Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Film “Eva en août”, ou le plaisir de ne plus rien désirer que la vie…
La chaleur a envahi Madrid. Pour les aventuriers de l’instant, comme Eva, qui ont choisi de ne pas déserter la capitale, une dimension autre prend le pas, quelques jours durant, sur le cours habituel des choses. Dans son cinquième long métrage, Eva en août, le réalisateur espagnol Jonas Trueba a voulu rendre hommage à cette torpeur madrilène qui laisse librement déambuler les jolis hasards de la vie. Dans cette interview exclusive, il nous en dit un peu plus sur l’essence de son film, virée sensitive au cœur de l’existence telle qu’on la rêve : une suite de promenades, de rencontres et de retrouvailles dénuées d’attente qui atténue notre faim de contrôle.
Happinez : Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
Jonas Trueba : Je voulais vraiment filmer Madrid en août. Et plus précisément la première quinzaine d’août, en raison de ce mélange, de ces contrastes à l’œuvre dans la ville : les nuits de fêtes et ces journées assez silencieuses et paisibles, où les gens qui ne sont pas partis en vacances restent chez eux pour se protéger de la chaleur.
Ce mélange de jours et de nuits, de bruit et de silence, m’a toujours semblé très cinématographique. Et puis j’ai aussi trouvé la partenaire idéale : Itsaso Arana. Elle avait déjà joué l’un des personnages principaux de mon film précédent, The Reconquest. J’aime beaucoup son travail en tant qu’actrice mais c’est surtout sa façon d’être, et d’être au monde, qui m’ont inspiré. Je voulais capturer son essence et sa singularité dans ce film.
Comment décririez-vous le personnage d’Eva ?
J’aime dire qu’elle est un personnage “émersonien”, qui découle de mes lectures du philosophe R.W. Emerson. Un personnage qui aspire à la “confiance en soi”. Un personnage qui tente de se réinventer et de se remettre en question. Un personnage “aimable”, qui essaie d’écouter les autres personnages et de les interroger. C’est aussi un personnage mystérieux, dont on ne connaît finalement que peu de choses. Nous ne la voyons évoluer que dans l’instant présent, au jour le jour. Et chaque jour est une petite aventure et une petite découverte.
Que va-t-elle justement découvrir durant son périple à Madrid ?
Le film a quelque chose d’un “road-movie”, mais sans partir en voyage. C’est à la fois un voyage intérieur mais aussi extérieur.
Je ne sais cependant pas si elle découvre vraiment quelque chose. Je dirais que c’est plutôt un film de sensations, de sentiments, sans forcément d’intrigue, au sens narratif habituel. C’est un film qui suit le personnage, et comme dans la vie, des choses contradictoires se produisent. Le hasard est très important. Mais c’est un hasard recherché.
À travers cette errance estivale, quel regard sur la vie proposez-vous au spectateur ?
Je voudrais que le spectateur découvre que nous avons encore du temps, du temps à perdre, mais qui est aussi du temps gagné, finalement. C’est un film qui porte un regard positif sur le passage du temps, sur l’enchaînement des jours.
Je pense qu’aujourd’hui le cinéma, et peut-être plus que jamais, sert à arrêter un peu le temps, la vitesse des choses. Je pense que tout va trop vite en général, alors lorsque je réalise des films, je tente de rappeler au spectateur ces choses simples que, parfois, nous oublions dans notre maelstrom quotidien.
Propos recueillis par Aubry François