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Jean-Louis Étienne : L’autonomie, une route vers la liberté
En 1986, après une marche de 63 jours sur l’océan arctique gelé, Jean-Louis Étienne est le premier homme à atteindre le Pôle Nord en solitaire. Bien d’autres existences en une seule ont ponctué le parcours de vie de cet ardent défenseur de la planète, du métier de tourneur-fraiseur dans le Tarn à celui de médecin explorateur en Patagonie ou dans l’Himalaya, en passant par l’écriture. Un point commun les relie toutes, auquel il a consacré son nouveau livre, le manifeste Osez l’autonomie (éditions Rustica). Dans cette interview exclusive, Jean-Louis Étienne nous explique comment cette capacité, vécue sous tous ses aspects, peut nous permettre d’apprendre à mieux nous connaître pour gagner en liberté.
Happinez : Qu’entendez-vous par la notion d’autonomie ? En quoi se différencie-t-elle de la liberté, qui nous est aujourd’hui très chère ?
Jean-Louis Étienne : Dans nos démocraties occidentales, les libertés ne sont pas vraiment sous contrainte. Défendre sa liberté, de décider et d’agir, est avant tout une pratique personnelle exigeante. La liberté ne se gagne pas sur les autres, elle se gagne sur soi. Abandonner ce que l’on a acquis pour de nouvelles explorations, c’est oser un chemin vers plus d’autonomie, mais il n’est pas dit qu’on y gagne en liberté. L’autonomie s’est naturellement imposée à moi. Par goût pour le travail manuel et aussi par nécessité, je me suis toujours demandé comment j’allais m’y prendre plutôt que d’acheter ou de confier aux autres. Cette indépendance au monde a toujours été un gage de liberté, d’insouciance et d’audace. Quoi qu’il arrive, je savais qu’avec mes dix doigts je pouvais construire une cabane, avoir un jardin et des poules, être autonome, ce qui m’a laissé le champ libre pour inventer ma vie.
Happinez : Devenir autonome n’implique-t-il pas forcément de se couper un peu du monde et des autres ?
Jean-Louis Étienne : L’autonomie a de multiples facettes. Notre système nerveux autonome par exemple, celui des automatismes – battements du cœur, respiration, émotions, douleurs – est le plus souvent laissé en friche. La méditation, le yoga, la sophrologie et bien d’autres pratiques permettent de s’en saisir à des fins de confort, de soulagement, ce sont des voies de thérapies autonomes.
Nous sommes manipulés, pavloviens, addicts au flot des informations continues qui dépasse nos capacités à les métaboliser. Certes, la presse garantit le bon fonctionnement de la démocratie, mais nous, citoyens, comment nous forger une opinion, comment préserver une joie de vivre après ces défilés sans fin de nouvelles, rarement légères ? Hiérarchiser, mettre en perspective, reprendre son libre arbitre… Un chemin autonome nécessaire pour se préserver des turpitudes du monde.
Happinez : Vous qui avez toujours répété à vos enfants « Soyez autonomes », quels conseils pourriez-vous nous donner pour atteindre cet idéal en phase avec les besoins actuels de notre planète ?
Jean-Louis Étienne : Certains parlent avec aisance de changer de paradigme, autant dire changer de planète. Facile de se réfugier derrière des concepts inaccessibles. « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci » écrivait Paul Eluard : chacun a le devoir d’être l’acteur d’un meilleur environnement, prendre sa part de responsabilité, être efficace dans sa zone d’influence.
Rechercher l’autonomie n’est pas la quête d’un idéal, c’est se constituer une trousse à outils qui permette de faire face aux évènements avec indépendance. Être autonome, c’est savoir se soulager de la multitude d’encombrants que la vie nous délivre. Les plus entreprenants font de leur carré de pelouse un potager en permaculture. Pour certains bricoleurs, le graal est de devenir autonome en énergie ! L’autonomie, c’est apprendre à se débrouiller, à entreprendre. Il y a du fun et de la fierté à devenir autonome.
Propos recueillis par Aubry François
© Valentin Salja/Unsplash