La religion peut être une force motrice de l’harmonie dans le monde

La religion peut être une force motrice de l’harmonie dans le monde. Karen Armstrong nous explique comment lors d’une conférence TED. Dans cette conférence, elle explore plus profondément la compassion dans la religion et comment nous pouvons ramener le pouvoir de l’harmonie dans la foi.

 

© Photographie : Getty

Toi et moi

Dans l’effervescence de la vie active, nous sommes parfois tellement pressés que nous ne voyons même pas les personnes qui croisent notre route et qui sont pourtant omniprésentes : dans la rue, au supermarché, au travail. Il est pourtant possible d’entrer très facilement en contact avec elles : regardez-les, soutenez leur regard quelques instants et souriez. Un sourire permet souvent d’accéder à une dimension inaccessible à la parole. Il s’agit de la voie la plus simple et la plus efficace d’entrer sincèrement en relation avec les personnes que vous croisez au cours d’une journée. Cela vous donnera, et donnera à l’autre, le sentiment d’être vu et, en définitive, d’exister.

Et puis, il y a ceux qui nous sont proches : notre conjoint, nos enfants, nos meilleurs amis. Quel que soit notre degré d’intimité, nous avons parfois le sentiment de nous parler, sans vraiment échanger. Le salut d’Ama Dablam de l’Himalaya est un rituel destiné à nous rapprocher des autres. L’Ama Dablam (qui signifie le reliquaire de la mère) est un sommet proche de l’Everest, dont les habitants disent qu’il transforme l’énergie négative en énergie positive. Ce salut est destiné à donner à l’autre le meilleur de nous-mêmes et de recevoir en échange le meilleur de l’autre. Après ce salut, votre cœur débordera d’énergie et d’amour, que vous pourrez ensuite diffuser autour de vous.

Le rituel

* Placez-vous debout l’un en face de l’autre, les deux pieds à plat sur le sol. Regardez-vous.

* Placez votre main gauche sur votre cœur et demandez à votre partenaire de placer sa main droite sur votre main gauche, de telle sorte que vos deux mains soient posées l’une sur l’autre, sur votre cœur.

* Faites ensuite le même geste dans l’autre sens : votre partenaire place sa main gauche sur son cœur et vous demande de placer la main droite sur la sienne. Vous créez ainsi un cercle « de cœur à cœur ».

* Restez un instant dans cette position. Respirez calmement et essayez de ressentir le lien qui se crée, de percevoir le flux d’énergie qui circule entre vous.

* Après avoir retiré vos mains, regardez-vous et discutez un instant de ce que vous avez ressenti lors de cet échange, en toute sincérité.

 

© Texte : Christine Pannebakker  
Photographie : Corbis

Rituel extrait de Happinez n°2 p.99

Faut-il écouter son cœur ?

Imaginez : votre tête et votre cœur ont décidé d’avoir une bonne conversation. La tête s’est installée dans un fauteuil, les bras croisés, tandis que le cœur batifole autour d’elle en la taquinant.

« Sais-tu, lui dit-il, que tu n’as plus la cote ?
— N’importe quoi, répond la tête en fronçant les sourcils. Au contraire, je suis très à la mode. « Je pense, donc je suis » : c’est ce qui définit l’être humain.
— C’est ce que tu crois, réplique joyeusement le cœur. En réalité, tu perds du terrain. Les hommes ont enfin compris qu’ils doivent suivre leur cœur. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », c’est Blaise Pascal qui l’a dit.
— C’est bien là le problème, répond la tête d’un air méprisant. Quand les gens n’ont pas envie de faire quelque chose, ils disent : « Je n’ai pas le cœur à ça » et hop, ils ne le font pas, sans plus se poser de questions. Crois-moi, en écoutant son cœur, on ne fait que ce qu’on a envie de faire, et on sombre dans le chaos. Nous savons bien où cela mène : traîner toute la journée sur le canapé, flirter avec le voisin, finir la tablette de chocolat.
— Traîner sur le canapé de temps en temps, ça peut permettre d’éviter un burn­out. Et qui sait, le voisin est peut-être l’homme de ta vie ? Quant au chocolat, c’est bon pour le moral. D’ailleurs, si les gens suivaient leur ressenti profond, ils auraient moins besoin de se consoler avec la nourriture.
— Ressenti profond, grommelle la tête. Il est souvent bien difficile à cerner, ton ressenti profond. Une pensée, au moins, ça peut se mettre en mots.
— Justement, s’écrie le cœur. C’est pourquoi il faut m’écouter, faire taire sa tête un instant et sentir ce qui monte en soi. Autrefois, les psychologues disaient : pour prendre une décision, il faut dresser la liste des avantages et des inconvénients, peser le pour et le contre et faire le choix le plus rationnel. Mais ils en sont complètement revenus ! Une étude a montré qu’une décision prise en s’appuyant sur le ressenti procure en fin de compte plus de satisfaction que si elle émerge au terme d’une longue réflexion. Moralité : qu’il s’agisse d’acheter une maison ou d’aller boire un verre avec le voisin, il vaut mieux écouter son cœur.
— Ah oui, cette fameuse étude… réplique la tête. C’est sûr, comme les sensations vagues sont difficiles à exprimer avec des mots, elles ne figurent pas sur la liste des avantages et des inconvénients. Mais qu’est-ce que ça prouve ? Rien, sinon que les gens auraient justement intérêt à décortiquer un peu plus leurs sentiments ! C’est bien ce que font les auteurs de romans, non ? Sinon, pourquoi les lirait-on ?

« Avoue quand même que l’amour dure plus longtemps si on a la tête sur les épaules que si on la perd. »

