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Rencontre avec Arouna Lipschitz, une femme libre d’aimer

Catégorie(s) : Philosophie, À la une, À découvrir, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres, Rituels, Psychologie, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre

Nous évoluons dans une société moderne où la course à l’évolution matérielle prime bien souvent sur le voyage intérieur et la rencontre avec notre essence profonde. Loin de jeter l’opprobre sur une logique de perfectionnement numérique, il nous faut néanmoins conscientiser que notre intériorité ne trouvera jamais de guérison manifeste dans le développement digital. Il nous faudra toujours faire “le travail” personnel, psychologique et spirituel si nous désirons une véritable libération de nous-même, comme le souligne Arouna Lipschitz, philosophe, psychologue et chercheuse spirituelle, productrice, réalisatrice et conférencière. Arouna offre aujourd’hui un enseignement : La Voie de l’Amoureux, accessible via son école en ligne. Ses livres autobiographiques Dis-moi si je m’approche et L’Un n’empêche pas l’autre, réédités l’automne dernier dans la collection “Aventure secrète” des éditions J’ai lu, s’inscrivent tous deux dans une trilogie dont le troisième tome paraîtra au printemps. Les livres d’Arouna témoignent d’une quête de soi spirituellement féministe à travers la rencontre puissante avec son guru, qui l’a aidée à faire émerger sa féminité, son amour envers la vie, et à manifester un lâcher-prise bénéfique et fertile. En même temps, à travers son parcours personnel, elle nous dévoile les clés d’une réalisation de nous-même possible. Découvrons Arouna, cette femme libre d’aimer et son sage enseignement.

Happinez : Vos livres se penchent sur la question de l’amour et vous enseignez la Voie de l’Amoureux. Selon vous, qu’est-ce que l’amour ? 

Arouna Lipschitz : Mes livres témoignent très concrètement d’une guérison des blessures d’amour qui blindent le cœur et comment, lorsqu’on les conscientise, elles deviennent une route de libération de notre véritable nature. Comment devient-t-on un véritable amoureux, une véritable amoureuse ?

Notre premier modèle d’amour, que nous le voulions ou non, est l’amour parental. Sur les plans biologique, neurologique et mimétique, jusque dans nos mitochondries, nos cellules, notre modèle affectif est lié à notre mère, et notre compétence relationnelle au modèle parental. Comme tout le monde, j’ai été cellulairement imbibée par mes relations filiales. C’est ma rencontre spirituelle avec le Swami Venkatesananda, mon maître indien, qui m’a fait retraverser, pendant près de dix ans, tout le spectre des amours, depuis les blessures de l’enfance jusqu’aux blessures de mon cœur de jeune femme. Cela m’a permis de les panser et de les penser, c’est-à-dire de conscientiser ce processus de guérison qui peut se faire via un guide spirituel, d’en saisir toutes les nuances et d’en écrire ces livres, délivrée de ces histoires… Dé-livrer, n’est-ce pas la force du livre ?

Aujourd’hui, je sais que la source de l’Amour est toujours la même que celle que j’ai découverte dans cette relation à mon guru. C’est la source mystérieuse qu’on peut appeler Amour Divin. Je préfère dire la Source de Vie ou mieux encore pour moi, La Présence qui, lorsqu’on y est connecté, fait que nous ne nous sentons jamais seuls. Accéder à cette conscience spirituelle prend du temps certes, mais c’est ultimement la véritable guérison de notre solitude ontologique, celle qui nous tombe dessus au moment où le cordon ombilical est coupé. C’est d’ailleurs la mémoire de cette Présence, un ressenti encore très vivant in utero et que l’on vit plus ou moins bien pendant les neuf mois de contact fœtal avec le corps de la mère, qui nourrit longtemps le besoin de fusion et autres réactions plus ou moins névrotiques à la séparation. Il faut noter qu’il nous reste de cette alliance organique pré-natale de “bonnes” mémoires et de “mauvaises” mémoires, mais bonnes ou mauvaises, notre façon d’aimer ou d’être aimé reste longtemps impactée par ce vécu fusionnel. Là est la racine plus ou moins névrotique qui prend le relais de notre nostalgie de la Source divine. Et on se retrouve à passer beaucoup de temps de notre vie à attendre celui ou celle qui viendra combler une béance métaphysique que le traumatisme de la séparation existentielle réactive. C’est cette solitude de naissance qui nous rend plus ou moins vulnérable à la réalité de l’impossibilité de faire un avec l’autre !

