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Isabelle Célestin-Lhopiteau : vers une santé intégrative

Catégorie(s) : Art de vivre, Nature, Non classé, Philosophie, Santé, Happi.Body, À découvrir, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres, Rituels, Développement personnel, Bien-être

Isabelle Célestin-Lhopiteau est directrice de l’IFPPC, l’Institut français des pratiques psychocorporelles. Responsable du DIU de pratiques psychocorporelles et de santé intégrative et du DU hypnose et anesthésie (universités Paris-Sud et Réunion), elle a également fondé la revue en ligne Big Bang Therapy (www.bigbangtherapy.com). Après la publication, il y a quelques mois, de son livre Éloge du vivant (aux éditions Harper Collins), la psychologue partage avec nous ce que sa découverte de la médecine intégrative (mêlant médecine conventionnelle et pratiques complémentaires) a apporté à son travail thérapeutique. Dans ses propos se dessine les contours déjà tracés d’une véritable santé intégrative qui va bouleverser, dans les prochaines années, notre rapport au soin.

Happinez : Qu’est-ce que la médecine intégrative ?

Isabelle Célestin-Lhopiteau : La médecine intégrative, c’est l’association dans le parcours de soins d’un patient du meilleur de la médecine conventionnelle et des pratiques complémentaires – évaluées scientifiquement sur leur sécurité et leur efficacité. Ces traitements complémentaires peuvent être regroupés en 4 catégories selon leur nature[1] : psychocorporels (hypnose, yoga …), biologiques naturels (plantes, compléments alimentaires …), physiques manuels (ostéopathie, chiropractie, massage …) et autres approches de la santé (médecine traditionnelle…). La médecine intégrative tient compte de la personne dans sa globalité (corps, esprit, spiritualité, histoire personnelle, relations sociales et familiales, …) et développe une approche personnalisée considérant l’importance de la relation thérapeutique et des différents aspects du mode de vie du patient. La place de la prévention y est essentielle pour le patient et pour le soignant. En médecine intégrative, le maître-mot pour les soignants est “interdisciplinarité”, ou comment une équipe peut apporter au patient tous les soins nécessaires, scientifiquement évalués, qu’ils proviennent de la médecine conventionnelle ou des pratiques complémentaires.

Happinez : Comment la découverte de la médecine intégrative et des limites de la médecine occidentale a-t-elle justement modifié votre façon d’accompagner vos patients ?

Isabelle Célestin-Lhopiteau : j’ai longtemps travaillé en centre anti-douleur et ma pratique clinique m’a amenée à m’interroger sur ce qui soigne vraiment. J’ai pu déjà, à l’époque, constater que la médecine occidentale, si performante dans de nombreux domaines, s’associait de plus en plus à des pratiques complémentaires, particulièrement dans la prise en charge de pathologies chroniques, de maladies respiratoires et cardio-vasculaires, de cancers mais aussi de la douleur, qu’elle soit aiguë, liée aux soins médicaux ou chronique.

Or, et ce qui est encore souvent le cas à ce jour, les patients avaient d’abord recours, par eux-mêmes, à ces pratiques sans que ce soit forcément balisé par des professionnels de la santé. C’est ce que le rapport de l’OMS de 2002 a mis en évidence. Le paysage thérapeutique mondial étant en plein changement, j’ai alors ressenti la nécessité d’aller voir ailleurs ce qui se faisait. En entreprenant un travail anthropologique dans différentes régions du monde – Chine, Sibérie, USA, Inde, Afrique – et même dans les campagnes européennes, pour comprendre ce qui faisait l’efficacité des pratiques complémentaires, j’ai pu voir comment elles cohabitaient avec la médecine conventionnelle.

Cela m’a conduit à réfléchir autrement et à construire autour de ces complémentarités. J’ai pu constater qu’alors que de nombreuses thérapies se concentrent sur les problèmes du patient et négligent ses forces[2], plusieurs pratiques complémentaires s’appuient sur l’activation des ressources de celui-ci, et c’est une perspective que j’ai tout de suite intégrée dans ma clinique pour en constater l’efficacité auprès des patients. J’ai donc pris la mesure de l’importance de transmettre des outils personnalisés à chaque patient, de favoriser son autonomie, de le remettre à la place d’acteur de sa santé. Depuis, il ne s’agit plus pour moi de seulement proposer un parcours de soin associant diverses approches, mais de permettre au patient de développer de manière indépendante un véritable art de vivre sur le long terme. La place de la prévention est essentielle dans cette optique où les différents aspects du mode de vie du patient sont pris en compte : la façon de s’alimenter, le sommeil, l’activité physique et l’attention à soi et au monde. La santé intégrative se fondant sur les forces de l’individu, celui-ci, peu à peu, devient capable, par lui-même, d’utiliser les différentes pratiques dont il dispose, au moment qui lui convient, et peut même en apprendre d’autres en fonction de son évolution.

