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Un chemin de résilience, de la maladie à l’amour de la vie

Catégorie(s) : Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Happi.Body, Santé, Rencontres, Livres, Rituels

Styliste et créatrice de formation, Charlotte Husson a créé, en 2015, sa marque Mister K, un vestiaire engagé en quête de sens, de transparence, d’authenticité, dont elle reverse chaque mois 5 % des ventes à l’hôpital Gustave Roussy, premier centre de recherche contre le cancer en Europe. Dans son livre L’impossible est mon espoir (éditions Marabout), la lauréate du Réseau Entreprendre Paris, relate l’épreuve la plus difficile – et en même temps la plus enseignante – qu’il lui a été donné de vivre : son propre cancer. Avec justesse et humour, elle nous présente ici ce récit marqué par une détermination sans limites et un désir de vivre à toute épreuve qui l’ont finalement menée à la résilience.

 

Happinez : Qui est ce “K” qui a chamboulé votre vie, à l’aube de vos 27 ans ?

Charlotte Husson : Vous vous souvenez de la dernière scène de Titanic ? Avant de couler, le paquebot disloqué se dresse une dernière fois, dans le vacarme terrifiant des machineries qui explosent et des corps qui plongent dans le vide de l’océan glacé. Leonardo DiCaprio et Kate Winslet sont accrochés au bastingage, dans un ultime sursaut d’espoir… mais l’abîme les aspire, irrésistiblement. Ils coulent et le savent, impuissants.

Voilà, c’est très exactement la sensation que j’ai eue lorsque, à 27 ans, on m’a appris que j’étais atteinte d’un “carcinome des ovaires, stade 3, grade 1”. Le jargon était d’abord médical pour mieux banaliser, vainement, que c’était un cancer, nom de code hospitalier “K”. Et puis le Professeur n’y alla pas par quatre chemins en m’assénant le diagnostic, dans l’idée d’être efficace, de ne pas perdre de temps et, somme toute sans fioriture, me sauver. Dans la foulée, il me conseilla sans ciller de considérer l’ablation des organes infectés, après “quelques” cures de chimio. Au fond du gouffre, les portes de l’enfer médical !

Voilà comment, en cinq minutes à peine, je suis passée d’une vie insouciante et heureuse au plus noir des abîmes. La trouille de me faire opérer, de perdre mes cheveux – perspective terrifiante non envisageable ! –, le spectre de la mort et puis finalement le pire, si j’en réchappais, mon infertilité définitive… Tout cela venait d’entrer avec une violence inouïe dans ma psyché. Mon premier réflexe, animal, a été de vouloir étrangler le grand Prof. qui venait de faire preuve d’une absence totale d’empathie et de commisération.

Pourtant avec le recul, quand j’y repense aujourd’hui, c’est-à-dire le moins souvent possible, je me dis que c’était la bonne méthode. Je préfère tout savoir immédiatement d’une mauvaise nouvelle pour mieux reprendre le contrôle de ma vie, plutôt que faire l’autruche, ou passer pour une bécasse prise au dépourvu !

Ah ! au fait, le grand Prof. et son équipe m’ont remarquablement bien opérée et mon oncologue a été génial, mais on n’a pas pu identifier l’origine et le déclencheur de ce ”K”, c’est bien la seule chose que je ne saurai jamais.

Happinez : Comment êtes-vous parvenue à retrouver le chemin de la vie ?

Charlotte Husson : Les ami(e)s, les potes depuis toujours, mes parents, tous ceux qui m’aiment, ont fait bloc instantanément. Ils furent mes indispensables flammes, étoiles, lucioles et tout ce que vous pouvez imaginer, qui représente une lueur au bout d’un tunnel.

Mis à part le noyau dur, indestructible, de l’entourage, je garde un souvenir ineffaçable de magnifiques rencontres à l’Hôpital (Pompidou). Des infirmières incroyablement humaines et dévouées, presque maternelles pour les plus âgées et puis, une jeune femme médecin, m’ont portée à bout de bras jusqu’à la fin des traitements. La présence apaisante de cette dernière signifiait « Bon ! On ne lâche rien, je vais vous aider sur le chemin de la guérison ». Sans compter un C.V “Bac +15” en chirurgie gynéco-cancérologique, elle possède un sens inné de l’empathie, de la transparence, de l’écoute, de la relation à l’autre, ainsi qu’un don pour valoriser le verre toujours à moitié plein. Elle répondait à toutes mes questions angoissées avec calme et pédagogie. De fait, elle me projetait sur le calendrier un plan de lutte avec des échéances terrifiantes, mais claires. Mine de rien, avoir des repères temporels, validés par une autorité en qui j’avais remis ma confiance, signifiait que l’avenir avait toujours un sens.

