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“Petits bonheurs quotidiens”, de Pierre Rabhi

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Quand le soleil brille et que je suis dans mon jardin ou au marché local, c’est le bonheur. Ma famille, mes amis me donnent aussi du bonheur. Les raisons de s’émerveiller sont très nombreuses, mais on a désappris à s’en délecter.

Dire que je suis dans la pure félicité serait un mensonge, mais parfois je pense que la souffrance a pour objet de donner encore plus d’intensité aux moments joyeux. (…) Dans le monde où nous vivons, manger à sa faim, être vêtu, abrité et soigné est à la racine du bonheur, mais beaucoup, apparemment, semblent l’oublier. (…)

Pour moi, chacun de nos gestes, même le plus banal, est un geste spiritualisé. Notre époque vit dans une fragmentation où un temps est dédié à chaque chose (…). Prenons l’exemple des vacances. Pourquoi en prendre quand on n’a pas vraiment le sentiment de travailler, au sens punitif du terme ? (…) Michèle et moi avions, nous, avant de prendre notre retraite, la chance que nos activités soient tellement satisfaisantes, aient tellement de sens, que nous n’éprouvions pas le besoin de partir en vacances. (…) À partir du moment où un être humain a une activité qui le satisfait profondément, il éprouve moins ce désir compensatoire. Avant d’avoir ma propre terre, oui, j’avais l’impression de me retrouver sur une chaîne transposée à la campagne. Je faisais du travail agricole répétitif (…). Mais dès que nous nous sommes installés chez nous, ça a changé. Certes, il fallait traire les chèvres chaque jour, les nourrir, faire nos fromages, aller les vendre au marché, s’occuper du potager, entretenir les bâtiments. Et pourtant nous ne considérions pas que c’était du travail mais des activités nécessaires, un rituel à notre survie. Michèle ou moi n’y prenions pas forcément plaisir tous les jours, il faut l’avouer, pourtant il y avait toujours ce petit rappel dans notre tête : « Tu es libre, mais tu le dois aussi à ces contraintes. »

Être libre sans contraintes, ça n’existe pas dans ce monde-là. Diogène, dans son tonneau, le savait bien. Quand Alexandre le Grand, du haut de sa puissance, se penche pour demander, non sans condescendance, s’il peut faire quelque chose pour lui, Diogène répond juste : « Ôte-toi de mon soleil ! » Quelle leçon !

 

Extrait du livre Semeur d’espoirs, entretiens avec Olivier Le Naire, © Actes Sud/Colibri, 2013.

Paysan, écrivain et philosophe, Pierre Rabhi est un pionnier dans la défense d’une société plus respectueuse des hommes et de la terre.

 

Photographie © Guillaume Atger