouvrent la fenêtre au réveil. Cette sorte de grâce est absente chez certaines personnes qui, de par leur histoire ou leur éducation, sont sans arrêt inquiètes, angoissées, sur leurs gardes. Il s’agit alors de retrouver l’émerveillement, mais cela n’est possible que lorsqu’on parvient à installer en soi une confiance vraiment profonde et évidente en la vie, lorsqu’on en vient à se dire que, quoi qu’il arrive, tout va bien se passer. Il est également important de parvenir à cultiver ce don quand on vieillit. Voir à 20 ans les autres avancer en âge ne me donnait certes pas très envie de suivre leur modèle, car on associe souvent cette étape à la réduction de nos univers intellectuel, mental et émotionnel. Pourtant, je crois maintenant que plus on conserve ou développe cet étonnement positif à l’égard de l’existence, plus on parvient à rester jeune à l’intérieur. Chacun devrait garder cette idée à l’esprit à partir d’un certain stade de sa vie.

Agnès Stévenin a notamment publié Splendeur des âmes blessées, chez Mama éditions, en avril 2018.

Propos recueillis par Aubry François  © Photographie  Delphine Blast  

Interview à retrouver dans Happinez 37

Alexandre Jollien : Regarder le chaos

Impérativement, il nous faut inaugurer une policlinique philosophique, un dispensaire, et dégotter les remèdes, les expédients, les docteurs, les soignants ! Je n’ai qu’une brinquebalante pharmacopée et une mission : prospecter pour répondre à l’urgence de la détresse et intégrer dans la vie spirituelle la question du mental et aussi le corps, les affects, le sexe, l’acrasie… Chez les Grecs, ce terme désignait l’impuissance à changer, la faiblesse de notre volonté et tous ces actes que l’on fait à l’encontre de notre meilleur jugement. L’acrasie entraîne tant de tiraillements, d’écartèlements intimes. Elle nous divise et crée de douloureux divorces intérieurs, entre nos plus hautes aspirations et ce que nous incarnons au quotidien. Je sais que ce seizième biscuit au chocolat m’est néfaste et pourtant je me jette sur la boîte. D’où tant de conflits sans fin…

Assumer ces continuels psychodrames, traverser ces déchirements existentiels sans fuir dans des concepts éthérés, sans se planquer dans une ascèse asphyxiante, c’est regarder le chaos les yeux dans les yeux…

Comment ne pas se laisser bousiller par les errances et prendre le risque de s’aventurer vers une liberté inédite, joyeuse ? Comment garder dans la main cette boussole : qu’est-ce qui me détend véritablement ?

Envisager la sagesse comme une policlinique où l’on se retape, où l’on avance vers la grande santé plus qu’un chemin de perfection, voilà ce qui nous attend ! Qu’est-ce qui nous libère pour de bon ? Non que l’existence réclame des remèdes, des soins, des pansements, du baume. Il sied plutôt et sans tarder de nous purger des occlusions de l’âme, de ce qui entrave la fluidité et le dire oui, le devenir oui. Il existe bien des voies aptes à nous désincarcérer de ce petit moi perpétuellement ballotté dans cette sorte de gigantesque montagne russe qui donne le vertige. Dieu est mort, du moins ses grossières caricatures ; les baguettes magiques, les recettes miracles et les traitements de choc sont partis à la casse. Oser l’intériorité, suivre un chemin ne revient pas forcément à nier le tragique, à fuir le monde ni à, pardonnez-moi l’expression, péter plus haut que son cul ! Le défi ? Se livrer corps et âme à une pratique espiègle, à un entraînement de l’esprit, à un art de glisser loin de l’orthopédie psychique et du sérieux.

Extrait de La Sagesse espiègle d’Alexandre Jollien, © éditions Gallimard, 2018.

© photographie Francesca Mantovani GALLIMARD

Cyrielle Hariel : Le prêteur d’espoirs

C’est ainsi qu’il a créé le microcrédit et fondé la Grameen Bank (banque des villages) en 1976, dans son pays natal. Grâce à cette aide, des millions de familles qui n’avaient pas accès au système bancaire classique, notamment en milieu rural, ont pu développer, par exemple, une activité artisanale. Encore aujourd’hui, plus de 90 % des emprunteurs dans le monde sont des femmes. Leur point commun ? Une motivation inébranlable à prendre leur vie en main pour améliorer leur quotidien et celui de leurs enfants. Le Pr Yunus est convaincu que l’être humain a le choix de développer ses capacités créatives, et donc d’innover et de devenir entrepreneur, tout en optant pour des solutions sociales, humanitaires et écologiques. Et sa pensée va plus loin : pour lui, le salariat n’est plus une fin en soi, une autre économie est possible, plus épanouissante. Ce nouveau modèle économique, appelé “social business” (ou entrepreneuriat social) serait une réelle alternative au capitalisme et l’une des solutions pour rendre le monde meilleur. Et quand on lui demande quel dirigeant d’entreprise en France a opté pour ce type d’économie, il répond avec fierté Emmanuel Faber, PDG de Danone et créateur du fonds solidaire Danone Communities, incubateur de microentreprises dans les pays en voie de développement.