J’ai aussi réalisé l’importance de l’apport de ce mouvement intégratif dans l’enseignement des professionnels de la santé, c’est pourquoi, avec le Pr Benhamou, le Dr Nègre et Pascale Thibault, nous avons fait rentrer ces pratiques à l’université en créant le diplôme Inter Universitaire des Pratiques Psychocorporelles et de Santé Intégrative à l’Université Paris Sud. Mais il faut aller plus loin dans l’enseignement de base des professionnels. C’est aussi ce qui m’a encouragé à créer mon centre de formations et de thérapies à Paris, l’Institut Français des Pratiques PsychoCorporelles (www.ifppc.eu).

Ce que tout ce travail entrepris pendant ces 20 dernières années a changé dans ma vision, c’est que le soin, la thérapie, doivent être inclus dans cette interdisciplinarité. D’où l’importance de créer de véritables espaces d’échanges où les patients aussi ont toute leur place pour développer cette expertise. Ce travail est réalisé à travers des livres collectifs, des colloques et aujourd’hui avec un référentiel national des professionnels ressources en Pratiques PsychoCorporelles et Santé Intégrative où les professionnels en France et dans le monde ont la possibilité de réfléchir et de créer ensemble. Parce que nous sommes nombreux, et de plus en plus, partout dans le monde, à travailler et développer cette notion de médecine intégrative, et plus largement de santé intégrative. Aujourd’hui ce think tank dispose d’une expertise forte qui lui permet de travailler efficacement. Et à présent, ce mouvement international vers la santé intégrative prenant de l’ampleur, j’accompagne les professionnels de santé qui veulent s’y impliquer, dans l’ouverture de leurs propres centres de santé intégrative dans un esprit de compagnonnage.

Happinez : Quelles sont les dernières découvertes des chercheurs sur les diverses approches de la médecine intégrative ?

Isabelle Célestin-Lhopiteau : De nombreux travaux scientifiques permettent de confirmer l’intérêt de ces pratiques et d’en préciser les contre-indications. Par exemple, les études montrant l’efficacité de l’hypnose comme pratique complémentaire[3] sont légion dans de multiples indications comme la prise en charge de la douleur, du stress, des phobies, des troubles neurologiques, etc.[4] L’importance de l’autohypnose est soulignée dans ces études[5] et nous montre le potentiel de cette pratique dans le domaine de la santé intégrative, qui vise à accompagner et autonomiser le patient.

Plus largement, des recherches récentes montrent l’intérêt du yoga[6], de l’ostéopathie, de l’acupuncture et d’autres pratiques dans la prise en charge des douleurs chroniques et du stress. Des travaux en neurosciences ont également mis en évidence le fait que la méditation modifie l’activité cérébrale de façon significative lorsqu’elle est pratiquée sur le long terme. Des neurones apparaissent et se réorganisent et la plasticité cérébrale est accrue (étude du Dr Antoine Lutz, du Centre de recherche en neurosciences de Lyon[7], collaborateur des pionniers Francisco Varela et Richard Davidson).

La compréhension des réactions observées dans ces études évaluant l’impact des pratiques psychocorporelles sur la santé va donc encore plus loin : nous découvrons que non seulement ces approches induisent des changements psychologiques et physiques mais qu’en plus, elles ont un effet sur notre plasticité cérébrale, et aussi sur le fonctionnement de notre microbiote intestinal, et même sur l’expression de nos gènes.

Nous sommes ainsi passés à une vision qui décloisonne, à une vision intégrative de la médecine et plus généralement de la santé. Toutes ces pratiques, tous ces domaines de recherches interagissent, communiquent. C’est comme un grand puzzle qui se met en place. On ne répond plus au besoin du patient avec une pièce unique, mais avec plusieurs qui constituent une réponse cohérente et complète à chaque cas individuel.