Mais comment, moi seule, ai-je fait ? Ça je ne le sais pas vraiment ! Ou plutôt si, je sais que je suis affublée d’un drôle de syndrome qui m’a paradoxalement aidée. Je suis HSP – “Highly Sensitive Person” – il ne faut pas en rire, c’est très sérieux. Comme tout HSP, je suis inapte à la rationalité, mais dans un lobe hypertrophié de mon cerveau logent l’intelligence émotionnelle, l’élan irraisonné vers certains, la défiance injustifiable envers d’autres, le foisonnement des sensations ou encore la prémonition instinctive. Je pleurais tous les soirs, et pourtant, le lendemain matin la machine se remettait en route d’elle-même. Ce n’était ni de la force ni du courage – j’avais tellement peur –, mais uniquement l’instinct quasi animal de survie et la prémonition que je n’en avais pas fini avec la vie.

Happinez : Quel rôle l’entourage joue-t-il dans cette période incertaine ?

Charlotte Husson : Un rôle absolument essentiel pendant ce marathon terriblement épuisant pour tout le monde. Comme rien n’est simple avec une HSP, j’avais besoin de choses évidemment contradictoires.

D’une part, je voulais que tous ceux qui m’aiment continuent à vivre normalement en ma présence, sans s’apitoyer ou en prenant des mines théâtrales pleines de faux-semblant. L’entourage, dont mes copines et mes potes, devait regarder droit devant avec moi, ce qu’ils firent naturellement. Les garçons ont continué à jouer aux “beaux gosses”, et les copines ont dû bavarder sans fin avec moi, la vraie vie quoi ! Du reste les soirs après chimio, je les retrouvais systématiquement au restaurant ou bien j’allais danser. Sous cortisone quand la nuit tombe, tout va bien, mais le lendemain j’étais une loque, forcément ! Pourtant, les sentiments de liberté et de normalité, retrouvés grâce à tout mon entourage, n’avaient pas de prix.

D’autre part, lorsque je traversais un trou noir – un pic de souffrance physique couplé au spectre de la mort qui rôde –, il leur fallait alors venir immédiatement me voir, pour que je ressente leur présence. Des sortes de “cellules psychologiques” d’urgence étaient ainsi ouvertes, où, cette fois, ils ou elles pouvaient se laisser aller à m’écouter gémir. Un dîner était improvisé en musique et, presque toujours, la gaieté reprenait le dessus… jusqu’à la prochaine crise. Personne ne m’a jamais fait défaut.

Ils ont été tellement formidables qu’à l’issue des traitements, je ne m’étais pas rendue compte combien j’avais puisé dans l’immense crédit d’amitié qu’ils m’avaient ouvert. Je suis sortie des décombres, lessivée, soulagée mais aussi pleine de colère. J’en voulais inconsciemment, et surtout injustement, à mes amies, mes sœurs de cœur, d’attendre des bébés. Elles en ont eu marre de devoir bluffer ou parler d’autre chose en ma présence. Je venais d’échapper à la mort en étant invivable ! Et puis, un beau jour, j’ai reçu de mes amies une lettre, signée collectivement, qui me suppliait de redevenir celle que j’étais “avant”. J’ai pleuré de bonheur en lisant cet électrochoc. Les plus belles amitiés doivent être sans complaisance et vigilantes, sinon ce n’est que de l’entre-soi hypocrite.

Happinez : Quels ont été les fruits de votre résilience ? 

Charlotte Husson : Je crois bien que le marqueur symbolique de ma résilience fut cette lettre reçue de mes amies. On sait que la résilience, c’est la faculté et l’élasticité qu’aura un métal à retrouver sa forme originelle, après un gros choc. Le phénomène psychique, c’est pareil et c’est exactement ce que mes amies me suppliaient de faire : retrouver ma forme originelle après le choc que j’avais subi.

Cependant les premiers symptômes de résilience me sont apparus au cours de mon marathon médical et chirurgical. Je n’aime pas le pathos ou l’impudeur et j’ai du mal à être exhaustive pour en reparler. Mais pour illustrer où prend racine ma résilience, je dois bien dire que j’ai subi six opérations chirurgicales et trente-six séances de chimio en vingt mois.

