Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Pour une écologie joyeuse ! Rencontre avec Éric de Kermel
Journaliste, directeur de la rédaction du magazine Terre Sauvage et écrivain, Éric de Kermel a notamment publié les romans La libraire de la place aux Herbes (J’ai lu, 2019) et Mon cœur contre la terre (Eyrolles, 2019). Cet amoureux inconditionnel du vivant sous toutes ses formes – qui met un point d’orgue à favoriser le rapprochement entre nature et culture mais aussi écologie et spiritualité – vient de publier, aux éditions Bayard, le livre Abécédaire de l’écologie joyeuse. Ce véritable concentré d’espoir destiné aux générations actuelles et futures est à mettre d’urgence entre les mains de tous ceux qui n’ont plus confiance en notre capacité à prendre ensemble un chemin de renouveau en faveur de l’épanouissement durable de la vie sur notre planète. Happinez l’a interviewé pour vous !
Happinez : Comment est né votre intérêt pour le monde naturel ?
Éric de Kermel : J’ai grandi entre l’Argentine et le Maroc et j’ai eu le privilège de découvrir une nature grandiose où l’homme est toujours appelé a beaucoup d’humilité car tout est plus grand que lui. Enfant, le scoutisme m’a fait vivre mes premières grandes émotions de nature et, en particulier les nuits à la belle étoile après des soirées passées autour d’un feu de camp.
Ensuite, et toujours aujourd’hui, j’ai pratiqué la montagne sous toutes ses formes. La montagne est mon écosystème de cœur, en particulier une vallée des Alpes, celle de la Clarée, où se déroule mon dernier roman Mon cœur contre la terre.
Puis j’ai pris la responsabilité du magazine Terre sauvage il y a plus de quinze ans. J’ai alors beaucoup voyagé et découvert la nature sauvage sur tous les continents. En même temps que je la découvrais, je prenais aussi conscience de sa dégradation. C’est cela qui m’a conduit à m’engager en faveur de la protection de la nature et plus largement sur le terrain de l’écologie.
Aujourd’hui, je vis dans une bergerie que nous avons restaurée dans les garrigues, du côté d’Uzès. Il faut suivre deux kilomètres de piste pour arriver chez nous. Les nuits étoilées sont ici aussi belles que celles que je voyais enfant quand je dormais à la belle étoile. J’ai un besoin irrépressible de nature, elle me répare, elle me ressource, elle m’entraîne dans son tourbillon de vie.
Dans un monde où “écologie” est pour beaucoup synonyme de “déni”, de “culpabilisation” ou encore de “sacrifice”, peut-on associer cette notion à la joie (et choisir durablement et efficacement le parti de la terre) sans avoir, au préalable, travaillé sur soi pour abandonner l’individualisme qui nous caractérise tous aujourd’hui ?
Vous avez totalement raison, c’est une des notions que je développe dans Mon cœur contre la terre, sous la forme romancée, et dans Abécédaire de l’écologie joyeuse. Il ne peut y avoir de démarche durable et profonde qui ne commence pas par par une interpellation de nous-même. D’une certaine façon, je crois que la crise écologique interroge le sens même du projet de l’humanité ; et l’humanité, chacun en porte un bout en lui. L’écologie, qui est la culture des liens, nous propose de nourrir, parfois de recréer, trois liens qui, unis ensemble, forment une belle tresse de cohérence :
- Le lien à soi-même. Ce que certains appellent une “écologie intérieure” : me demander quels sont les rythmes de ma vie, quelle place je donne à la contemplation, à l’épanouissement d’une forme de spiritualité (ce qui est différent de la notion de religion). Mais également qu’est-ce qui me nourrit : quel est mon rapport aux écrans, à ce que je mange, à ce que je lis, etc.
- Le lien aux autres. Car, soi-même, c’est un peu limité quand il n’y a pas la rencontre avec l’autre, avec les autres. L’autre, c’est celui ou celle que j’aime, ma famille, mais aussi ceux que parfois je croise sans les voir, et également ceux qui sont loin, de l’autre côté de la Méditerranée et qui sont ces autres bouts d’humanité qui ne me ressemblent pas mais ont tant à me dire !
