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Tentative de bonheur n°1 : vaincre le temps

Catégorie(s) : Rencontres, Contes, poésie..., Sagesse & spiritualité, Rituels, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Philosophie

Jusqu’au 26 juillet, le MAIF Social Club organise l’exposition “Tentatives de Bonheur” et invite 11 artistes d’horizons très différents à explorer, entre ses murs du 3ème arrondissement de Paris, cette thématique universelle, idéal utopique et quête éternelle. Sans recettes miracles pour accéder au bonheur, ces “tentatives” artistiques expriment aussi bien les désirs que les doutes, et les joies autant que les déceptions. Tout ce qui fait de nous des humains, en somme. C’est l’artiste contemporain français Laurent Pernot qui ouvre le bal avec une lune suspendue dans sa cage et une mer contenue dans une boule de verre. Dans cette interview, il nous raconte comment il tente de “vaincre le temps” grâce à l’art et profiter des précieuses éclaircies que nous offrent la vie de tous les jours, à défaut de courir après l’utopie du bonheur, trop répandue aujourd’hui.

Happinez : Quelle est votre vision du bonheur ?

J’ai tendance à me méfier du bonheur. Non pas que le bonheur ne m’intéresse pas – il apparaît chez les philosophes dès l’Antiquité –, mais il me semble aujourd’hui dénaturé, vulgarisé et instrumentalisé. Les publicitaires l’utilisent pour vendre n’importe quoi, les religions pour recruter chez les plus indigents, les réseaux sociaux pour vous inciter à gagner des likes : chaque jour, odes et promesses de bonheur claironnent aux quatre vents. Le bonheur est devenu cette injonction sans laquelle la vie n’aurait aucune saveur… Les cultes du bonheur et de la jouissance sont devenus les pires ennemis du bonheur. Or, il me semble que le bonheur, comme l’amour, est l’expérience d’une singularité, une quête subjective tout autant qu’un mystère pour chacun d’entre nous. Il est de nature imprédictible, immatérielle et transcendante, et ne me semble possible que dans la relation : à l’autre, à l’inconnu, à la création, au moment présent et à la nature. Chez Lucrèce, Nietzsche et Kant par exemple, le bonheur est davantage associé à l’absence de servitudes, de peurs et de souffrances, il est donc fruit de la liberté. Ma vision du bonheur est ainsi celle d’un idéal à atteindre, en équilibre entre le rêve et la réalité, il est cette fleur qui essaie d’éclore.

Happinez : Comment tentez-vous, par votre art, de « vaincre le temps » ?

L’expérience de la création est une chose qui permet d’explorer sans cesse ce qu’on ne comprend pas, de libérer et mettre à l’épreuve ses pensées, d’arpenter le monde à travers le temps et l’espace. Dans mon travail, j’essaie souvent de tisser des liens entre passé et futur tout en m’intéressant à l’odyssée de l’humanité, à l’émergence et au foisonnement de la vie et de la nature. Jean-Luc Nancy disait que le monde ne repose sur rien et que c’est là le plus vif de son sens, je suis parfaitement en accord avec cette conception puisqu’elle offre à l’esprit la liberté d’agir, de penser et de se représenter le monde dans toutes ses dimensions y compris les plus noires et énigmatiques. C’est une vision tragique-optimiste qui me correspond bien. Si aucune œuvre d’art n’égalera la beauté d’un crépuscule, créer me permet d’ajouter de la vie à la vie, du temps au temps. Certaines œuvres d’art ont la capacité de traverser les siècles et survivre à notre propre disparition, de surmonter les effets du temps. Aussi, la poésie a une place centrale dans ma pratique, je pense à Bachelard et Michel Serres qui n’ont cessé d’exprimer leur fascination pour la vie à travers elle ; la poésie a ceci qu’elle s’affranchit de toutes les frontières, géographiques comme temporelles.

Happinez :  Pourriez-vous partager avec nous, une ou plusieurs choses qui vous rendent heureux ?

Il y a surtout des riens et presque riens. Mais il y a aussi les printemps, les automnes. Les efforts récompensés. Les amis, les amants. Enseigner. La recherche et l’écriture. Les romans et les essais philosophiques, les bibliothèques en général. La poésie. Les nouveaux projets. Les pistes de danse. Rencontrer des inconnus. Arroser mes plantes. Cuisiner. Jouer. Entreprendre des choses que je n’ai jamais faites. Saluer chaque soir l’araignée installée à la fenêtre de ma chambre. Dormir. Conduire. La paix. La nuit. La pluie. Les oiseaux. Les rivières. Les volcans. L’éphémère. Les vagues. Les arbres. Les lieux chargés d’histoire. Ne pas penser à demain. Aller au marché. Ne pas lâcher prise. Les langues et les chants du monde. La radio. La musique bien sûr. Voir des gens heureux. Partager. Désapprendre. Réapprendre. Errer. Vieillir. Le silence. Croire en la beauté. Etc. Contempler. Contempler. Con(temp)ler.

 

Pour en savoir plus : www.maifsocialclub.fr ; www.laurentpernot.net

 

Propos recueillis par Aubry François

© Édouard Richard / MAIF