— Mais pour partager les sentiments des personnages, pardi !
— Exactement, pour mieux prendre conscience de ce qu’on ressent. Et c’est là que j’entre en scène : grâce à moi, les gens sont capables de confronter leurs sensations, d’analyser leurs émotions avec lucidité. C’est alors qu’ils se rendent compte qu’elles vont et viennent, tout comme les pensées. Une fois l’émotion pleinement vécue, elle a tendance à s’estomper. Lorsqu’on prend conscience de cela, on a moins peur de la colère, de la souffrance ou de la tristesse. C’est bon à savoir, non ? En plus, il ne faut pas toujours se fier à ses émotions. Imagine, une jeune femme a prévu de sortir avec ses amies. Mais elle est fatiguée et elle a un bouton sur le nez. Toi, tu vas tout de suite lui souffler : « Dis-leur que tu ne viens pas et file vite sous la couette ! » Moi, je tiens les comptes, je sais par exemple qu’elle revient toujours pleine d’énergie et d’inspiration de ces sorties entre copines. C’est donc moi qu’il faut écouter.
— Eh, mais tu oublies une chose, intervient le cœur. Sans moi, une soirée entre copines n’a aucun intérêt. Quand on va vers les autres, c’est toujours avec son cœur.
— Ça te va bien de dire ça ! Tu sèmes le malheur entre les gens. Tu t’enflammes à la moindre occasion. Tu t’acharnes à jouer les entremetteurs, même avec des gens qui ne vont pas du tout ensemble. Et quand ça se passe mal, tu les retiens prisonniers.
— C’est vrai, admet le cœur en rougissant, je m’attache facilement. Quand la personne aimée disparaît ou s’éloigne, je suis brisé. Mais les peines de cœur sont des souffrances spirituelles. L’amour-propre se brise en même temps que moi. Selon certains maîtres spirituels, il faut qu’un cœur soit brisé pour libérer le véritable amour.
— Explique-toi, demande la tête d’un air perplexe.
— Voilà justement quelque chose que la raison ne peut saisir. Un cœur brisé ne se casse pas, il s’ouvre, accueillant le flux de l’amour spirituel, un amour plus grand et plus profond que l’amour humain, un amour qui transcende les différences, qui relie les contraires. Autrefois, les gens savaient cela. Quand ils momifiaient leurs morts, les Égyptiens laissaient le cœur en place. Et le cerveau ? Pfutt, à la poubelle !
— Comme si nous n’avions rien appris depuis cette époque, ricane la tête. D’ailleurs, les Égyptiens pensaient aussi que le cœur était pesé dans l’au-delà. S’il était plus lourd qu’une plume, le défunt était perdu.
— Mais il m’arrive d’être léger comme une plume ! jubile le cœur. Par exemple quand les gens sont remplis de joie et de lumière, quand ils arrêtent de se casser la tête.
— C’est ça, fais l’insouciant. Il ne s’agit pas de se casser la tête, mais de s’en servir. Comment résoudre un problème quand on a perdu la raison ?
— Et quand on n’a pas de cœur ? Tu crois sans doute que je suis une simple pompe à faire circuler le sang. Non, je suis un organe spirituel ! Je dose l’élan vital que le cosmos insuffle à l’âme. Si ce flux divin inondait d’un seul coup le corps, celui-ci n’y survivrait pas. Grâce à mon rythme, je veille à ne laisser entrer qu’un peu de vitalité cosmique à la fois. À chaque battement de cœur, un peu de vie. Je fais le lien entre le ciel et la terre, entre l’esprit et le corps. Bien sûr, je joue aussi un rôle sur le plan physique : j’unifie tout l’organisme en lui fournissant du sang frais, riche en oxygène et en autres substances indispensables, jusqu’aux plus petits vaisseaux sanguins. À toi aussi, chère tête, même si tu penses être au-dessus de tout cela. Vois un peu le symbole que je représente pour les hommes : je relie les extrêmes ; je montre aux êtres humains qu’ils font tous partie d’une même famille, et que tout le monde y a sa place.
— Tout le monde, c’est vite dit, maugrée la tête. Tu es vraiment un idéaliste, un illuminé. Tu sais très bien qu’il ne faut pas seulement relier les gens, mais aussi les séparer. Un peu de discernement ! Et pour ça, ils ont besoin de moi. Sinon, c’est la pagaille, et ils n’arrivent plus à rien.
— Les divisions font souffrir, affirme le cœur, un peu dédaigneux, alors que les liens affectifs font du bien.
— Et c’est reparti, dit la tête en hochant la tête. Tu rêves, tu t’extasies, tu deviens romantique. La division est utile, même en mathématiques. Regarde tout ce que la science nous a apporté. Et pour ça, il a bien fallu que des gens se creusent la tête.
— Mais un peu de romantisme n’a jamais fait de mal à personne ! crie le cœur en bondissant. Les scientifiques passionnés par leur travail sont plus efficaces que ceux qui gardent toujours la tête froide. Savais-tu que je possède des cellules nerveuses semblables aux cellules cérébrales ? Certains chercheurs affirment même que je suis un deuxième cerveau.
— D’accord, un point pour toi, admet la tête en se penchant légèrement vers le cœur. Mais avoue quand même que l’amour dure plus longtemps si on a la tête sur les épaules que si on la perd.
Tous deux se regardent à présent d’un air ému.
— En fin de compte, nous avons chacun un rôle à jouer, murmure le cœur. Tu es sûrement assez intelligente pour reconnaître mon importance. Tu sais qu’en toutes circonstances, il faut m’écouter moi aussi.
— C’est vrai. Et toi, tu sens bien que je compte également, que tu ne t’en sors pas tout seul. Il faut tout prendre en compte, y compris les faits, les chiffres et les arguments rationnels. Mais la question reste de savoir qui de nous deux est le chef. Je pense que c’est à moi d’avoir le dernier mot. Tu peux exprimer tes sentiments, puis je décide de la suite des événements.
— Ce que tu peux être têtue, soupire le cœur. Peu importe qui est le chef, tant que nous parvenons à nous entendre. »

© Illustration : Corbis

Les vertus de la douceur…

L’homme est un lion pour l’homme. Et les lions ne s’embarrassent pas de délicatesse. Sûrs de leur bon droit, ils imposent leurs vues sans conscience de leur égocentrisme et de leur appétit excessif pour les rapports de force. Ces lions, nous les croisons tous les jours : automobiliste enragé, conjoint gentiment dénigrant, chef imbu de pouvoir, mère intransigeante qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous…
C’est ce que Romane appelle : la « Burnerie » !

Trentenaire passionnée et engagée, Romane accompagne ces félins mal embouchés vers davantage d’humanité. Elle a créé une société qui leur propose un programme unique en son genre,  véritable relooking de posture et de mentalité.

Parmi ses nouveaux participants, figurent de beaux spécimens. Surtout un : Maximilien Vogue, célèbre homme d’affaires, PDG d’un grand groupe de cosmétiques, charismatique en diable, mais horripilant archétype de burnerie !

Saura-t-elle le faire évoluer pour qu’il exprime autrement sa puissance intérieure, avec plus de justesse et de respect pour autrui ? Une évidence : elle va avoir du fil à retordre.

Extrait de “Le jour où les lions…” 2

Soyez en paix avec vous-même…

Libérez votre esprit, ouvrez votre cœur et transformez
votre vision du monde.

À travers un commentaire du célèbre Soûtra du Diamant, Byron Katie nous présente sa perception du monde et la démarche de questionnement personnel appelé le Travail.
Le Soûtra du Diamant est un court texte bouddhiste et l’un des plus étudié dans le Zen. Sous forme d’un dialogue entre le Bouddha et l’un de ses disciples, il aborde la nature de la perception et la dimension illusoire de toute forme, toute pensée et tout concept. La nouvelle version de Stephen Mitchell, d’une grande clarté, dépouillée de tout jargon et adaptée pour un lecteur occidental, met en valeur ce texte essentiel.

