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La fête, par Yasmine Liénard

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Mon enfance partagée entre la France et le Maroc m’a permis de goûter au miel de la fête comme pivot des rencontres et de la célébration des temps de la vie, comme le mariage ou la naissance.

Elle nous réunissait et était l’occasion de goûter la grandeur d’âme ou la créativité de ceux qui invitaient. Il y avait la fête organisée, où l’on préparait les plus beaux caftans de soie, des repas exquis, et la fête qui jaillissait de nulle part, à l’occasion d’un dîner improvisé. Un ami musicien amenait parfois son luth ou son violon et jouait quelques notes afin de remercier ses hôtes. Ces fêtes-là pouvaient durer jusqu’au petit matin et lorsque la transe atteignait son acmé, la danse exprimait la gratitude pour la vie à travers nos corps… Ces fêtes-là m’interpellent aujourd’hui.

La musique arabo-andalouse est née en Espagne, lorsque chrétiens, juifs et musulmans cohabitaient dans la joie. Les nombreuses fêtes ont permis l’éclosion de cette musique que l’on retrouve au Maroc et en Israël.

C’était une communion des coeurs, chantant l’amour du divin, sans distinction de religion. Les communautarismes ont rendu plus rares ces moments de partage. En France, les fêtes sont l’occasion de se retrouver. La religion catholique instaure ses propres rythmes et maintient une cohésion des fratries autour des mariages et des baptêmes. L’amitié est une valeur célébrée et les week-ends entre amis, les sorties sont un exutoire nécessaire après des journées de travail difficiles. Les fêtes peuvent être des marqueurs d’appartenance, pour se réconforter auprès de ses semblables, ou au contraire une façon de faire connaissance avec l’autre. La fête des voisins est un exemple réussi de connexion avec celui auquel nous n’aurions pas parlé dans l’ascenseur. Nous sommes différents, certes, mais nous habitons le même immeuble. Définir cet espace commun nous rassure et l’autre n’est alors plus vu comme un “étranger”, ce qui change notre quotidien.

Par ailleurs, l’une des vertus de la fête est de nous faire sortir de nous-mêmes, de nos habitudes. Selon Michel Maffesoli, la fête est un rite dionysiaque permettant de quitter le rationalisme qui nous assèche le cœur pour nous ouvrir à un autre mode d’être, plus ouvert, plus émotionnel, nous autorisant à perdre notre contrôle. La transe ou la musique peuvent nous aider à lâcher prise, c’est-à-dire quitter notre mental et nous incarner dans une spontanéité joyeuse, comme celle des enfants, ou nous relier à la nature et à nos forces profondes. Ainsi, la fête revêt de multiples bienfaits. Toujours selon Michel Maffesoli, elle est même en train de devenir l’un des éléments de la résurgence des instincts plutôt que de la raison pour laisser l’amour guider notre existence plutôt que le matérialisme. Il parle d’une “postmodernité” qui cherche à faire tribu.

Elle est source de joie, de lien, de bien-être psychique, de détente du corps, et de passage d’âge en âge. Fêter, c’est célébrer l’existence. À tout âge, avec tous les moyens. Même faite de petits riens, elle est un moment d’union des âmes et des cœurs, au-delà de notre volonté de nous distinguer. Notre créativité naturelle peut alors s’épanouir dans cette ouverture et faire de la fête un moment de partage, ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui.