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Martin Aylward : méditer, c’est avant tout vivre dans son corps

Catégorie(s) : Rituels, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Happi.Body, Santé, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres

Des ashrams de l’Inde aux sommets pyrénéens en passant par le Moulin de Chaves, qu’il a fondé avec sa compagne Gail, Martin Aylward pratique la méditation depuis plusieurs décennies. Fondateur de Worldwide Insight, communauté de méditation en ligne, et de l’application Mind, il vient de publier aux éditions Les Arènes le livre Ne te quitte pas et participe, le 28 septembre prochain, au colloque “Santé, Méditation et Conscience” (www.sante-meditation-conscience.com), organisé au Grand Rex de Paris par les éditions Guy Trédaniel et l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP). Il nous parle aujourd’hui de sa relation au corps, qu’il place au cœur de la méditation.

Happinez : Quelle est la place du corps dans la pratique de la méditation et, plus largement, dans une existence spirituelle ?

Martin Aylward : Une pratique spirituelle vraiment incarnée consiste essentiellement à transformer notre relation avec le corps humain et la compréhension que nous en avons. Au début, nous considérons ce corps comme une chose, un morceau de chair vivant, mais à mesure que nous apprenons à nous adapter à notre expérience corporelle directe et intime, nous nous familiarisons de plus en plus avec la vie du corps en tant que champ d’une grande sensibilité. Nous commençons également à voir à quel point nous créons et portons des tensions inutiles et douloureuses qui génèrent du stress et de l’inconfort, et qui influencent ensuite notre état d’esprit. Nous apprenons à repérer, à explorer et à relâcher ces tensions. Nous découvrons comment vivre librement et à l’aise dans notre corps d’humain.

 

Happinez : Qu’est-ce qui pousse sans arrêt l’humain à l’extérieur de lui-même ?

Martin Aylward : Nos organes sensoriels – en particulier les dominants – se tournent principalement vers l’extérieur : nous percevons à travers nos yeux, dirigés vers l’avant, et nos oreilles, ouvertes sur le dehors, un monde fascinant, séduisant et parfois menaçant qui semble se déployer autour de nous. Ainsi, nous apprenons à nous orienter dans cet univers et à le parcourir à la recherche de plaisirs et de signes de danger. C’est une étape normale et parfaitement saine de notre développement évolutif, mais ce n’est que la première partie de la vraie compréhension de l’expérience. Car nous ignorons, en fait, que ce monde est perçu de manière « interne », vu et entendu là, dans notre conscience.

La pratique contemplative véritablement transformatrice est celle qui nous apprend à partager une intimité durable avec notre expérience, à explorer le monde là où il se manifeste, mais toujours en conscience. Ce voyage intérieur apporte une compréhension surprenante et libératrice, que nous pouvons tous connaître si nous apprenons à demeurer à l’intérieur de notre expérience. C’est précisément ce dont parle mon livre.

 

Happinez : À quelle étape de votre parcours de vie avez-vous compris l’importance du corps dans tout processus d’éveil ?

Martin Aylward : Nous pensons généralement que la méditation est une sorte d’exercice mental, mais mes propres enseignants m’ont toujours bien démontré que notre pratique est là où nous sommes, dans notre vie incarnée. Un ancien et célèbre maître bouddhiste de Thaïlande a résumé l’ensemble de son enseignement ainsi : « Ne laissez jamais votre esprit quitter votre corps » ou autrement dit ne te quitte pas !

Quand on demandait à mon premier maître, Ajahn Buddhadasa, un autre Thaïlandais, comment il voyait le monde, il le décrivait comme « perdu dans ses pensées ». Et c’est ainsi que j’ai commencé à pratiquer la méditation, comme la plupart d’entre nous. J’étais perdue dans mes pensées habituelles, mes pensées réactives, mes pensées gourmandes, mes pensées craintives et mes pensées douteuses. La méditation m’a montré le moyen de m’en sortir. Penser est une capacité merveilleusement utile, mais nous perdre en elle nous tire aussi vers chaque désir, peur ou distraction qui se présente. L’éveil de notre conscience sensorielle, de notre sensibilité à l’expérience immédiate de l’ici et maintenant constitue un soutien majeur pour trouver un peu d’espace autour de notre activité mentale qui devient, sinon, hors de contrôle.

 

Happinez : Dans votre livre, vous évoquez les limites de la posture d’“observateur” que l’on est amené à adopter à travers les techniques de mindfullness (ou pleine conscience)…

Martin Aylward : Quand nous parlons de “regarder le souffle”, d’“observer le corps”, ou lorsque nous nous disons “conscient” d’une expérience, nous renforçons le sentiment d’être en dehors de ce qui se passe. Dans la position de l’observateur ou de “celui qui est conscient”, nous restons séparés de notre expérience. Je préfère utiliser un langage sensoriel : “rentrer dans” l’expérience, “reconnaître l’expérience à l’intérieur de” ou “être intime avec”, ce qui se déroule. Cette description de notre relation à la méditation est également beaucoup plus proche de celle des textes originaux de la tradition bouddhiste. Au lieu de regarder ou d’observer votre expérience, ressentez-la profondément. Entrez dans l’immédiateté et dans l’intimité de ce qui se passe. C’est contre-intuitif, mais vous y trouverez plus d’espace qu’en essayant de vous en éloigner. Vous pouvez être complément dans une expérience, sans vous y identifier pour autant.

 

Happinez : Auriez-vous un exercice facile pour nous aider à réintégrer notre corps de la façon la plus consciente possible ?

Martin Aylward : Vous pouvez faire de nombreux exercices simples. Il y en a beaucoup dans mon livre, ou sur mon application de méditation, Mind-App.io. Vous pouvez utiliser une méditation formelle, en position assise, ou debout, vous concentrer sur le souffle ou sur d’autres sensations corporelles.

Mais quel que soit l’exercice que vous choisissez, l’important est de vous engager, de le pratiquer régulièrement et sincèrement. Si vous faites ainsi, vous remarquerez la différence. Vous pouvez apprendre à être réellement à l’aise au milieu de votre expérience – peu importe sans nature – et remarquer rapidement le moment où vous commencez à créer de la tension et du drame, pour lâcher prise. Engagez-vous et transformez votre vie.

Vous pourriez commencer, par exemple, par la présence dans le souffle : Asseyez-vous de manière détendue mais néanmoins droite. Alerte et à l’aise. Sentez le mouvement de votre respiration, l’expansion qui apparaît à l’inspiration et la relaxation qui est la nature de l’expiration. Pratiquez ceci pendant 5-10 minutes au moins. Chaque fois que votre attention est attirée par une abstraction – image, idée ou interprétation de ce qui se passe – revenez doucement au ressenti direct de votre corps respirant. Cet exercice simple est un excellent moyen de s’initier à la pratique de la méditation.

 

Propos recueillis par Aubry François

Photo © Graphic Node/Unsplash

 

Retrouvez aussi les paroles inspirées de Martin Aylward dans le n°43 du magazine HAPPINEZ, chez les marchands de journaux depuis le 24 juillet.