Le sommeil est un phénomène miraculeux.
La liberté d’être soi avec Jacques Schecroun, le 15 avril prochain en conférence live Happinez
Mais quand pourrons-nous enfin être nous-mêmes sans risquer d’être rejetés par notre famille, notre communauté, notre groupe ? Quand pourrons-nous échanger librement, entre êtres humains, partout dans le monde, sans être bannis par les nôtres, nos de points de vue différents ? Après Une autre façon d’aimer (Éditions de l’Homme, 2015) et Pardonne, aime et revis (Leduc, 2019), Jacques Schecroun, longtemps avocat, tombé dans la marmite de l’éveil de conscience dans les années 80 et aujourd’hui secrétaire-général de la Sigmund Freud University, nous revient avec un roman qu’on oserait dire holistique tant il imbrique de dimensions – l’histoire, la philosophie, la psychologie, la religion, la spiritualité – propres à notre humanité. Son Procès de Spinoza, publié aujourd’hui-même chez Albin Michel, raconte un épisode majeur de la vie du célèbre philosophe du 17ème siècle, celui durant lequel il fut inquiété, pour ses idées, par sa propre communauté. Dans ce bel entretien, Jacques nous livre quelques-uns des grands propos de son roman, avant-goût de la conférence live qu’il donnera, le jeudi 15 avril prochain, à 19h, sur la page Facebook du magazine Happinez. Il y montrera à quel point Spinoza a saisi l’élément essentiel qui réunit toutes les religions du monde, et combien sa pensée bienveillante s’avère des plus actuelles dans des sociétés menacées ici et là par la censure morale. Vous y découvrirez surtout ce que la philosophie de Spinoza offre de trésors pour vivre pleinement la liberté d’être soi.
Happinez : Qui était Baruch Spinoza ?
Jacques Schecroun : J’imagine que si vous me posez la question, c’est pour m’inviter à une réponse différente de celle que vous trouverez sur Wikipédia ou dans toute autre encyclopédie ou dictionnaire. Et elle le sera en effet. Qui était Baruch Spinoza ? — Je vous répondrais : un maître spirituel. Et je dirais même le premier maître spirituel de l’époque moderne en Occident. Le premier et, peut-être le seul de tous les philosophes qui a compris, non seulement dans sa tête, mais dans son être, le grand principe fondateur du monothéisme, à savoir que Dieu est Un.
C’est intriguant, vous pouvez nous en dire plus ?
Très volontiers. En fait, la plupart des gens associent l’idée que Dieu est Un avec le fait qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais Dieu est Un signifie aussi et surtout que nous ne faisons qu’Un ; et c’est ce dont Spinoza a eu la connaissance intuitive. Nous ne sommes pas séparés les uns des autres car, noirs ou blancs, arabes ou juifs, chrétiens ou athées, nous ne faisons qu’UN, puisque Dieu qui est tout est Un. Et au-delà même des différences de couleur de peau ou de religions, nous n’avons pas besoin d’être séparés pour exister, pas besoin de nous opposer les uns aux autres, pas besoin de dire non quand l’autre dit oui, pas besoin de passer notre vie à nous battre contre quelque chose puis autre chose, contre quelqu’un puis quelqu’un d’autre et ainsi de suite, indéfiniment. En fait, Spinoza nous invite à envisager différemment notre rapport avec l’autre, notre rapport avec le monde, notre rapport avec nous-même et, évidemment notre rapport avec Dieu.
Quelle est, alors, plus précisément, sa vision du divin ?
Pour Spinoza, et là, je le cite, « Seul Dieu existe ou, tout ce qui existe, existe en Dieu ». Cela emporte deux conséquences incommensurables : La première tient au fait que si Dieu est tout et qu’il a tout, alors, cela implique qu’il ne nous demande rien. On comprend, dès lors, que cette conclusion à laquelle il est parvenu n’ait pas fait plaisir aux religions. En effet, si Dieu ne nous demande rien, alors il n’y a plus de péché, plus de carême, plus de culpabilité, plus de confession, plus de Grand Pardon, plus de Ramadan, etc. Pas étonnant, voyez-vous, que la religion à laquelle il appartenait lui ait fait un procès, mais il en aurait été de même s’il avait été chrétien ou mahométan, comme on disait à l’époque.
La deuxième conséquence : c’est que si Dieu est tout, il est parfait et s’il est parfait, tout est parfait. Là encore, le fait que tout soit parfait, juste parce que c’est ce qui existe, c’est un propos in-entendable par les hommes habitués à ne pas vouloir accepter la réalité de ce qui est, à lutter contre, à s’en plaindre, à en désespérer. En ce sens, Spinoza rejoint Descartes qui disait que nul, pas même Dieu, ne peut faire que ce qui est ne soit pas. À partir de là, notre philosophe d’Amsterdam nous propose de suivre la voie de la responsabilité, c’est-à-dire, pour reprendre son expression, d’augmenter notre puissance d’être et d’agir. Je vois que vous froncez les sourcils… (rires)… laissez-moi préciser :
Lorsque vous acceptez la réalité de ce qui est, par exemple du mal qui vous a été fait, vous avez deux options :
– Soit vous faites avec, en vous disant : ok, c’est ainsi, comment vais-je grandir avec cela maintenant ? Là, vous augmentez votre puissance d’être et d’agir car vous êtes, vous-même, le maître de votre vie.