Dans mon bouquin, je cite naturellement Boris Cyrulnik : « tout homme blessé est contraint à la métamorphose ».

À l’issue de l’épreuve, une autre m’attendait au coin du bois. Trop de sensations contradictoires se précipitaient en vrac dans l’entonnoir, corps et mental étaient à saturation. Alors j’ai éprouvé un phénomène connu des sportifs, la “catalepsie”, non pas une dépression psychique, mais, à la suite d’une grosse performance, une sorte de tétanie de toute la structure qui nous fait tenir debout. Sisyphe et sa caillasse devaient, une fois de plus, remonter la pente !

Pour en sortir, je fis appel à d’autres ressources : la patience, l’écoute, ne pas m’en remettre qu’à mon instinct animal, apprendre le management… Parce que j’ai voulu très vite fonder une entreprise avec l’objectif de créer de la valeur, de m’enrichir au sens noble pour pouvoir reverser de l’argent à la recherche contre la maladie.

Et puis un événement important pour moi, comme une adoption quasi subconsciente : Michka, mon chien adoré, est entré dans ma vie. Un Golden Retriever, foutraque, beau, gourmand, inapte au dressage, allergique au lavage, terriblement attachant, comme un enfant rebelle quoi ! La “Dog therapy”, nouvel axe de résilience.

Puis naquit mon blog, assez vite converti en start-up avec création de deux marques successives : Mister K Fighting kit, des box beauté pour apporter du bien-être et de l’estime de soi aux malades, puis Mister K, ma collection de vêtements et accessoires (dont 5 % des ventes vont à l’Institut Gustave Roussy).

Chez Mister K, nous ne dormons pas toujours bien – les ennuis très terre-à-terre d’une start-up qui se développe viennent mettre les nerfs à contribution… – mais, en ce qui me concerne, tous ces assujettissements et ennuis divers, me paraissent tellement plus légers qu’un séjour en chambre de soins intensifs à Pompidou. Cyrulnik voyait juste, mes tourments m’ont contrainte à la métamorphose, autant faire de cette contrainte quelque chose de bien, utile, vibrant et beau.

Happinez : Que conseilleriez-vous à tous ceux qui passent actuellement par ces épreuves ?

Charlotte Husson : Question très délicate. Je ne me sens pas la vocation d’un porte-drapeau ou leader d’un mouvement quelconque, les chemins de nos vies sont tellement complexes et différents les uns des autres qu’il serait présomptueux de conseiller la martingale qui marche à tous les coups pour se sortir d’un tsunami.

Je ne peux qu’humblement témoigner des voies et moyens qui ont marché avec moi : l’instinct animal de survie, rester digne et coquette – j’ai pu sauvegarder mes cheveux, à force de crèmes, applications diverses, acupuncture, casque de congélation du cuir chevelu pendant la chimio… j’aurai tout fait ! – être en symbiose avec l’entourage, sans lui demander la lune, développer avec un médecin une vraie connivence et une confiance à toute épreuve, stimuler les neurones (bon ! dans mon cas, l’addiction à Candy Crush n’était pas très sophistiquée, mais fit l’affaire), rester connecté (Instagram, Facebook ) avec la vie qui palpite, même superficiellement, du monde des bien portants, rire et danser en dépit de tout.

Happinez : Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’existence, en général ?

Charlotte Husson : J’ai passé quelques soirées et quelques nuits à me repasser cette question dans la tête, sans jamais trouver de réponse complètement satisfaisante, jusqu’à ce que, un beau matin, avec ma tartine de pain complet en main, les mots me viennent, fluides. Je ne pourrais faire mieux que vous réciter l’épilogue de L’impossible est mon espoir : « Il est des combats qu’on n’a pas choisi de mener. Ne pas les mener serait la pire des défaites, une défaite morale sans s’être battu. Les rêves font partie de l’arsenal. Rien n’est impossible, surtout pas les rêves, simple réalité en phase d’éveil. ll ne faut jamais regretter d’avoir rêvé trop fort, se tromper est le seul risque – et alors ? Demain sera un jour nouveau, un jour pour faire autrement s’il le faut, et, vivre, vivre… »

 

Propos recueillis par Aubry François

Portrait © Mariposa Photographe