Le commentaire de Byron Katie, basé sur son incroyable expérience vécue et sa longue pratique du Travail, est simple et limpide, plein d’humour, et permet à la fois d’en rendre accessible et d’en comprendre toute la sagesse et la profondeur.

Si le Soûtra du Diamant traite du “quoi”, Byron Katie nous propose également un “comment” : la démarche qu’elle appelle le Travail, basée sur quatre questions simples et profondes à la fois, nous offre un outil puissant pour déconstruire tous nos jugements et nos conditionnements, libérer notre esprit, ouvrir notre cœur et transformer notre vision du monde afin de ne plus souffrir inutilement.

“Libre – Un mental en paix avec lui-même” 2

 

Invitation au changement…

Cette rumination mentale est épuisante physiquement et mentalement, et elle est mauvaise pour la santé. Ce livre est une invitation au changement, il vous propose de vivre une expérience unique qui va vous faire évoluer et vous guider vers une vie plus harmonieuse et authentique : chaque jour, réfléchissez sur un thème, découvrez une citation, un mantra et deux exercices ludiques. Cessez d’être dans la résistance et le contrôle, apprenez à vous libérer, à vous ouvrir à la vie, à lui faire confiance et à la vivre pleinement. Vous rêvez de ne plus vous « prendre la tête » et de vivre léger ?

Mais avant tout, la question est de savoir si vous savez-lâcher prise…

“21 jours pour lâcher prise, c’est parti !” 2

Alchimie de l’amour

Alliant ses connaissances sur les relations amoureuses aux grands principes alchimiques, de l’inversion des contraires aux vertus de la pierre philosophale, Lisette Thooft fait une analyse inédite des rapports de couple : ce qui se joue, les forces en présence, les différents stades que peut traverser la relation, et ses facettes spirituelles, dans le but de vivre un amour conscient et plein, libéré des courants souterrains qui entravent trop souvent son cours puissant.

 

“Alchimie de l’amour”

Et tu trouveras le trésor qui dort en toi

PREMIÈRE PARTIE

“Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence.”

Épître de Paul aux Romains, XII, 2

Chapitre 1

Alice ne put retenir un grand sourire de satisfaction en reposant le téléphone. Le prospect qatari avait présélectionné le cabinet de conseil en communication pour lequel elle travaillait. L’appel d’offres avait été discrètement lancé six mois plus tôt. La Qatar International Promotion Agency cherchait un partenaire occidental pour travailler à redorer l’image du pays et faire oublier les soupçons de financement de Daech.
Cinq, ils n’étaient que cinq cabinets présélectionnés dont deux américains, un espagnol, un allemand et le français. Une chance sur cinq de l’emporter. Alice y croyait dur comme fer.
Elle inspira profondément et s’étira en se renversant dans son fauteuil, le faisant pivoter vers la grande vitre de son bureau qui réfléchissait son image de femme active, petit tailleur coupé assez strict qui contrastait avec sa chevelure châtain aux longues boucles un peu folles. Elle éteignit sa lampe de bureau et son reflet s’évanouit. Au cinquante-troisième étage de la tour Montparnasse, on se croyait suspendu dans le ciel, un ciel assombri de fin de journée sur lequel s’étiolaient quelques nuages peu convaincus. À ses pieds, la ville animée et vivante, des lumières qui commençaient à s’allumer un peu partout dans les milliers d’immeubles s’étendant à perte de vue, hébergeant des millions de gens. À cette heure de sortie des bureaux, les chaussées étaient saturées de voitures et les trottoirs grouillaient de petits points insignifiants se mouvant au ralenti. Alice regarda tout ce monde en souriant. Autant de personnes à convaincre, de défis à relever, d’excitation à éprouver… Depuis qu’elle suivait les séminaires de développement personnel de Toby Collins, elle gagnait une confiance en elle qui lui permettait de trouver des satisfactions au travail malgré l’ambiance compétitive et tendue.
Elle inspira de nouveau et se détendit. À cette heure là, Théo était avec la nounou à la maison. Paul rentrerait tard, comme tous les soirs. Peut-être dormirait-elle déjà quand on le déposerait au pied de l’immeuble. De quoi vivraient les taxis de nuit sans les sorties de bureau des avocats ?
Vivement les vacances, se dit-elle. Qu’ils se retrouvent un peu tous ensemble. Si son équipe décrochait le contrat qatari, elle aurait une augmentation, c’est sûr. Ou une grosse prime. On ne saurait le lui refuser. Avec ça ils s’offriraient un grand voyage en famille. Pourquoi pas l’Australie, carrément ? L’Australie… un rêve d’adolescente, pas encore réalisé.
Le téléphone sonna. Son père.
— Je suis au bureau, papa.
— Ma chérie, tu viens à Cluny, ce week-end ?
— Oui, sans doute.
— C’est une bonne nouvelle ! Paul viendra aussi ?
— S’il n’a pas trop de boulot, genre la tournée des clients à Fresnes ou Fleury-Mérogis. Et s’il accepte de louper son cours de dessin du samedi. Sa seule passion en dehors des prisons.
— Tu le salueras pour moi, dit-il en riant. Tiens, j’ai croisé Jérémie, ce matin. Il a l’air d’aller très mal. Sa mère est inquiète, elle m’en parle tout le temps. Si tu viens ce week-end, elle aimerait bien que tu prennes un peu de temps pour le soutenir.
Jérémie allait très mal ? Bizarre qu’elle ne s’en soit pas rendu compte lors de son dernier week-end en Bourgogne. Jérémie… Sa silhouette élancée, ses cheveux blond foncé, ses yeux bleus très clairs, ses traits fins et doux qui exprimaient une grande bonté. Leur enfance commune à Cluny… Les courses-poursuites dans les ruines de l’abbaye, les multiples paris qu’ils jouaient à se lancer l’un l’autre, avec toujours le même enjeu : une bise le jour de l’an. Les fous rires au milieu des vignes pendant les vendanges, quand ils se cachaient pour déguster le raisin au lieu de le ramasser.
Leur premier bisou sur le bout des lèvres à neuf ans – son initiative à elle, et lui qui s’était mis à rougir comme les tomates de l’oncle Édouard. Ils rêvaient de voyager ensemble à l’autre bout de la terre, là où l’on marche la tête à l’envers, en Australie. Déjà l’Australie…
Pauvre Jérémie, elle était bien triste de savoir qu’il allait mal. Tout le monde avait été tellement surpris de sa décision radicale, après des études apparemment sans soucis. Tout plaquer, comme ça, son master de développement durable en poche, et changer complètement de voie… Jérémie. Il avait été tellement disponible pour elle quand elle avait coup sur coup perdu sa mère puis sa meilleure amie, quelques années plus tôt, avant de rencontrer Paul. Le deuil avait déclenché en elle une vraie crise existentielle. Il lui avait offert son écoute, une patience d’ange, un soutien affectif, une aide véritable.
Elle voulait l’aider à son tour, faire quelque chose pour lui. Oui, mais quoi ?
Elle inspira profondément en toisant la foule à ses pieds. Son métier, c’était la communication de crise, pas la psychothérapie.

