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Devenez, vous aussi, gardien.ne de la nature !

Catégorie(s) : Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres, Art de vivre, Nature

À l’approche de l’examen du projet de loi Climat et résilience à l’Assemblée nationale, des milliers de personnes marcheront dimanche 28 mars pour rappeler au sommet de l’État l’importance de signer une loi Climat à la hauteur des défis écologiques de notre époque. Une loi qui inscrirait par exemple le crime d’écocide dans le droit pénal français, proposition jusqu’ici écartée par le Gouvernement. Cet événement résonne tout particulièrement avec le livre Devenir Gardiens de la Nature, récit initiatique publié le 24 mars chez Tana éditions par Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement et des peuples autochtones. Dans cette interview, celle qui milite de tout son cœur pour la reconnaissance des droits de la nature nous fait saisir le caractère essentiel de ce combat mené pour la redéfinition de notre rapport au vivant dans un monde qui ne peut souffrir plus longtemps la soif de profit et de pouvoir qui mène aveuglément l’humanité, qu’importe le prix à payer. Surtout, elle nous invite à cheminer, étape par étape, pour devenir nous aussi des gardien.nes de la nature.

 

Happinez : Vous parlez d’une nouvelle révolution copernicienne qui serait actuellement en cours. C’est-à-dire ?

Marine Calmet : En démontrant que le modèle géocentrique était erroné et que la Terre n’était pas le centre de l’univers, Copernic et Galilée ont déconstruit la vision établie de l’ordre du monde. Malgré cette vision défendue par les dogmes religieux, la science a donc démontré que l’homme n’était pas au sommet de la création divine, ébranlant une croyance qui contribuait à justifier sa domination sur le reste du vivant. Aujourd’hui aussi, nous sommes face à un moment charnière de notre histoire. Notre modèle de développement anthropocentré reposant sur l’exploitation de la nature par et pour l’homme est mis en défaut par la communauté scientifique. Le mythe de la croissance infinie est remis en question et le monde occidental libéral, confortablement installé dans cette idéologie, prend progressivement conscience de son interdépendance avec la nature. Une nouvelle révolution copernicienne est en train de remettre en question notre place au sein de la communauté du vivant, non plus comme “maîtres et possesseurs” de la nature comme le défendait Descartes, mais comme gardiens ou gardiennes.

 

Comment expliquer la crise écologique que nous vivons ?

Le monde industriel lancé dans une course sans fin à l’accaparement des richesses naturelles, dépasse toujours plus les limites biologiques de notre planète. En Guyane française, les industries minières pillent l’Amazonie, en Bretagne les élevages intensifs dérèglent les écosystèmes et sont responsables de pollutions massives aux algues vertes… Les exemples ne manquent pas. Je crois que la crise écologique que nous traversons est aussi liée à une crise identitaire, à notre incapacité à reconnaître notre place dans la nature. Or aujourd’hui avec la pandémie qui nous frappe, nous pouvons choisir entre relancer l’économie, reprendre notre trajectoire là où elle s’était arrêtée, filant droit vers une augmentation globale des températures de 4 °C, ou alors prendre conscience que nous sommes devenus une menace non seulement pour la nature mais aussi pour nous-même. Mon livre veut apporter une méthode pour entamer une transformation profonde de notre société et changer le cours des choses.

 

Qu’avez-vous appris aux côtés des Premières Nations ?

Travailler en Guyane avec les peuples amérindiens qui ont survécu à la colonisation m’a permis de faire un pas de côté, de nous observer nous, la société occidentale, à travers leurs yeux. Contrairement à nous, pour de nombreux peuples autochtones, le lien à la nature est toujours bien là, il est intrinsèquement lié à leur identité, à leur culture et cimente leur organisation sociale. Ils ont un système de valeurs bâti sur la défense de droits collectifs et refusent traditionnellement la propriété privée. Comprendre que notre société et ses dogmes n’étaient pas universels, mais qu’au contraire il existe de multiples manières de former une communauté de vie, cela m’a beaucoup inspirée. Je poursuis désormais ces pistes avec l’association que j’ai cofondé à mon retour de Guyane, Wild Legal qui s’engage pour l’émergence de nouveaux concepts, tels que le crime d’écocide, les droits du Vivant et les gardiens et gardiennes de la Nature.