Le chemin spirituel est précisément celui qui nous ramène à la conscience du « Je ne suis jamais seul ». Entre le « on est seul, on respire seul et on mourra seul » existentiel et le « je ne suis jamais seul » spirituel, la route peut être longue mais elle en vaut la peine. Si la Source de Vie est Amour, il faut supposer que le Créateur qui a engendré la Création a eu envie de partager cet amour, non ?

Autrement dit, l’Amour Divin ou la Source de Vie s’incarne dans le partage, dans la relation !

Certes, dans les spiritualités traditionnelles l’objectif était de ne faire qu’UN avec le divin. Mais souvent, surtout en occident, cela ne fait que reconduire le besoin fusionnel. Il s’est juste déplacé de notre mémoire de fusion organique à celle de la fusion originelle, pour devenir une quête spirituelle de fusion d’âme avec le grand TOUT ! C’est toutes ces questions que je me pose dans ces deux livres pour en arriver à l’idée que la spiritualité fusionnelle fait, au final, l’économie du “deux” et de la mise à l’épreuve de l’amour face à l’autre. Vivre sa spiritualité en rêvant de fusion avec le Tout, n’est-ce pas finalement être plus divin que Dieu lui-même vu que le Créateur, lui, a choisi le partage avec sa création ? En tous les cas, dans notre réalité bien humaine, se pose la question de l’incarnation de l’Amour. Le besoin de fusion étant pour moi un des plus sérieux obstacles à vivre pleinement l’amour humain et sexuel : se confronter à l’autre, à la relation et au partage d’amour. Donc si vous me demandez ce qu’est vraiment l’amour pour moi, c’est l’incarnation de la perception constante d’une Présence d’amour. L’amour est cette énergie divine du commencement, mise à l’épreuve de l’autre dans toutes nos relations et ultimement dans la relation amoureuse et sexuelle. Plus nous expérimentons cette Présence en solo plus le besoin de fusion existentielle se dissout. L’autre n’est alors plus là pour combler du vide mais pour partager de la Vie avec nous, deux solos pour un duo non fusionnel.

Pour ma part, c’est à travers ma relation à mon maître indien que je me suis libérée du besoin d’avoir besoin et de toutes les blessures de cœur qu’il génère : la peur de l’abandon ou du rejet, la peur de perdre, l’insécurité, la peur de l’autre, la peur d’être abusé, humiliée, dominée et j’en passe.  En même temps qu’il me renvoyait des miroirs implacables de mon ego et de ma vanité, mon guru avait toujours au bon moment le sourire aimant, le petit mot juste et la main sur mon épaule qui me rappelait à la Présence de l’amour. C’est cette guérison que je raconte dans ces deux livres autobiographiques.

Sur le chemin de la connaissance de soi, se pardonner est-il inévitable ?

Oh ! oui… cela commence par prendre conscience de sa propre responsabilité dans tout ce qui nous arrive ou ne nous arrive pas, alors que nous affirmons le désirer tant ! De prises de conscience en prises de conscience, vient un jour le moment de se pardonner d’avoir finalement tant résisté à l’amour, d’avoir projeté tant de peurs sur l’autre, se pardonner nos résistances et toutes les conséquences que cela a eu sur les autres. En bref, se pardonner de s’être tellement défendue et de ne pas avoir eu le courage de l’amour. Encore aujourd’hui je surveille cette résistance à l’amour comme une casserole de lait sur le feu.

C’est pour cette raison que j’ai appelé le premier tome Dis-moi si je m’approche. Pour tout vous dire, alors que l’écriture de l’ouvrage était terminée, je cherchais un titre. Il me venait tout un tas de beaux titres mais aucun ne faisait vraiment tilt. Mon éditeur me rappelait chaque jour que ce titre devenait vraiment urgent. J’ai alors téléphoné à une très bonne amie pour qu’elle m’aide. Je lui ai dit : « Je te lis la liste de tous les titres possibles et dis-moi si je m’approche, et lequel je garde au final ? » Je lui ai donné une dizaine de titres et à la fin elle m’a dit : « eh bien le premier Dis-moi si je m’approche… Tu dis toujours ça ». Effectivement, c’était une expression que j’employais tout le temps à l’époque. C’est ainsi que le nom de l’ouvrage a été choisi et il dit bien qu’on prend longtemps à s’approcher d’une vérité sur soi. En chemin, il y a l’étape du pardon : le pardon des autres mais ultimement le pardon de soi, le pardon d’avoir péché contre l’amour pour reprendre une expression présente dans l’Apocalypse de St Jean.