*

* *

La lourde porte cochère gémit sur ses gonds, rechignant à s’ouvrir. Jérémie se faufila dehors et la laissa se refermer dans un bruit sourd de porte de prison. Il prit à droite la ruelle Notre-Dame et huma l’air frais de cette belle journée de mars. Sous ses pieds, les pavés prenaient une teinte mordorée au soleil.
À l’angle de la rue Saint-Odile, l’austère hôtel des finances aux fenêtres grillagées semblait endormi face au Tabac des arts dont la file d’attente pour les tickets de Loto comptait une bonne dizaine de personnes. Après l’impôt obligatoire, l’impôt facultatif.
Jérémie poursuivit dans la ruelle jusqu’à la rue Lamartine, la rue principale de cette jolie petite ville de Cluny, aux façades pastel et aux devantures colorées. Il compta machinalement trente-six clients prenant un café à la terrasse de La Nation. Le café, se dit-il, maintient l’esprit en éveil sans l’éveiller pour autant.
Un peu plus loin, dans la file d’attente du Loto au deuxième bureau de tabac, quatorze personnes s’apprêtaient à miser sur le hasard pour améliorer leur existence.
Jérémie compta vingt-deux clients chez Dupaquier, le traiteur-charcutier d’où s’échappaient des fumets aptes à convertir un végétarien, et une bonne dizaine dégustant un morceau de fromage avec un verre de vin au Panier voyageur.
Il fit demi-tour et remonta la rue. Le soleil rasant faisait ressortir les jambages de pierre sculptés, les pilastres, colonnettes, chapiteaux et autres éléments d’architecture romane des façades. Beaucoup de monde également chez Wolff, l’excellent opticien, sans doute en quête d’une meilleure vue. Mais verraient-ils seulement plus clair dans leur vie ?
Il y avait trente-quatre attablés à la terrasse de Germain, le pâtissier- chocolatier dont la réputation s’étendait au-delà des monts du Beaujolais. Jérémie sourit. L’homme, se dit-il, s’abandonne à la gourmandise quand son âme ne songe qu’à satisfaire le corps.
Il bifurqua à droite dans la rue Municipale en direction de l’abbaye, passa devant le Café du Centre au décor Belle Époque, où il dénombra vingt-huit clients répartis entre la terrasse et la salle. Les amateurs de vins semblaient encore plus nombreux au Cellier de l’Abbaye. Parvenu sur la place de l’Abbaye, il contourna la vaste terrasse de la Brasserie du Nord, pleine à craquer – au moins soixante-dix consommateurs –, et enfila la rue du 11-Août-1944, la rue Mercière et la rue de la Barre. L’agence de voyages promettait à ses clients de découvrir d’autres cieux, ce qui fit sourire Jérémie.
En face, il y avait du monde également à l’autre cellier, Au plaisir dit vin. Drôle de jeu de mots pour un breuvage altérant notre état de conscience sans jamais parvenir à l’élever. La rue déboucha quelques mètres plus loin sur la place de l’église ensoleillée. Quelques paroissiens bavardaient sur le parvis. Jérémie les salua en passant puis poussa la porte capitonnée. Elle se referma sur lui dans un bruit feutré de soufflet tandis qu’il pénétrait dans l’espace froid.
À l’intérieur, l’atmosphère sombre était imprégnée d’une odeur de pierre humide légèrement teintée d’encens. Jérémie traversa la nef par un bas-côté en direction du choeur. Ses pas ne troublèrent point le silence qui régnait en maître dans l’édifice. Il se glissa dans la sacristie puis attendit dans la pénombre. Les cloches retentirent et il écouta leurs tintements jusqu’au dernier, qui résonna longtemps sous les hautes voûtes de pierre. Il se dirigea alors lentement vers l’autel faisant face à l’assemblée. Les colonnes s’élançaient vers les voûtes d’ogives, attirant le regard et l’esprit vers le haut, se succédant dans un alignement magistral, se rejoignant en d’immenses arcs brisés sur toute la longueur de la nef. Tout dans l’église semblait gigantesque, dessinant un espace d’un volume prodigieux dans une atmosphère solennelle. Les bas-côtés et même la partie centrale de la nef étaient plutôt obscurs, mais en levant les yeux on trouvait la lumière, une lumière éclatante qui inondait les voûtes d’une clarté presque surnaturelle.
Jérémie descendit son regard sur l’assemblée des fidèles.
Douze.
Douze personnes avaient pris place sur les chaises. Éparpillées dans les premiers rangs.
Il commença la messe.

 