Depuis quelques années, Muhammad Yunus, surnommé le “banquier des pauvres” ou “le prêteur d’espoirs”, entend encourager cette économie solidaire et veut faire passer son message aux jeunes générations. Sur la scène du forum international Convergences à Paris en septembre dernier, lors de la soirée “Youth we can”, il a pris la parole devant un parterre de jeunes en leur disant qu’ils avaient de la chance. La chance d’être déjà conscients des inégalités, la chance d’avoir le choix et de pouvoir agir. En optant pour le social business, ils peuvent devenir les acteurs d’un monde plus juste et sortir des personnes de la pauvreté.

Âgé de 78 ans, ce prix Nobel de la paix (depuis 2006) continue de semer des graines d’espoir partout où il va. Il insuffle un vent d’optimisme en affirmant que chaque individu peut agir à son échelle. Un peu ce que disait Gandhi, ou même Michael Jackson dans son titre Man in the mirror il y a plus de 30 ans. Car avoir foi en l’innovation, en l’humain, croire aux bénéfices de l’altruisme et opter pour une économie solidaire, c’est une aspiration qu’il est bon de maintenir pour notre avenir à tous !

 

Cyrielle Hariel est journaliste pour Yahoo Green et Ushuaïa TV. Elle est également auteure de l’ouvrage Faire battre le cœur du mondeaux éditions Les Liens qui libèrent.

© Photographie Emmanuel Vivier

Pierre Rabhi : Qu’est-ce que vivre ?

La société changera quand la morale et l’éthique investiront notre réflexion. Chacun doit travailler en profondeur pour parvenir à un certain niveau de responsabilité et de conscience, et surtout à cette dimension sacrée qui nous fait regarder la vie comme un don magnifique à préserver. Il s’agit d’un état d’une nature simple, qui pourrait se définir ainsi : j’appartiens au mystère de la vie et rien ne me sépare de rien. Je suis relié, conscient et heureux de l’être.

C’est là que se pose la question fondamentale : qu’est-ce que vivre ? Nous avons choisi la frénésie comme mode d’existence et nous inventons des machines pour nous la rendre supportable. Temps-argent, temps-production, temps sportif aussi – où l’on est prêt à faire exploser son cœur et ses poumons pour un centième de seconde… tout cela est bien étrange. Tandis que nous nous battons avec le temps qui passe ou celui qu’il faut gagner, nos véhicules, nos avions, nos ordinateurs nous font oublier que ce n’est pas le temps qui passe mais nous qui passons. Nos cadences cardiaques et respiratoires devraient nous rappeler à chaque seconde que nous sommes réglés sur le rythme de l’univers.

L’intelligence collective existe-t-elle vraiment ? Je l’ignore, mais je tiens pour ma part à me relier à ce qui me paraît moins déterminé par la subjectivité et la peur, à savoir l’intelligence universelle. Cette intelligence qui ne semble pas chargée des tourments de l’humanité, qui régit à la fois le macrocosme et le microcosme, et que je pressens dans la moindre petite graine de plante. Face à l’immensité de ce mystère, j’ai tendance à croire que notre raison d’être est l’enchantement. La finalité humaine n’est pas de produire pour consommer, de consommer pour produire, ou de tourner comme le rouage d’une machine infernale jusqu’à l’usure totale. C’est ­pourtant à cela que nous réduit cette civilisation dans laquelle l’argent prime sur tout mais ne peut offrir que le plaisir. Des milliards d’euros sont impuissants à nous donner la joie, ce bien immatériel que nous recherchons tous, consciemment ou non, car il représente le bien suprême, à savoir la pleine satisfaction d’exister.

Si nous arrivions à cet enchantement, nous créerions une symphonie et une vibration générales. Croyants ou non, bouddhistes, chrétiens, musulmans, juifs et autres, nous  y trouverions tous notre compte et nous abolirions les clivages pour l’unité suprême à laquelle l’intelligence nous invite. Prétendre que l’on génère l’enchantement serait vaniteux. En revanche, il faut se mettre dans une attitude de réceptivité, recevoir les dons et les beautés de la vie avec humilité, gratitude et jubilation. Ne serait-ce pas là la plénitude de la vie ?

Paysan, écrivain et philosophe, Pierre Rabhi est un pionnier dans la défense d’une société plus respectueuse des hommes et de la terre.

