Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Contagion émotionnelle, comment s’en protéger ?
Attraper une émotion comme on attrape un rhume : cette idée saugrenue serait plus fidèle à la réalité qu’on pourrait le croire. Chercheur en psychologie sociale, professeur à EMLyon Business School et chroniqueur pour l’émission le magazine de la santé sur France 5, Christophe Haag a étudié les mécanismes qui régissent nos émotions – positives ou négatives – ainsi que le rôle crucial de nos rapports avec autrui dans cette “contagion émotionnelle”. C’est l’expression qu’il a choisie pour titrer son nouveau livre, publié aux éditions Albin Michel, dans lequel il nous éclaire sur le fonctionnement des émotions et nous donne les moyens de se protéger de la négativité.
Happinez : L’expression “contagion émotionnelle” sonne comme une maladie. Devrions-nous donc éviter de vivre nos émotions ?
Christophe Haag : Il est vrai que le mot “contagion” a un fort potentiel anxiogène, désolé pour les hypocondriaques ☺ ! Mais l’idée est plutôt de dire que l’émotion, qu’elle soit “bénéfique“ ou “toxique“ pour celui ou celle qui l’attrape (on parle alors respectivement de contagion positive ou négative), peut se transmettre rapidement et facilement d’un individu à un autre. Le message, ici, n’est donc pas d’éviter à tout prix les émotions : celles-ci ont un rôle fonctionnel, aidant, socialisant et adaptatif, la plupart du temps. Mais il n’empêche que nous attrapons aussi des émotions dysfonctionnelles et destructrices. Nous savons, par exemple, qu’à l’heure actuelle, 9 peurs sur 10 sont fantasmées, irréelles et, par voie de conséquence, extrêmement énergivores pour notre cerveau et néfastes pour notre santé ; qu’il existe des individus toxiques dans notre entourage, personnel ou professionnel, qui nous contaminent négativement, provoquant en nous de la gêne, un malaise, nous amenant dans certains cas à expérimenter de l’angoisse, de la dépression ou des troubles psychosomatiques : on pense ici aux pervers narcissiques, aux individus machiavéliques, ladres, asociaux qui peuvent nous gâcher la vie.
Happinez : Pouvez-vous nous en dire plus sur le fonctionnement de ce phénomène de “contagion émotionnelle” ?
Christophe Haag : Au cours d’une conversation par exemple, nous avons tendance à imiter automatiquement et sans relâche les expressions faciales de notre interlocuteur, son ton de voix, ses postures, son langage corporel, et tous ses comportements saillants. Souvent dans le but de fluidifier et d’augmenter la qualité de l’échange que nous avons avec lui en affichant une certaine “proximité sociale“. Et tout cela se produit sans trop réfléchir. Mimer l’autre, inconsciemment donc, activera chez nous un état émotionnel correspondant à ce que l’autre ressent. Prenez ce cas de figure : vous vous retrouvez face à une personne qui est triste. Le simple fait de baisser automatiquement vos paupières, de serrer la bouche, de légèrement froncer vos sourcils pour leur donner cette forme / \ ou encore cette forme \ /, de vous tenir avachi sur votre chaise (autant de codes expressifs de cette émotion), enverra un signal à votre cerveau de l’émotion à ressentir. En l’occurrence ici, à un certain degré, de la tristesse. Le tour est joué, la contagion a opéré. Notez que récemment, des chercheurs néerlandais ont découvert, à travers plusieurs expériences, un nouveau mode de contagion de l’émotion, se concentrant notamment sur la peur et le dégoût : il suffirait de “sniffer“ la sueur froide d’une personne très angoissée pour se sentir soi-même, quelques millisecondes plus tard, apeuré…
Happinez : Comment se protéger ou se débarrasser des émotions négatives – colère, jalousie, peur, haine – que nous transmet parfois autrui, mais auxquels il nous arrive aussi très bien de donner nous-même naissance ?
Christophe Haag : Le psychologue Rick Hanson écrivait : « Le cerveau humain agit comme du Velcro avec les expériences négatives et comme du Téflon avec (ou sur) les expériences positives. » Tout ça pour dire que les émotions toxiques sont plus contagieuses que les émotions bénéfiques et qu’elles laissent des traces prégnantes dans nos têtes, consommant de l’énergie, même souvent beaucoup d’énergie… Pour décrotter ces émotions toxiques, il convient, d’après des résultats de recherches scientifiques, de revoir son mode de vie : en se reconnectant à la nature, en (re)créant du lien affectif avec sa famille (que je considère dans le livre comme une “valeur psychique refuge” vous permettant de mieux réguler la toxicité émotionnelle), en gérant mieux son temps de connexion sur les réseaux sociaux, en mangeant plus sainement sachant que le cerveau “du bas” agit comme un mentor sur le cerveau “du haut”, en adoptant un animal de compagnie – véritable anxiolytique naturel, etc. Pour les personnes hypersensibles qui s’imbibent facilement des émotions toxiques, une spécialiste des émotions de renom a mis au point, tout spécialement pour ce livre, deux sas de dé-contagion émotionnelle qui fonctionnent en 7 étapes. L’un à utiliser uniquement lorsqu’une seule personne (conjoint, ami, supérieur hiérarchique, collègue de travail) vous a contaminé d’une émotion toxique. L’autre à utiliser dès lors que la contagion émotionnelle se joue dans un contexte de groupe (auquel vous appartenez). En conclusion, notez que ce livre, qui est un livre d’espoir avant tout, est réellement un appel à renverser ce que j’appelle le “hum émotionnel“ négatif ambiant, autrement dit, ce trop plein d’émotions négatives collectivement partagées sur notre planète et qu’il nous faut rapidement transformer en dynamique collective positive.
Propos recueillis par Aubry François