Chapitre 2

Après l’office, Jérémie raccompagna les paroissiens sur le parvis. Le soleil se reflétait sur le sol garni de vieux pavés mal jointoyés et illuminait les façades médiévales de la petite place.
Deux dames d’âge avancé l’entourèrent et échangèrent avec lui sur l’organisation des bonnes oeuvres. Victor, le vieux vigneron à la retraite, s’approcha et lui tendit un écrin.
— Tenez, mon père, laissez-moi vous offrir ceci.
Connu de tous à Cluny, surnommé « le Châtelain », il était reconnaissable de loin par son allure imposante bien qu’un peu démodée, son éternelle veste en tweed à chevrons sur le dos, des traits affirmés et d’indomptables cheveux blancs à la Karajan. Désormais à moitié sourd, il compensait cette faiblesse par une autorité de façade qui cachait mal sa générosité naturelle, et un embonpoint qui lui permettait d’occuper l’espace malgré une taille modeste.
Jérémie ouvrit l’écrin.
— Une montre ?
— N’y voyez aucun message ! J’ai juste remarqué que vous n’en aviez pas.
— Mais c’est une très belle montre…
— Comment ?
Son ami Étienne vint à son secours malgré son bégaiement. Mince et de petite taille, il avait un visage aux traits doux, les cheveux ivoire peignés sur le côté, et un regard exprimant une profonde gentillesse. L’association improbable d’un sourd et d’un bègue était moins burlesque qu’elle n’en avait l’air : le handicap d’Étienne, très marqué en conversation intime, s’amenuisait quelque peu quand il se trouvait obligé de projeter sa voix pour se faire entendre de Victor.
— Monsieur l’abbé te dit… qu’elle est… t… très belle ! lui cria-t-il dans l’oreille.
— Ah… française, fabriquée en Franche-Comté. L’une des dernières…
Étienne était un ancien employé du vigneron. Les années avaient peu à peu gommé la distance hiérarchique et, depuis la retraite, Victor acceptait même qu’il le tutoie. Il arrivait qu’une broutille insignifiante amenât le Châtelain à exploser et déverser sa colère sur lui, mais cela faisait rire Étienne, très doué pour relativiser les débordements de son ancien patron. Ils avaient tous deux passé la main à la génération suivante, la fille aînée du Châtelain s’étant associée au fils d’Étienne. Du temps des parents, le vin piquait un peu – les mauvaises langues disaient qu’ils lavaient mal les tonneaux – mais il s’était bien vendu à une époque où les Français buvaient encore du vin de consommation courante. Aujourd’hui, il ne survivrait plus. Les enfants avaient beaucoup travaillé à l’améliorer et y étaient parvenus au prix d’efforts soutenus. Il était maintenant très apprécié dans la région mais sa réputation n’allait guère au-delà de Mâcon.
— C’est très gentil, dit Jérémie en poussant sa voix pour se faire entendre.
— Acquise chez Pradille, rue Mercière, l’un des rares horlogers à savoir encore démonter un mouvement pour le réparer…
— Bonjour, mon père, dirent presque en choeur Germaine et Cornélie.
C’était deux petites vieilles connues pour leurs médisances et que tout le monde en ville surnommait « les deux bigotes ». Germaine, l’oeil vif et les cheveux teints en noir, le nez plutôt fort et un peu recourbé, affectionnait les longues jupes-culottes en velours sombre portées avec des socquettes blanches qui rappelaient les racines de ses cheveux. Cornélie, elle, se fondait dans le paysage tant par sa personnalité effacée que par son apparence : cheveux teints en beige jaunâtre, cardigan beige, jupe plissée beige descendant bien bas, mocassins de cuir beige à picots. Elle se laissait parfois aller en s’accordant une note de fantaisie : un serretête en velours vert.
Jérémie les salua, puis il prit congé et rentra dans l’église. Il traversa la nef en balayant du regard tous ces bancs vides et une fois dans la sacristie, retira son étole et sa chasuble. Des bruits de pas feutrés et un léger froissement d’étoffe attirèrent son attention. C’était l’une des soeurs qui vivaient en communauté dans une aile du presbytère. Il s’approcha et lui tendit l’écrin.
— Vous la vendrez et donnerez l’argent aux pauvres, dit-il.
La soeur prit l’objet en souriant.
Il se souvenait du curé d’Ars, au XIXe siècle, qui avait ainsi donné aux oeuvres une montre reçue en cadeau. L’ayant appris, le donateur lui en avait offert une autre, puis encore une autre, jusqu’à ce qu’il comprît que le curé ne la garderait jamais pour lui. Il avait alors décidé de lui en prêter une et avait eu enfin la satisfaction de le voir la porter. Jérémie considérait souvent le curé d’Ars comme son mentor.
Jérémie s’engagea dans l’étroit escalier en colimaçon du clocher et en gravit toutes les marches jusqu’à se trouver au-dessus du beffroi, dans le petit espace à l’air libre sous la coupole. Il montait souvent s’isoler là-haut, prendre un peu de recul et respirer.
Il s’assit sur le rebord. L’air frais sentait bon la nature et les arbres. On jouissait ici d’une vue plongeante sur les toits de Cluny, des toits recouverts de vieilles tuiles dont les couleurs rappelaient l’écorce rouge sombre des fruits de la passion, des tuiles plates et aussi des tuiles rondes évoquant le Sud proche. Un rouge qui contrastait avec le bleu éclatant du ciel. De là-haut, le regard portait jusqu’aux collines couvertes de forêts qui entourent la cité médiévale.
Douze personnes…
Il était jeune, avait la vie devant lui, et la consacrait à dire la messe pour… douze personnes. Il prit une longue inspiration silencieuse. Lui qui se voyait guider les gens sur le chemin de l’éveil, les nourrir spirituellement, les conduire à la joie… Douze personnes. Il se reprocha immédiatement cette pensée : n’était-ce pas l’orgueil qui l’amenait à se lamenter ainsi ? Ne rêvait-il pas d’attirer à lui un large parterre de fidèles ? Il secoua la tête. Non, sa sincérité était réelle, sa motivation pure, dénuée d’intérêt personnel. Une vraie vocation. Mais comment accomplir sa vocation auprès d’un auditoire inexistant ? Douze paroissiens, pour la plupart des petits vieux, dont la moitié venait juste par tradition et l’autre par une sorte de superstition craintive, la mort approchant…
Jérémie suivit des yeux le vol d’un oiseau qui rasa les toits puis disparut derrière le clocher de l’abbaye dressé dans le ciel bleu. L’abbaye, ou plutôt ce qu’il en restait. En bonne partie détruite à la Révolution, elle avait servi de carrière de pierres aux villageois… Dire que c’était autrefois l’un des hauts lieux de la chrétienté, d’un ordre religieux régnant sur mille deux cents abbayes et prieurés partout en Europe, rassemblant près de dix mille moines. Le pouvoir de son abbé était considérable, directement rattaché au Saint- Siège et plusieurs papes furent d’ailleurs issus de Cluny. Qu’en restait-il aujourd’hui ? Douze fidèles perdus dans une église bâtie pour en accueillir quatre cents.
Il inspira profondément l’air pur. En bas, tout en bas, on voyait en miniature des gens passer dans la rue commerçante et les ruelles adjacentes. Il les regarda, longtemps, pensant à toutes ces âmes qu’il aimerait contribuer à éveiller, si seulement elles venaient à lui. Mais pour ça il faudrait un sursaut de conscience, l’intuition qu’il existe autre chose que l’argent et les plaisirs ordinaires, le shopping, les jeux vidéo, le sexe et la télé… Était- ce seulement encore possible ? Il avait l’impression d’être l’un des derniers représentants d’une religion en voie de disparition, sa motivation était en berne, et le sentiment de son inutilité dans ce contexte lui pesait.
Il repensait parfois à cette visite d’une mine de charbon, quand il était encore en master de développement durable. Le directeur ne comprenait pas qu’il défendait une énergie du passé. Il continuait comme si de rien n’était, parlait de son activité comme s’il ignorait avoir de moins en moins de clients, de moins en moins d’ouvriers, et qu’à terme sa mine était condamnée à disparaître. Jérémie en avait ressenti de la pitié pour lui. Et aujourd’hui, il se demandait s’il n’était pas dans la même situation. Sauf que le charbon était mauvais pour les hommes. La mine les faisait descendre dans les entrailles de la terre et quand on les retrouvait, le soir, ils étaient tout noirs. Que cela disparaisse était peut- être le signe d’une évolution positive. Mais la spiritualité, elle, élève les hommes, les tire vers le haut. Si cela disparaît, que restera-t-il ?
Jérémie soupira. Il se sentait impuissant, découragé, désoeuvré, Et pourtant, d’une certaine façon, il acceptait sa déprime. Quelque part, tout au fond de lui, il le pressentait : c’est des ténèbres les plus sombres que jaillit la lumière.