© Photographie Guillaume Atger

Yasmine Liénard : La méditation, chemin de libération

Ce succès m’amuse et me réjouis lorsque je pense qu’en 2006, cette pratique était encore réservée à l’ésotérisme ou à la spiritualité, et que, tout juste formée à la thérapie cognitive alliée à la méditation pour éviter la dépression, j’avais du mal à convaincre le public de participer aux sessions de ce protocole validé scientifiquement. C’est formidable ce qui s’est passé en huit ans. On médite aujourd’hui dans les entreprises, dans les écoles (enfin un tout petit peu mais c’est le début), en couple… On veut soigner ses troubles psys en méditant, et des professeurs d’université s’assoient avec leurs patients sur des coussins réservés auparavant aux centres bouddhistes. On respire, en laissant passer les pensées comme des nuages dans le ciel. On ne cherche plus à réfléchir ou résoudre des problèmes, on est juste ici et maintenant.

Je pense que cette révolution va bien au-delà d’une technique de bien-être. Il s’agit d’un renversement culturel. L’Orient déboule en Occident et bouscule le rationalisme cartésien. Pour être heureux aujourd’hui, nous nous ouvrons à un mode de pensée qui implique de lâcher le mental et de faire confiance à notre sagesse intérieure. Le corps n’est plus un objet à modeler pour notre performance mais le siège d’une intelligence précieuse. Mais si l’on voit plus loin,  puisqu’au niveau du corps nous sommes tous singuliers et que personne ne peut nous dicter nos ressentis, cette révolution de la méditation c’est tout simplement la permission pour chacun de se faire confiance, de s’écouter. Il n’y a donc plus aucun diktat extérieur à nous-même pour nous guider. Qu’est-ce donc si ce n’est une invitation à une liberté réelle et assumée ? N’est-ce pas aussi l’annonce probable de la fin des conseils pour tous, des régimes imposés, etc. ? Ainsi ce n’est pas par hasard que nous nous tournons vers la méditation à l’heure où les réseaux sociaux permettent de choisir ses propres sources d’information, de contredire les pouvoirs en place, de réinventer un monde éclectique, intégrant l’immense diversité des religions, des modes de consommation et des goûts. Résolument, méditer c’est se donner la possibilité d’être l’artisan de sa propre espèce, de se choisir. Jamais l’homme n’a eu à la fois aussi peu de repères et autant de possibilités de créer son destin unique. 

Yasmine Liénard est psychiatre cognitivo-comportementaliste et est l’auteure du livre Pour une sagesse moderne, Éditions Odile Jacob, 2011.

 

Pèlerinage en mer Égée

Alain Durel est aussi enseignant au séminaire orthodoxe russe en France. C’est toutes ses vies qu’il raconte dans L’archipel des saints, une odyssée aux confins de la Grèce, dans les pas des figures marquantes de la spiritualité hellène. Dans une langue lyrique teintée d’humour, il nous livre un récit d’aventure lumineux.

L’archipel des saints, Alain Durel, Albin Michel, 16 €.

La voix du poète

Pour les fans de Susan et de So Long Marianne, Le livre du désir est un talisman absolu. Pour les autres, c’est l’occasion de découvrir un poète singulier qui distille une petite musique grave et légère à la fois, explorant avec une douce ironie de grands thèmes universels : l’amour, le désir d’absolu, l’approche de la vieillesse… Chaque poème est un petit traité de sagesse instantanée.

Leonard Cohen, Le livre du désir, Points, collection Points Poésie, 8,20 €.

 

https://youtu.be/oIpF-RPw0pw

La face cachée

Mon Monstre, c’est l’histoire d’un petit enfant qui possède un bien grand secret. Il a un monstre. Un monstre très vilain. Et qui le pousse à faire toutes sortes de bêtises : se rouler par terre, jeter son assiette, désobéir à papa et maman ou encore griffer son petit frère. Pourtant, son monstre, il y tient, il l’aime. Son monstre, c’est bien sûr lui-même.
Mon Monstre est un conte qui parlera directement aux enfants dès qu’ils apprennent à se découvrir et pour les aider à s’aimer tels qu’ils sont. Les illustrations simples mais subtiles raviront les yeux de ceux qui ont eu, un jour ou l’autre, à partager la vie d’un monstre insupportable qu’ils chérissaient.

Marie Sellier est l’un des auteurs jeunesse les plus célébrés aujourd’hui. Si elle a beaucoup publié de livres sur l’art, elle sait aussi raconter sans façon et à la perfection des histoires simples et profondes. Ses mots précis et magiques portent en eux la richesse de l’enfance. Jean-Luc Buquet a notamment reçu le talent FNAC 2008 pour son album Le Petit Chaperon Rouge.

Mon monstre, Marie Sellier et Jean-Luc Buquet, édition Courtes Et Longues.