Le yoga raconté par celle qui a grandement contribué à son développement en Occident, voilà ce que propose Dans la confidence du souffle (éditions Almora), ouvrage de Colette Poggi. La sanskritiste, indianiste et docteur en philosophie comparée s’y entretient avec Eva Ruchpaul qui, à plus de 90 ans, enseigne toujours dans son institut parisien ce yoga qu’elle considère être avant tout un art de vivre. Avant de vous plonger dans les profondeurs du livre où les leçons de vie se marient aux considérations techniques sur le yoga, dans un langage imagé que renforce l’expérience incarnée, Colette Poggi vous présente ce qui fait la force et tout l’intérêt du regard d’Eva Ruchpaul sur cette pratique née en Inde il y a de cela des millénaires.

Happinez : En quoi Eva Ruchpaul est-elle une figure incontournable dans l’univers du yoga ?

Colette Poggi : Imaginons un archéologue qui découvre un jour, à l’autre bout du monde, un site resté inconnu. Il s’immerge, explore, s’émerveille, éprouve de nouvelles sensations et manières de vivre. Puis il revient dans sa propre culture et ramène quelques trésors ! Eva a, de même, redécouvert l’art millénaire du yoga indien alors qu’il était méconnu en Occident, elle en a discerné les merveilles. Bref, Eva est une pionnière incontestable du yoga en Europe. Comme un passeur, d’une culture à l’autre, elle a su dégager les principes-clefs en allant au cœur des choses. Comme seul un poète peut traduire un autre poète, Eva “interprète” avec une liberté pleine de créativité, tout en étant parfaitement en accord avec la tradition la plus pure. Elle parle la langue du yoga en poète !

Happinez : Quel regard sur cette pratique transmet-elle à ses élèves depuis bientôt trente ans ?

Colette Poggi : Ô, plus encore, depuis soixante ans ! Son style consiste à fait vivre autrement le corps, le souffle, la conscience. Découvrir au détour d’une posture notre “charnelle compétence”, le savoir-faire vibrant au creux de nos cellules. Apprivoiser l’énergie du souffle par une écoute intérieure, subtile, du rythme inspir-expir, laisser l’espace, entre les deux, pour un “temps de rien” correspondant à un suspens sans force ni volonté. Cette pratique correspond, mine de rien, à la plus haute connaissance livrée par les diverses sagesses indiennes : elle ouvre à une expérience de la conscience, allégée de ses tourbillons, de ses fardeaux, de ses illusions. Alors, pourquoi ne pas essayer d’improviser cette danse intérieure, ce nouveau pacte avec la vie ! L’intelligence du vivant ne joue-t-elle pas en nous sa partition toujours nouvelle ?

Happinez : Qu’est-ce qui vous le plus marqué dans ses transmissions qui forment le corps de votre livre ?  

Colette Poggi : Nous avons toutes deux beaucoup échangé, de saison en saison, pendant plus de deux ans ; chez Eva, le plus extraordinaire, c’est un insatiable appétit de découverte, une jubilation née de cette indéfectible aspiration à comprendre et à transmettre. C’est ce que l’on appelle en Inde le svadharma, son chemin de vie, sa vocation innée ! Mais il y a plus : à cet élan se joint un esprit virtuose qui se passionne, aujourd’hui encore, pour les neurosciences, pour les dernières découvertes en sciences diverses. Eva est un être en dialogue qui transmet avec humour et l’air de ne pas y toucher, elle laisse jaillir d’incroyables intuitions dans une langue digne de Montaigne, et le livre en regorge !

 

Propos recueillis par Aubry François