 

Chapitre 3

Les portes se refermèrent dans un souffle sur la voisine du dessous qui venait d’embarquer et l’ascenseur reprit sa descente. Blonde, à l’apparence très travaillée, pour ne pas dire ultra sophistiquée. Furieuse, Alice fixa les chiffres lumineux des étages qui défilaient, en serrant la petite main de son fils. Pourquoi son mari venait-il de sourire comme ça à cette pétasse ? Facile d’être belle quand on n’a pas d’enfant à gérer, qu’on peut consacrer la moitié de son salaire à ses fringues et une heure et demie le matin à son maquillage. Et son mari qui tombe dans le panneau. Insupportable.
Les portes s’ouvrirent au rez-de-chaussée. La belle tourna ses hauts talons vers la sortie, son petit sac à main Gucci sur l’épaule. Alice traîna son fils et sa Delsey vers la borne de taxis. Paul suivait, un sac de voyage dans une main, le téléphone portable dans l’autre, lisant ses e-mails ou la presse en ligne en marchant.
Deux heures plus tard, ils garaient la voiture louée à la gare TGV de Mâcon devant la maison de son père, à Cluny. Une demeure du XVIIIe siècle avec de hautes fenêtres blanches à petits carreaux, des volets vert Provence et une jolie façade de chaux rose pâle noyée dans la glycine. Théo se précipita et s’excita sur la sonnette. Son grand-père lui ouvrit et le garçon fila entre ses jambes.
— La balançoire l’intéresse plus que moi, dit le vieil homme en riant. Vous avez fait bon voyage ?
Alice embrassa son père. Paul lui serra la main. À chaque visite, elle était heureuse de le voir si serein malgré son âge avancé. Son visage était lumineux, parsemé de nombreuses rides qui s’étiraient harmonieusement autour de ses pupilles bleues, sous des cheveux blancs très fins.
Ils entrèrent et saluèrent Madeleine, la mère de Jérémie, qu’ils trouvèrent une tasse de thé à la main. Paul disparut dans les étages avec les bagages.
— Je ne reste pas, dit Madeleine en se levant. Je vous laisse en famille.
— Mais non, restez ! dit Alice.
— Je ne vais pas vous embêter avec mes histoires. Je racontais à ton père mes soucis pour Jérémie. Je suis inquiète pour lui, tu sais…
Elle se dirigea vers la porte.
— Papa m’en a touché deux mots.
Arrivée au seuil de la porte, la vieille femme se retourna et regarda Alice, songeuse, un sourire triste sur les lèvres.
— Dire qu’il était tiraillé entre son amour pour Dieu et son amour pour toi… D’ailleurs, il t’idolâtrait comme une déesse ! Si seulement il t’avait choisie, il n’en serait pas là.
Alice, médusée, la regarda s’en aller.
— Tu prends du thé, ma chérie ? cria son père depuis le salon.
— J’arrive.
Dans son esprit, tout défilait à toute allure. Des années en arrière, vague souvenir, Jérémie avait tenté de la séduire, en effet. Plutôt maladroitement, d’ailleurs. Elle n’avait pas joué avec ses sentiments, ne lui laissant pas d’espoir : elle était très attachée à leur amitié mais la relation n’évoluerait pas sur un autre plan. Il n’avait pas mal réagi, n’avait montré aucune émotion particulière, et leur amitié avait en effet continué comme si de rien n’était. Juste une attirance passagère, en avait-elle conclu. À l’âge où l’on se croit facilement amoureux de ceux que l’on côtoie. Elle était loin d’imaginer qu’il ait pu être à ce point épris d’elle. À quel moment cela était-il arrivé ? Peut-être avant son entrée au séminaire, en effet.
Alice se mordit les lèvres nerveusement.
Elle repensa à la crise personnelle qu’elle avait vécue, plus tard, au moment du deuil. C’était peu de temps après, en fin de compte. Et Jérémie l’avait épaulée, écoutée, aidée… comme si de rien n’était, malgré son amour contrarié.
— Tiens, ma chérie, tu es servie.
— Merci papa.
Alice porta machinalement la tasse à ses lèvres et se brûla la langue. Aveugle, voilà ce qu’elle était. Aveugle aux sentiments passés de Jérémie, et maintenant aveugle à sa déprime. Elle l’avait régulièrement revu, lors de ses week-ends à Cluny, sans jamais rien remarquer. Rien. Sa vie professionnelle la détournait de ses amis les plus proches…
Elle se trouvait subitement égoïste. Le coeur serré, elle repensa à la chaleur avec laquelle il avait accueilli son mari. Un saint homme, ce Jérémie. Elle se devait de l’aider à son tour, faire quelque chose. N’importe quoi mais quelque chose, pour qu’il aille mieux. Il le méritait. Et elle lui devait bien ça.