Je peux vous dire honnêtement qu’il y a des jours où je me surprends à me laisser encore piéger par la résistance à ce que j’appelle “l’impudeur du cœur”. Autant nous pouvons être impudiques à notre époque sur certains sujets concernant le corps, autant nous restons tellement pudiques quand il s’agit d’exprimer l’affection ou plus encore l’admiration, la gratitude, l’amour… Bref, d’avoir des élans du cœur ! Pour répondre à votre question, je pense donc que tous et toutes nous aurons un jour à nous pardonner d’avoir tant résisté à l’amour, d’avoir eu tant de difficultés à exprimer nos sentiments profonds, de ne pas avoir eu le courage du cœur, le courage de s’approcher et de se laisser approcher sans tricher, sans masques, sans peur…

Peut-on vraiment rencontrer l’autre ? 

On rencontre l’autre à la mesure de combien nous avons éveillé et élargi notre conscience d’altérité. Autrement dit, il faut intérieurement devenir conscient que l’autre sera autre pour toujours… qu’il ne sera jamais nous ! Il sera “l’étranger”, toujours. Concrètement, cela se traduit par la compétence de ne jamais prendre l’autre pour acquis.  Pas de fusion, pas de « je te connais bien », et encore moins de « je te possède ». C’est un véritable éveil de conscience rigoureux et exigeant. Il conduit en chemin à renoncer à ce que l’autre soit du « même ». L’autre ne peut m’aimer qu’à sa manière. Pour faire l’expérience d’une rencontre sincère, renonçons à cette espèce d’aberration de rêver d’être aimé comme nous nous aimerions si l’autre était nous. L’autre est radicalement, absolument et définitivement autre. Rencontrer réellement l’autre n’est possible que si, et seulement si, nous arrivons à consentir à cela sans en souffrir.

C’est un peu ce que raconte la nouvelle couverture de L’Un n’empêche pas l’autre. L’image représente très exactement ce désir secret que l’autre soit le miroir de nous-même.  Nous passons tous par cette étape de chercher dans l’autre notre propre reflet. Nous nous aimons longtemps, ou plutôt nous souffrons longtemps de chercher à nous aimer à travers l’autre. Nous en prenons conscience en traversant pas mal de souffrances et de déceptions dans ce que j’appelle des relations de guérison. Pour passer au palier suivant, il faut accepter la séparation de la naissance et entamer un long processus de consolation de son enfant blessé. Moi, j’ai eu un grand accélérateur spirituel grâce à mon guru mais cela n’a m’a pas empêché quelques bonnes années de psychanalyse, avec en chemin des pratiques de rebirth, de respiration holotropique et autres thérapies liées à la naissance.

Aujourd’hui, dans mes enseignements et accompagnements, j’insiste beaucoup sur la libération des empreintes de naissance. Chaque fois qu’il y a des crises amoureuses, il est toujours judicieux de regarder encore et encore du côté de sa naissance.

Finalement, nous mettons très longtemps à quitter notre père et notre mère et tant que cela n’est pas fait, ils feront toujours obstacle à une rencontre avec l’autre libérée des projections parentales. En fait, on pourrait dire que mon histoire est l’histoire universelle du « Quitte ton père et ta mère ». Cela fait plus de deux mille ans que cette injonction christique nous a été faite et il y a encore du travail.  J’espère que mes bouquins auront un peu accéléré la route pour ceux et celles qui veulent vraiment rencontrer “l’autre” avec qui partager l’Amour, apprendre à aimer et à être mieux aimé-e au quotidien.

Rencontrer l’autre, en chair et en os, est le sujet du troisième tome qui sera réédité en juin chez J’ai Lu et c’est tout l’enjeu de la Voie de l’Amoureux que j’enseigne aujourd’hui.

 

Propos recueillis par Lara Turiaf

Photographie : © Sylvana Mele