Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Serge Marquis : le deuil est une invitation à habiter l’Amour
Sur quels chemins sont-ils partis, nos chers disparus ? Dans l’album Papa, publié en mars 2020 aux éditions La Martinière Jeunesse et illustré par Gilles Rapaport, le médecin et auteur québécois Serge Marquis raconte aux enfants – et aux petits que nous étions – sa vision lumineuse du deuil dans laquelle la mort est indissociable de l’Amour, et donc de la vie. Voici une sublime introduction à ces pages délicatement imprégnées d’émotion et de poésie, qui consolent par la simplicité du cœur.
Happinez : Pourquoi imaginer un héros âgé de 5 ans ? Est-ce un âge particulier de l’enfance ?
Serge Marquis : Ça aurait pu être 3, 4 ou 6 ans, peu importe. L’idée était d’amener un échange entre un enfant et un adulte à propos de la question à laquelle l’humanité a toujours tenté de répondre : « Où est le/la disparu(e) ? » Le cerveau s’interroge depuis la nuit des temps sur tout ce qui lui fait peur : le tonnerre, les volcans, les sauterelles, etc. La mort demeure un mystère absolu ; alors, que répond-on aux enfants à ce sujet ? Que répond-on à l’enfant en soi ? Pourquoi ne pas lui dire, tout simplement : « Il est dans l’Amour ! » On s’offre ainsi l’opportunité d’amorcer un dialogue avec lui sur le sens qu’il donne à ce mot. À son âge, il a déjà prononcé « Je t’aime », plusieurs fois. Il s’est donc rendu plus d’une fois dans ce lieu où séjournent aussi bien les vivants que les disparus, peu importe leurs croyances. Un lieu où il est toujours possible d’aller quand bon nous semble. Un lieu où l’on trouve la paix.
Qu’est-ce que l’Amour, pour vous ?
Une présence pure. Une présence libérée de toute attente, de tout attachement, de toute peur. Une présence libérée de l’ego, qui est le résultat d’un très vieux processus que l’on appelle “processus d’identification” et qui fabrique sans cesse les représentations que l’on a de soi-même, de ce qu’on croit être. On s’identifie, par exemple, à un objet qu’on possède – une voiture, un vêtement, un bijou – et on “devient psychiquement” cet objet. Sa perte est donc vécue comme une disparition de soi-même, une forme de mort. Or, derrière les milliers de représentations qu’on a de soi, toutes éphémères, il y a cette incroyable “présence” ou “capacité d’aimer” à laquelle l’attention peut sans cesse se reconnecter tout au long de l’existence. L’Amour, en ce qui me concerne, est l’essence de ce que nous sommes. L’ego sépare – nous défendons nos représentations face à celles des autres – l’amour connecte. Et si l’essence de la personne disparue se situait justement dans l’essence de ce que nous sommes ?
Peut-on “réussir” un deuil ?
Je n’utiliserais pas le mot “réussir”. C’est d’ailleurs un mot dont je ne me sers maintenant qu’avec circonspection. Je le réserve pour des situations très particulières : un plat en cuisine par exemple… On peut cependant “traverser” un deuil : ce passage où d’innombrables apprentissages sont possibles, où de magnifiques transformations peuvent s’opérer, où des guérisons peuvent s’effectuer. Un passage où on peut comprendre qu’ “être attaché à quelqu’un” ne veut pas dire “aimer quelqu’un”. L’amour irradie, rayonne, se répand. L’attachement est susceptible de retenir, comme une ancre. Le deuil offre la possibilité d’identifier et de nommer ce que l’on croit perdre, afin de le laisser aller et d’entrer dans la liberté qu’offre l’amour véritable. La personne disparue peut encore nous enseigner à “mieux” aimer si l’on considère que c’est dans l’amour qu’elle réside, et que c’est depuis ce “lieu” qu’elle “enseigne”.
Le caractère émotionnel d’une phrase souvent répétée aux enfants comme « il/elle vit toujours dans ton cœur » en diminue-t-il la portée spirituelle ?
Je ne crois pas, bien au contraire. Cette phrase est une invitation à entreprendre l’apprentissage de la “connaissance de soi”, c’est-à-dire la plus grande aventure spirituelle qu’on puisse vivre. Que veut dire : « Il/elle vit toujours dans ton cœur ? » Que représente le mot “cœur” ? Comment y revenir, sans cesse, pour loger dans ce qui importe, pour habiter l’essentiel ? J’ignore si nos chers disparus sont toujours en vie dans un au-delà, peut-être… Mais je crois que la connaissance de soi permet d’entrer dans l’amour véritable et je crois également que c’est là qu’on doit habiter pendant que nous sommes vivants.
Propos recueillis par Aubry François
Portrait © Gwladys Louiset Photography