*

* *

— Tu m’emmènes où ? demanda Jérémie en riant. Je n’ai pas l’habitude de me faire kidnapper en sortant du presbytère !
La petite Peugeot rouge de location filait à vive allure en sortant de Cluny, par la départementale.
— À Chapaize. Au Saint Martin.
— On va à Chapaize rien que pour déjeuner ?
— Ça va, c’est pas le bout du monde, on y est en un quart d’heure. On sera plus tranquilles qu’à Cluny où tout le monde te connaît.
— Ta famille nous rejoint ?
Alice secoua la tête.
— Paul se repose à la maison. Il initie Théo au dessin, sa seule passion en dehors du droit.
Quelques minutes plus tard, la petite voiture traversait la campagne vallonnée, les vignobles couronnés de collines arborées. Alice baissa sa vitre. Un air merveilleusement parfumé s’engouffra dans l’habitacle.
Ils se garèrent à l’entrée du paisible village, qu’ils traversèrent à pied avant de s’installer au soleil à la petite terrasse du Saint Martin, juste en face de l’église romane au magnifique clocher carré dressé vers le ciel.
Chapaize était un village très authentique aux vieilles maisons de pierre, certaines couvertes de chaux à l’ancienne aux teintes douces, souvent agrémentées de galeries et de pigeonniers et parcourues de glycine ou de bignone.
— Tu viens souvent ici ? demanda Jérémie.
— Assez souvent, oui. J’adore ce restaurant !
Ils s’assirent en terrasse et passèrent commande.
On leur apporta de suite le vin blanc choisi. En Bourgogne, il est de coutume de le boire en apéritif.
Elle leva son verre.
— Au péché de gourmandise que nous allons commettre ce midi !
Ils trinquèrent et elle but une gorgée. Mumm… divin.
— Meilleur que du vin de messe, je présume ?
Jérémie se contenta de sourire.
Le silence s’installa.
— J’ai croisé ta mère…
Pas de réaction.
— Elle… est inquiète pour toi, dit- elle.
— Les mères sont toujours inquiètes.
Silence.
De l’autre côté de la ruelle, la cloche de l’église sonna un seul coup, et le son vibra longtemps, s’affaiblissant lentement jusqu’à s’éteindre. Un grand calme régnait dans le village, et le sentiment que le temps s’y était arrêté. En cette fin du mois de mars, le fond de l’air était frais mais le soleil éclatant chauffait doucement le visage, comme il chauffait les pierres blondes du clocher et de la façade à arcature.
Elle attendit en silence un long moment, puis se jeta à l’eau.
— Moi aussi je suis inquiète pour toi.
— Tout va très bien, répondit-il un peu trop précipitamment.
Alice fit la moue.
— Jérémie, pas besoin d’être psy pour voir que ça ne va pas…
Il resta d’abord silencieux, mais l’habileté d’Alice finit par venir à bout de sa réserve, et il confia son malaise, sa démotivation due essentiellement au nombre dérisoire de fidèles qui restreignait complètement sa mission, la limitant à un champ d’action tellement insignifiant qu’il se sentait inutile. Il confia aussi son sentiment d’impuissance, son impression que les messages du Christ ne passaient pas, que ses propres paroissiens ne les intégraient pas véritablement dans leur vie quotidienne.
Alice le laissa parler, ne pouvant que compatir à son désoeuvrement : qui, en effet, pourrait continuer d’exercer une mission dont l’utilité serait aussi improbable ?
Quand il eut fini de s’épancher, le silence retomba, et rien dans l’environnement si calme ne vint le perturber. L’église en face semblait endormie, bien qu’illuminée généreusement par le soleil.
— Je peux faire quelque chose pour toi, dit Alice. Si tu me laisses faire, je vais revoir complètement ta stratégie marketing. C’est mon métier.
— Ma stratégie marketing ?!!
Il faillit s’étrangler.
— Ce n’est pas un gros mot, tu sais…
— Il s’agit d’une église, Alice, pas d’une entreprise. Et je n’ai rien à vendre.
— Je veux juste étudier la façon dont tu parles aux gens, et voir comment on peut l’adapter à leurs attentes, quoi.
— À leurs attentes ? dit-il avec une certaine distance.
— Écoute, il y a sûrement moyen de faire quelque chose, de parvenir à toucher les gens en s’y prenant différemment.
Jérémie leva un sourcil et sourit tristement.
— Je suis touché par ta bonté, mais comment peux-tu espérer m’aider dans ce domaine qui t’est totalement inconnu ? Tu n’es même pas croyante…
Alice fit la moue.
— Aucun problème, mentit-elle. J’ai l’habitude d’intervenir dans les domaines inconnus. C’est le propre de mon métier. Il faut juste que je m’approprie un peu le truc. Fastoche.
Devant son air dubitatif, elle ajouta :
— Tu crois que je suis spécialiste des lasagnes ? de la pâte à tartiner ? de l’automobile ? Non. Ça ne m’a pas empêchée de conseiller Findus dans le scandale des lasagnes au cheval, Ferrero pour les phtalates dans le Nutella, ou Volkswagen pour le trucage des émissions polluantes.
— Je te remercie de m’assimiler aux cas désespérés…
Alice se força à sourire, puis reprit son verre et en but lentement une gorgée en regardant Jérémie.
— De toute façon, reprit-il, les exemples que tu cites sont tous des problèmes issus de la vente de produits. C’est du concret, du matériel. Je ne pense pas que tu sois compétente pour les choses de l’esprit. Le spirituel n’a rien à voir avec le matériel.
Alice se sentit vexée au plus haut point. Pour qui la prenait-il ? Tout juste bonne à s’occuper de la pâte à tartiner ?
Elle qui était si fière de son titre de consultante, elle qui était respectée dans son domaine, elle qui négociait pour décrocher un énorme contrat international. Elle qui formulait quotidiennement des conseils impactant des milliers de clients…
— Rappelle-moi combien tu as de fidèles ?
Il leva les épaules en signe d’impuissance.
— Il n’y a rien qui puisse être fait. C’est une cause perdue, oublie.
Elle se sentit comme une enfant se croyant capable de traverser un lac à la nage, et à qui l’on fait comprendre qu’elle se leurre totalement.
La dernière fois que quelqu’un lui avait prédit un échec, elle venait d’entrer dans son cabinet comme stagiaire. Elle avait osé formuler des propositions pour un client alors qu’elle était censée se contenter de rédiger des comptes rendus de réunions. On l’avait gentiment remise à sa place : sa proposition ne tenait pas la route, le client n’en voudrait pas. Elle avait insisté, sûre de la valeur de ses idées, et s’était battue pour avoir le droit de les présenter au client. Non seulement celui- ci les avait retenues, mais leur mise en oeuvre s’était avérée un franc succès. Son stage s’était transformé en CDI.
Je ne pense pas que tu sois compétente pour les choses de l’esprit.
Dur à avaler…
— Donne-moi deux mois, et je trouverai le moyen de doubler le nombre de tes fidèles !
Il leva les yeux.
— Je ne vois pas comment tu pourrais faire ça, et quand bien même… Passer de douze à vingt-quatre ne changerait pas grand-chose, tu sais…
Elle le regarda droit dans les yeux.
— Cent ! Tu t’engages à suivre mes conseils, et je t’amène cent personnes dans l’église !
Il soupira tristement.
— Tu t’égares, Alice. C’est impossible. Tu t’illusionnes complètement. On n’est pas dans le monde des affaires, ici. Ce que tu fais en entreprise n’est pas transposable à l’église.
Plus il remettait en question sa parole, plus elle ressentait l’envie furieuse de démontrer ses talents.
— Je fais le pari que j’y arrive.
— Je ne vois même pas comment tu t’y prendrais, sur quoi tes conseils pourraient porter…
— C’est trop tôt pour le dire. Mais je trouverai, c’est mon métier.
Il ne répondit rien.
— Tu paries ?
— Avec ce que l’on collecte dans les troncs, que veux-tu que je parie ?
Elle lui adressa son plus beau sourire.
— Une bise le jour de l’an !
Il eut un sourire nostalgique, puis finit par murmurer :
— D’accord.
Elle leur resservit du vin et ils trinquèrent.
Elle but une gorgée en savourant la satisfaction de l’avoir convaincu.
Maintenant, il allait falloir se retrousser les manches. Et elle se demandait bien comment elle allait s’y prendre.
Le domaine était nouveau pour elle, et le défi, énorme, comme l’estimait Jérémie. Mais le principal problème était ailleurs…
Comment le lui avouer ?
Elle but une seconde gorgée.
Non seulement elle était athée, profondément athée, mais surtout elle était allergique à tout ce qui touche au religieux, avait en horreur les bondieuseries, et se sentait très mal à l’aise dès qu’elle mettait les pieds dans une église.