 

Vous vous êtes notamment intéressée au projet “Montagne d’or” ? De quoi s’agit-il et quel en a été le dénouement ?

La Montagne d’or est un gigantesque projet de mine industrielle à ciel ouvert au milieu de la forêt amazonienne qui est dans les cartons de Bercy depuis l’époque où Emmanuel Macron était encore ministre de l’économie. Je me suis engagée dans la lutte contre cette destruction du vivant, en tant que porte-parole du collectif Or de question. Nous avons inlassablement dénoncé les effets pour le climat, la biodiversité, l’eau et nous avons manifesté aux côtés des peuples autochtones de Guyane durant de long mois. Finalement, le président de la République a fini par céder et a annoncé l’abandon du projet. Mais nous restons mobilisés, Montagne d’or n’était qu’un projet parmi d’autres, l’arbre qui cache la forêt. Nous voulons obtenir la fin de l’industrie minière sur le territoire.

 

Avez-vous un exemple de gardien de la nature ?

Une gardienne de la nature avec laquelle je me suis battue contre le projet de mine industrielle “Montagne d’or”, Kadi Eleonore Johannes, porte-parole du collectif Or de question et femme amérindienne engagée pour les droits des premières nations de Guyane. Elle siège à la commission des mines et dénonce la collusion entre l’État français et les entreprises qui détruisent l’Amazonie. J’ai rencontré de nombreux gardiens et gardiennes de la Nature et mon livre est aussi une façon de rendre hommage à leur engagement. À Paris, j’ai eu la chance d’accompagner certains membres de la Convention citoyenne pour le climat et de rencontrer Guy Kulitza, technicien informatique retraité, qui s’est révélé être un fantastique défenseur de la reconnaissance du crime d’écocide, un gardien plein de bon sens et d’empathie pour notre planète. L’expérience des membres de la Convention prouve qu’on ne naît pas gardien ou gardienne de la Nature, on le devient.

 

En quoi les femmes ont-elles un rôle particulier à jouer dans le monde de demain ?

Les femmes ont un rôle essentiel. Elles sont omniprésentes dans les mouvements pour la défense du vivant, en Guyane comme en métropole. Invisibilisées, longtemps objectivées, souvent brutalisées, le combat pour les droits des femmes illustre l’importance de la transformation juridique pour fixer de nouvelles règles et ainsi construire un monde juste. Tout comme la femme n’est aujourd’hui plus la propriété de l’homme qui pouvait en disposer comme bon lui semble, le statut de la nature doit être remis en question pour en finir avec l’exploitation à outrance de la terre. Avec le mouvement metoo, la parole des femmes s’est libérée pour dénoncer un système bâti sur la violence, l’oppression et la domination envers les femmes. Mais ces mêmes mécanismes s’exercent également contre la nature, les minorités etc. Les femmes font entendre leur voix, pour elles et pour les autres, celles qui n’ont pas la force de parler ou alors ceux qui ne peuvent pas parler du tout, les rivières, les arbres, les animaux…

 

Comment devenir un gardien de la nature ? Peut-on mener des actions particulières depuis notre quotidien ?

Ma démarche n’est pas de rajouter des injonctions supplémentaires aux écogestes, pétitions et autres appels à manifester. Dans mon livre, j’ai voulu donner une méthode plutôt que des actions clef en main. Si j’ai choisi la forme du récit initiatique, c’est pour convaincre d’autres personnes d’entamer leur propre cheminement pour devenir gardien ou gardienne de la Nature. Au quotidien, il s’agit de passer par de nombreuses étapes que je décris au travers d’anecdotes, notamment apprendre à écouter et à comprendre la Nature, réussir à se “décoloniser” et être prêt à déconstruire ce que nous tenons pour acquis, passer son rite d’initiation, savoir résister ensemble et construire une communauté basée sur la solidarité entre humains et non-humains. C’est un processus pour se reconnecter au Vivant.

 

Propos recueillis par Aubry François

Photographie : Réda Settar