- Le lien à la nature. Un lien rompu car les jeunes générations n’ont plus, comme c’était mon cas, de grands parents ou d’oncles à la campagne où vivre une relation sensible à la nature. Il est indispensable que cette relation ne soit pas qu’intellectuelle mais bien émotionnelle. Il est urgent que chacun comprenne que nous sommes DE la nature et non pas hors d’elle. Urgent que nous cessions de lutter contre mais que nous retrouvions une alliance merveilleuse avec tous les êtres vivants. Ce rapport avec les “non-humains” comme certains les nomment est indispensable pour que l’humain ne devienne pas comme une tomate espagnole, un être hors-sol.
N’est-il pas un peu utopique d’espérer préserver la planète par des actions à échelle humaine quand on constate les conséquences monumentales et souvent désastreuses des décisions prises au sommet des États ?
Ce que je défends dans l’Abécédaire de l’écologie joyeuse, c’est qu’il n’y a pas pire position que celle de subir. Celui qui est assis devant BFM et qui, après avoir vu les images de l’Australie en feu, suit la comptabilité au jour le jour des morts du coronavirus, se trouve dans une situation de désespoir que son attitude entretient. Celui qui, par contre, s’engage dans le domaine culturel, politique, agricole, alimentaire, social, et rejoint d’autres femmes et hommes comme lui, participe à l’avènement d’un monde nouveau. Je suis frappé de voir combien sont heureux ceux qui, dans les territoires, ont fait ce choix de ne plus subir mais de s’engager. Ils nourrissent un nouveau récit ; Un récit du « c’est possible » comme l’a montré Cyril Dion dans son film Demain. En ce sens, les actions de chacun feront bien basculer le monde. J’ai trois filles et je vois bien que, par leurs actes, multipliés par ceux de millions de jeunes dans le monde, elles obligeront le monde des adultes à changer de modèle. Elles n’achètent plus rien de neuf, elles ne mangent plus de viande, elles pensent tous leurs projets en ayant le moins d’impact carbone, et ce sont des filles joyeuses ! La joie est non seulement un témoin de la justesse de nos vies mais elle est aussi un levier pour faire davantage, la plus belle des énergies avec l’amour !
Outre votre travail journalistique, par quelles actions quotidiennes se traduit votre démarche écologique ?
Nous vivons dans une maison restaurée sans un gramme de plastique, parfaitement isolée. Un poêle la chauffe en hiver avec le bois que je coupe moi-même. Nous avons un forage que nous partageons avec nos voisins qui nous permet de boire une eau sans produit chimique ; un poulailler pour les protéines et un potager pour les légumes. D’ici quelques années, le verger que nous avons planté nous fournira des fruits.
J’ai bien conscience que ce mode de vie n’est pas adapté à tous. Il faut profondément aimer une forme d’isolement, ne pas avoir besoin de la ville et de ses attractions pour vivre ainsi. Mais en vivant comme cela, je suis cohérent avec moi-même. Je ne dis pas que c’est un modèle.
Mais mon engagement s’exprime surtout par tous les lieux où je m’implique, dans des associations locales, en faveur du parc naturel régional local, en m’opposant à l’installation d’Amazon dans la région. Et puis au niveau national. Je fais de nombreuses conférences. J’aime les lieux de débat, surtout quand ils me font dialoguer avec ceux qui ne sont pas comme moi. Je suis fondamentalement un médiateur entre des bords parfois opposés. Ce dialogue est indispensable. Les seuls écolos convaincus ne parviendront à rien sans aller au contact des autres, en les écoutant, en les respectant, car personne ne détruit la nature pour le plaisir ; plutôt par ignorance. Les gens ne sont pas plus mauvais qu’avant, ils sont simplement davantage perdus. Mes livres, et en particulier l’Abécédaire de l’écologie joyeuse, sont là pour ouvrir des portes, des fenêtres, poser des questions, et permettre à chacun de trouver ses réponses, son chemin.
Propos recueillis par Aubry François.