Extrait du dernier livre de Laurent Gounelle Et tu trouveras le trésor qui dort en toi aux Editions Kero.

Photo Philippe Matsas-kero
Auteur Laurent Gounelle

Yasmine Liénard : Oser la tendresse

À l’évocation de la tendresse, une image concrète me vient à l’esprit, celle de la guimauve. Parce que l’on peut y enfoncer ses doigts sans qu’elle résiste, la guimauve, tout comme une balle antistress, accueille tous nos gestes et pressions. Elle n’est pourtant pas dénuée d’existence puisqu’on peut ressentir sa consistance au toucher. On peut la pétrir sans l’abîmer.

Ainsi cette métaphore me semble bien adaptée pour décrire la qualité de tendresse d’un cœur humain, qualité que nous avons tous et que nous pouvons cultiver. Être tendre, c’est accueillir l’autre à bras ouverts, mais aussi les événements de la vie, sans résister afin de se laisser imprégner par le cours des choses. Mais c’est aussi exister pleinement et offrir sa propre consistance sans se laisser altérer. Devenir “La maison d’hôte” dont parle Rûmî dans son poème*.

Il est très difficile d’être tendre car nous cherchons plutôt à nous protéger.
Nos peurs souvent imaginaires nous ferment à cette qualité d’ouverture et nous incitent à penser, à tort, que nous allons perdre quelque chose de nous-mêmes. La tendresse peut être ainsi reléguée au rayon des sentiments mièvres, comme les chansons qu’on qualifie d’ailleurs de “guimauve”. Le risque est de nous assécher et de devenir une forteresse impénétrable, dur envers les autres et envers soi.

Pour retrouver en nous cette qualité, nous pouvons accueillir notre monde intérieur : peurs, maladresses, solitude, sur un nuage affectueux pour que cela fasse partie de notre communauté d’expériences. Thich Nhat Hanh, ce moine engagé dans la paix, parle si bien de cette tendresse : « Embrassez tendrement votre douleur », suggère-t-il et prenez-la comme un bébé dans vos bras. Fabrice Midal, philosophe bouddhiste a, quant à lui, publié un livre dont le titre La Tendresse du monde : L’art d’être vulnérable, pose la question de la tendresse comme préalable à notre authenticité, notre joie réelle et notre liberté. En traversant nos émotions, sans les considérer comme des obstacles mais comme des indices sur notre monde intérieur, nous apprenons à aimer notre humanité par-delà notre masque social, et à déployer notre vraie nature. Nous pouvons alors, sans nous abîmer, ni abîmer les autres, aller à la rencontre du monde.

© Photographie : Laure Bonnal

Tribune extrait de Happinez n°2 p.41

Paroles inspirées de… Boris Cyrulnik

Renaître

Renaître fait partie de la définition de la résilience. On ne peut parler de résilience que si on a vécu un traumatisme psychique qui nous a mis en agonie psychique. Beaucoup de personnes restent en agonie psychique après un traumatisme, tant ils sont malheureux ou tant c’est fort. Mais à l’opposé, il y a des gens qui se remettent à vivre après l’agonie psychique. Ils ne reprennent pas la vie qu’ils avaient avant puisqu’ils ont une trace du traumatisme dans leur corps, dans leur cerveau et dans leur mémoire. Ils se remettent à vivre d’une autre manière, parfois très bien, parfois bien et comme tout le monde parfois bien et parfois plus difficilement. Ce que je viens de vous proposer là, c’est la définition de la résilience : la reprise d’un nouveau développement après une agonie psychique. On m’a dit que c’était une définition presque religieuse, ce qui ne me surprend pas, et qui me fait plaisir, parce qu’effectivement, il n’y a pas beaucoup de vies sans traumatismes, il n’y a pas beaucoup d’affections sans déchirures, et il n’y a pas beaucoup d’aventures sociales sans échecs. On a tous notre part de souffrance et la souffrance fait partie de l’existence. Cette définition de la résilience parle à beaucoup de gens et consiste à se dire : comment se remettre à vivre après un moment d’agonie psychique.

“Il n’y a pas beaucoup de vies sans traumatismes, il n’y a pas beaucoup d’affections sans déchirures.”

Rayonner

Quand quelqu’un a acquis la confiance en lui par l’amour et l’affection reçus, émane alors de lui le plaisir de parler, le plaisir de rencontrer… Maintenant, chez les enfants dans les crèches, on compte le nombre d’amis qu’ils ont ou qu’ils savent nommer. Et on constate qu’à l’école par exemple, un enfant qui nomme beaucoup d’amis est un enfant qui se sent bien et qui a une paix intérieure. Un enfant qui se sent bien a confiance en lui : Je suis aimable puisque j’ai été aimé et je vais vers les autres et je vais leur exprimer par des mots, des gestes, des offrandes alimentaires, des sourires, mon plaisir d’être avec eux et le plaisir est très contagieux. Ces enfants là auront beaucoup d’amis qui vont les renforcer dans leur rayonnement.

“Un enfant qui nomme beaucoup d’amis est un enfant qui se sent bien et qui a une paix intérieure.”

Paix intérieure  

Beaucoup de gens confondent paix intérieure avec bonheur. Cette notion de bonheur est une utopie qui a été inventée en 1789, au moment de la Révolution française, où Saint-Just a dit « une société bien organisée doit fournir le bonheur aux gens qui habitent cette société. » Et ça a été le départ des utopies tragiques… En revanche, le bonheur est associé au malheur et on sait que neurologiquement, on peut se provoquer des moments de bonheur en étant victorieux du malheur. Regardez les grimaces des gens qui font du jogging, ils souffrent tout le temps, après il prennent une douche, et qu’est-ce qu’ils sont heureux ! C’est vrai qu’après avoir souffert d’un jogging, on se sent parfaitement bien. Regardez les joueurs de rugby, ils reçoivent des coups, ils ont le nez cassés, ils ont la lèvre ouverte… et ils rigolent tout le temps ! Qu’est-ce qu’ils sont heureux ! Parce qu’ils ont transformé le malheur en bonheur. Et si vous me croyez pas allez dans les musées, allez au Mucem, et vous verrez que la plupart des œuvres d’art sont des victoires contre le malheur, un Christ en croix qui ressuscite, le Radeau de la méduse où les marins deviennent des êtres moraux… Une œuvre d’art a le pouvoir de métamorphoser la souffrance en bonheur.

“On peut se provoquer des moments de bonheur en étant victorieux du malheur.”

Propos recueillis par Nathalie Cohen pour Happinez © Tous droits réservés.