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Cécile de France dans la peau d’une chamane

Catégorie(s) : Bien-être, Art de vivre, Nature, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Rituels, Développement personnel

Dans Au-delà (2011) de Clint Eastwood, Cécile de France incarnait une femme dont la vie allait être bouleversée par une expérience de mort imminente. Nouveau sujet « frontière » dans le film Un monde plus grand, de Fabienne Berthaud, au cinéma le 30 octobre : l’actrice interprète le rôle de l’ethnomusicienne Corine Sombrun qui fut la première occidentale à recevoir le don chamanique lors d’un séjour en Mongolie et permit aux sciences d’étudier et de prouver les effets de la transe sur le cerveau humain. Cette interview exclusive est l’occasion pour Cécile de nous raconter son expérience inoubliable de tournage ainsi que les réflexions fécondes que son passage auprès des Tsaatan, peuple mongol d’éleveurs de rennes, lui a inspirées.   

Happinez :  Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter de jouer le rôle principal d’un film au sujet original et rarement traité hors cinéma documentaire ?

Cécile de France : J’ai d’abord eu l’envie de travailler avec la réalisatrice Fabienne Berthaud dont j’avais beaucoup admiré, dans les précédents films, Frankie (2005), Pieds nus sur les limaces (2009) et Sky (2015), la grande poésie, l’importante recherche visuelle et le véritable amour de l’humanité à travers des personnages principalement féminins. Être approchée par elle me tenait à cœur. Sur le sujet, je suis plutôt quelqu’un qui a l’esprit très ouvert, qui a envie d’entretenir sa curiosité et sa capacité à l’émerveillement. Je fonctionne beaucoup à l’intuition, mon hémisphère droit est beaucoup plus actif que le gauche, siège de la logique, du raisonnement et de l’analyse. Ça, ce n’est pas trop mon truc ; mais en revanche j’ai une grande capacité à traduire et à comprendre le langage émotionnel des autres. Avec d’autres actrices, j’ai passé un casting organisé par Fabienne avec Corine Sombrun qui avait fabriqué une boucle de son où étaient séquencées toutes les fréquences qui la font partir en transe. Elles m’ont donc filmée pendant ma transe, où je suis partie très fort, très loin. J’ai été en partie choisie grâce à cette capacité assez évidente chez moi à accéder à la transe. Quand on est artiste, on peut explorer plein de domaines différents et aller un peu au-delà des limites et de ce qu’on voit habituellement.

Happinez : Aviez-vous déjà vécu une expérience de transe comme celle-ci ?

Cécile de France : Non, jamais. Après, Corine nous a expliqué que quand on joue, qu’on est musicien, acteur, danseur ou écrivain, on se trouve en fait déjà dans un état de conscience modifié. C’est une forme – très légère – de transe. Par exemple, vous répétez tout un après-midi et vous ne voyez pas l’heure passer : c’est déjà une modification de la conscience. Et après des années, Corine a réussi à prouver que ce n’est pas quelque chose de si extraordinaire que ça. Quand je me suis réveillée de ma transe, c’est pareil, j’ai senti quelque chose de familier, comme si nos ancêtres, avant que leur lien à la nature soit coupé, se plongeaient couramment dans ces états. Leur cerveau ancien leur a permis de survivre à l’état sauvage, d’anticiper l’attaque des animaux, de se soigner avec les plantes, d’être en harmonie absolue avec la nature, imbriqués avec leur environnement. J’ai vraiment ressenti ça comme quelque chose d’intemporel, d’universel, qui n’est rattaché à aucune religion, qui n’appartient à personne – sauf, à nous-même, peut-être.

Happinez : Comment s’est passé pour vous le tournage auprès des Tsaatan ?  

Cécile de France : On a dû vraiment s’adapter aux Tsaatan qui, eux-mêmes, s’adaptent à la nature, puisque c’est en fonction du lichen que mangent les rennes qu’ils se déplacent. Fabienne s’est montrée très patiente, parce que trois jours avant le début du tournage, ils n’étaient toujours pas là. Ils sont quand même arrivés, mais à la dernière minute. Les conditions, évidemment, m’ont changé un petit peu des tournages habituels puisqu’il n’y avait ni eau ni électricité, mais ça a été un immense privilège de pouvoir passer un mois auprès d’eux, de m’imprégner de leurs croyances, de leurs traditions, de leur mode de vie qui est complètement en osmose avec leurs bêtes, avec les loups qui rôdent autour, avec la nature. Les Tsaatan de Mongolie, peuple nomade très ancien, sont quand même les ancêtres de tous les Amérindiens, puisqu’il y a 13 000 ans, on pouvait atteindre le détroit de Béring à pied. Quand j’ai compris qu’ils vivaient dans des tipis et que je me suis retrouvée face à leurs visages, qui sont des visages de Sioux, de Comanche, ça a été la réalisation magique d’un rêve de petite fille car, enfant, j’imaginais que j’étais une blanche recueillie par les Indiens. Donc ça a été, avant tout, une expérience humaine pleine d’enseignements, mais aussi un enrichissement philosophique car ça a déclenché chez moi beaucoup de questionnements et notamment sur notre mode de vie occidental, cartésien, matérialiste. Descartes avait quand même écrit, il y a 400 ans, que l’homme serait « maître et possesseur de la nature », et aujourd’hui, on voit bien que c’était une très mauvaise idée. Ça m’a permis de réfléchir – sans forcément obtenir de réponse – aux capacités inexplorées du corps humain, aux mondes invisibles, aux limites de nos certitudes et de nos sens ordinaires. On oublie que notre vue, notre ouïe, notre toucher ne perçoivent pas tout. Cette salle, par exemple, contient beaucoup d’ondes. Il y a les fréquences vibratoires, le magnétisme, beaucoup de choses qu’on ne voit pas à l’œil nu. Je les remercie pour tout ça.

 

Propos recueillis par Aubry François et Agathe Lebelle

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