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Demeurer un temps avec soi-même : le visage lumineux de la solitude

Catégorie(s) : Rituels, Psychologie, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Maison, Santé, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres

Souvent considérée comme un fardeau dont on cherche à se délester, la solitude a pourtant des bienfaits insoupçonnés. Après les avoir explorés dans son livre Précieuse solitude, publié aux éditions Eyrolles, en octobre 2019, la psychologue clinicienne et psychothérapeute Monique Castelain Foret les partage aujourd’hui avec nous dans ce qu’ils ont de plus essentiel en ce temps de confinement. Découvrons avec elle comment cette étape-clé nous permet de puiser au plus profond de nous-même des ressources importantes, de trouver une nouvelle liberté et de rester soi, même dans la relation à l’autre.  

Happinez : Quel regard notre société porte-t-elle sur la solitude ?

Monique Castelain Foret : Un jeune patient de 20 ans qui aime aller s’asseoir, seul, sur un banc face à l’océan me raconte comment il a été accosté par un jeune couple qui se rendait à une soirée. Pleins de bonnes intentions, ces jeunes gens lui ont affirmé qu’il devait prendre conscience qu’il était déprimé, insistant longuement pour qu’il les accompagne.

Cette anecdote est révélatrice de l’image actuelle de la solitude, un état qui ne peut être apprécié, encore moins recherché sous peine de se sentir hors-norme. En tant que thérapeute, j’entends cette crainte qu’aimer être seul(e) serait pathologique !

Entre le partage virtuel créé par les réseaux sociaux et celui concret et utile du covoiturage et de la colocation, le discours dominant définit une norme implicite : pas de bonheur sans partage. Pourtant, rien ne nous renvoie plus à notre solitude qu’une communication manquée, dans laquelle nous n’avons pas été compris.

Cette image dévalorisante de la solitude peut amener à choisir la souffrance en couple, la déception des liens multiples ou créés trop vite plutôt qu’apprivoiser la relation avec soi.

 

Peut-on se passer des autres ?

Notre vie matérielle dépend en partie des autres… à moins de revenir à une forme très primitive d’existence. Mais surtout nous nous construisons, dès notre naissance, en fonction des relations avec notre entourage, du regard porté sur nous. Toute notre vie ce regard gardera une importance qui ne doit pas devenir une dépendance.

Adulte, nous pouvons choisir de ne laisser aux autres qu’une place minime dans notre existence, considérer tout attachement comme une faiblesse. Mais c’est nier le fait que nous sommes une terre fertile que l’apport des autres, tout au long de notre vie et dans n’importe quel domaine, va nourrir, enrichir. Notre richesse intérieure se construit au fil des rencontres, des échanges, de la confrontation entre nos compétences et entre nos différences.

Pour autant ce besoin des autres doit laisser un espace suffisant à ce que l’on peut se donner à soi-même afin d’acquérir, sur ce que nous sommes, des certitudes qui ne dépendent que de nous.

 

En cette période de confinement, comment vivre isolé tout en conservant le sentiment d’être relié à la famille humaine ?

J’entends votre question comme étant d’ordre existentiel puisqu’il s’agit d’un lien plus large que celui existant avec les proches. Je ne peux vous répondre autrement qu’en mentionnant ce que je ressens profondément, à savoir la fragilité des Hommes et l’importance de me sentir reliée tout autant à la nature qui m’entoure, plus vaste et plus enveloppante que notre famille humaine.

Cela dit, l’hommage aux soignants qui se déroule dans les villes à 20 heures procure sans doute un sentiment d’appartenance, de communion que l’on peut partager en faisant le même geste devant son poste de télévision si nos voisins sont trop éloignés.

C’est essentiellement à travers un comportement pleinement responsable, face à ce danger réel, que nous pouvons montrer et ressentir que nous sommes partie prenante dans un combat qui concerne tous les peuples présents sur notre planète. Chaque geste que nous effectuons pour nous protéger est fait simultanément par des millions de personnes qui ont la même préoccupation.

Mais votre question ouvre sur d’autres interrogations. Par exemple, quelles peurs peut engendrer cette situation de confinement avec cette pression de plus en plus forte de l’augmentation du nombre de victimes ?

 

En quoi la solitude constitue-t-elle une étape initiatique vers une existence épanouie dans le monde ?

Nombre d’insatisfactions proviennent du fait que nous n’acceptons pas les autres tels qu’ils sont. Nous aimerions qu’ils puissent répondre à nos besoins tout autant superficiels et immédiats que profonds. Plus le sentiment d’identité, l’estime de soi sont fragiles et plus nous attendons des autres qu’ils viennent combler ces vides parfois immenses.

Ce que l’expérience de la solitude nous apprend, et aujourd’hui celle des déplacements limités et des magasins fermés, c’est à faire appel à nos capacités de réflexion, d’imagination, de persévérance, d’adresse pour trouver d’autres solutions à nos problèmes. Et chaque petite victoire amène un sentiment de fierté, une petite pierre de plus à l’édification de notre moi.

Cette recherche de solutions s’applique de manière identique au domaine psychologique. De nombreux outils sont à notre disposition pour cultiver notre bien-être au quotidien, progresser par nous-mêmes, parvenir à une certaine sagesse.

Quand nous exigeons moins des autres, nous pouvons alors laisser s’exprimer la richesse apportée par nos multiples complémentarités.

 

Quels conseils pratiques donneriez-vous à des personnes qui ont l’habitude d’avoir une vie sociale bien remplie et qui, se retrouvant du jour au lendemain isolées chez elle, et ce pour plusieurs semaines, peuvent se sentir perdues ?

Avoir une vie sociale très remplie peut signifier que ces personnes ont besoin d’un agenda sans espace libre, sans « temps mort » ou bien du regard des autres pour se sentir exister, deux axes à prendre en compte.

J’entends parfois des personnes exprimer leur anxiété matinale face à une journée qu’elles ont peur de ne pas savoir occuper. Trop de temps libre peut donc devenir angoissant, d’où la nécessité de trouver comment le structurer dans la situation de confinement actuelle. L’absence de proximité géographique peut être comblée par les rencontres via Skype par exemple. Pourquoi ne pas ritualiser un déjeuner ou un thé avec des ami(e)s et même des séances de sport ? Certaines sont offertes selon un horaire fixe, avec la présence réelle du coach.

Des conférences sont possibles en webinaire qui permet de communiquer avec l’animateur et les autres participants. Il suffit de chercher les sujets qui donnent envie d’apprendre.

Confinement ne signifie pas laisser aller. Prendre soin de soi en l’absence du regard des autres peut être une petite victoire quotidienne. Et toute victoire renforce l’estime de soi. Pour les accumuler il est essentiel de se fixer des objectifs réalistes, demandant un effort raisonnable. Cette épreuve peut nous permettre de changer, même si notre cerveau va renâcler devant la tâche.

Écrire, tenir son journal de bord pour témoigner de son ressenti en cette période particulière, c’est à la fois en garder une trace et alléger son poids. Le dialogue bienveillant avec soi-même peut s’avérer plus riche que certains échanges superficiels.

Pour ne pas se sentir perdu, il est nécessaire de déterminer une direction et des balises. À chacun de définir les siennes.

 

Propos recueillis par Aubry François

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