– Soit, c’est l’autre option, de loin la plus courante, vous vous lamentez, vous maudissez le coupable, vous demeurez victime de ce qui est arrivé. Et là, vous diminuez votre puissance d’être et d’agir car vous subissez et les évènements et votre existence.
Les religions sont-elles vouées à disparaître ?
On pourrait penser que je ne les porte pas dans mon cœur, mais c’est tout le contraire. J’aime me retrouver dans une église, dans un temple, dans une synagogue ou dans une mosquée. J’aime sentir l’ardeur de la foi, j’aime mesurer en levant les yeux jusqu’au plus haut des colonnes et des voûtes, ce dont l’homme s’est rendu capable à la gloire de Dieu, j’aime chanter cette même gloire de Dieu et j’aime être en communion avec les autres qui, dans une langue ou dans une autre, me disent pax vobiscum, chalom aleichem, salam aleikum, que la paix soit avec vous. Bien sûr, comme Spinoza, je suis mal à l’aise lorsque les ministres du culte tiennent un discours qui sépare ou lorsque le rituel fait la différence entre les croyants et les prétendus mécréants (ne sommes-nous pas tous enfants de Dieu ?), et mon rêve serait que les religions s’adaptent, qu’elles se transforment pour relier les hommes à Dieu au lieu de les en éloigner.
Comment appliquer la pensée de Spinoza pour vivre un quotidien plus épanoui ?
En un mot comme en mille, en pratiquant la bienveillance. On dit souvent de Spinoza qu’il est le philosophe de la joie. Je crois qu’il est aussi le philosophe de la bienveillance. Sa devise, en effet, je vous le rappelle, est : ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre. Ne pas railler, c’est, en termes actuels, ne pas se moquer, ne pas tourner en dérision, ne pas dénigrer et finalement respecter l’autre dans ses pensées, ses propos, ses positions. Ne pas déplorer, c’est arrêter de se lamenter, de regretter, de s’indigner et accepter ce qui est parce que ce qui est ne peut pas ne pas être quoiqu’on le voudrait tant, c’est aussi arrêter de subir les situations. Ne pas maudire, c’est ne plus dire du mal de qui que ce soit, à propos de quoi que ce soit. Chiche ! (rires… )
Pourquoi avez-vous choisi de raconter cet épisode particulier de la vie de Spinoza que constitue son procès ?
J’ai dédié ce roman à toutes celles et à tous ceux qui, de tous temps, ont été exclus pour avoir osé penser autrement. Je l’ai dédié aussi à toutes celles et à tous ceux qui, de nos jours encore, ici et ailleurs, sont menacés d’être exclus de leur famille, de leur communauté, de leur patrie, de leur groupe, de leur cercle, juste parce qu’ils envisagent la liberté. Et comme on ne parle jamais que de soi, il faut croire que je fais partie de ceux qui ont vécu la douloureuse expérience d’être mis à l’écart pour avoir osé penser autrement. Voilà pourquoi j’ai voulu raconter le Procès de Spinoza. Avec plus ou moins d’intensité, beaucoup, je pense, devraient aussi s’y retrouver.
Pensez-vous, finalement, que nous soyons, comme à l’aube du siècle des Lumières, sur le point d’accéder à un nouveau paradigme de la conscience humaine ? Si oui, de quel ordre ?
S’il s’agit de prendre mes rêves d’aujourd’hui pour la réalité de demain, je vous réponds oui, sans hésiter. Un principe de réalité m’oblige à être plus prudent et à mettre une dose de réalisme dans mon optimisme joyeux. En même temps, lorsque je vois le chemin parcouru par notre civilisation en quelques décennies, et je ne parle pas du point de vue de la technologie, mais du point de vue de la conscience, je suis enclin à y croire. Voyez donc, en à peine cinquante ans, le bébé, qui était considéré comme incapable de ressentir quoique ce soit, est devenu une personne qui comprend tout et ressent tout, la femme qui n’avait pas le droit de détenir un compte en banque sans l’accord de son mari est totalement autonome, la psychologie clinique qui n’était que pour les fous est l’objet de toutes les attentions, et il y a bien d’autres exemples qui montrent à quel point les consciences ont évolué. Alors, vous savez, puisque vous me demandez ce que j’en pense, moi, je vous dirais que mes rêves les plus fous sont toujours devenus réalité. Aussi je ne désespère que mes petits-enfants vivent dans un monde où les hommes ne feront vraiment qu’un, où la bienveillance guidera leurs pas en toutes circonstances et où la joie sera dans les cœurs.
Propos recueillis par Aubry François
Photographie : Jack Ward / Unsplash
Nous vous donnons rendez-vous pour la conférence de Jacques Schecroun, autour de son livre Le Procès de Spinoza (Albin Michel), le 15 avril, à 19 h, sur la page Facebook du magazine HAPPINEZ : www.facebook.com/happinezfr
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