Aujourd’hui, toutes les études montrent qu’à la complexité de chaque individu, il faut une réponse complète. Et donc logiquement, l’étude de la combinaison de ces traitements montre l’intérêt d’un parcours de soin adapté au patient puisque c’est en association les uns avec les autres qu’ils sont le plus souvent recommandés : la personne malade cherche dans plusieurs directions et peut associer, par exemple, une pratique physique à un travail sur l’alimentation, des exercices de respiration à de l’acupuncture, ou encore un traitement à base de plantes et des massages. C’est pourquoi, selon différentes études[8], 33 à 65 % des patients atteints de sclérose en plaques ont recours à une ou plusieurs thérapies psychocorporelles : pour eux, le yoga est utile pour lutter contre la fatigue, le tai chi améliore la marche et la souplesse, la méditation « pleine présence », l’hypnose et la relaxation sont efficaces sur les douleurs chroniques tandis que la musicothérapie permet de stimuler l’envie de bouger et améliore l’équilibre comme la coordination des mouvements.

De plus, la médecine intégrative accorde une grande importance à la qualité de la relation thérapeutique. C’est essentiel. Et c’est précisément cette importance de la relation, de l’empathie, qui a été démontrée cette année par une équipe INSERM de Lyon qui a identifié les mécanismes cérébraux expliquant les bénéfices de la reconnaissance de la souffrance par les soignants.

Happinez : Quelle est la place du charlatanisme, dans tout ça ?

Isabelle Célestin-Lhopiteau : Il est important, en effet, de baliser le parcours pour les patients et les professionnels. Attention à une certaine méconnaissance qui induit une confusion autour de ces pratiques. Il ne s’agit pas de pratiques parallèles mais bien complémentaires.

Dans cette perspective, il est capital pour les patients et les professionnels de santé de se baser sur les évaluations de la science concernant ces pratiques. La littérature scientifique propose maintenant de très nombreuses recherches prouvant l’intérêt de ces approches, mais également de leurs potentielles contre-indications. C’est la base à connaitre pour bien savoir les manier[9].

Il est important également que ces pratiques soient encadrées par un professionnel de santé qui connaisse le périmètre et les limites de son champ de compétence et qui les utilisera de façon éthique et adaptée, en les intégrant à la médecine conventionnelle.

C’est précisément dans ce but d’aider les professionnels de santé à s’y retrouver et de recommander le bon praticien et la pratique correspondant à chaque patient que nous avons créé, avec de nombreux collègues, le référentiel des professionnels ressources en Pratiques PsychoCorporelles et en Santé Intégrative (www.lereferentielppc.org).

Gardons toujours à l’esprit que l’objectif d’une thérapie, d’un coaching ou d’une formation est d’amener l’individu à plus d’autonomie. Et qu’il est donc indispensable de s’éloigner de toutes les situations suivantes : mise en opposition systématique de la méthode psychothérapeutique proposée et de la médecine classique ; croyance en la toute-puissance d’une méthode ou d’une personne à guérir toutes les pathologies ; transgressions de la règle d’abstinence et de confidentialité ; pratiques paranormales ou magiques ; prix prohibitifs[10].

Happinez : Y a-t-il des dispositions que chacun puisse prendre au quotidien pour conserver durablement la santé et rester connecter à la vie qui l’habite ? Si oui, quelles sont-elles ?

Isabelle Célestin-Lhopiteau : Toutes les pratiques complémentaires qui constituent la médecine et la santé intégrative ont des ingrédients communs, souvent simples, qui peuvent être utilisés au quotidien. Et pour mieux le faire comprendre aux patients et aux étudiants, je leur propose de commencer leur parcours de santé à partir de la carte de la santé intégrative que nous avons créée.

 

Le centre, c’est la personne elle-même. Elle dispose d’outils, les techniques telles que l’hypnose et la méditation, qu’elle doit personnaliser en fonction de ses propres critères, de ses besoins et de ses préférences et avancer dans le développement de son propre équilibre.

Dans cette perspective, il est possible d’apprendre à mieux respirer, mieux manger, mieux se relier à soi et aux autres et ainsi à rester en bonne santé et garder son équilibre face à la vie et ses multiples challenges.

Il existe, par exemple, de nombreux exercices de respiration qui permettent de se dynamiser ou au contraire de se relaxer. La plus simple de ces techniques repose sur la respiration consciente. Un des exercices que je recommande pour commencer à prendre conscience de sa respiration est celui de la respiration en carré : inspiration sur 4 secondes, retenue de l’air inspiré pendant 4 secondes, expiration en 4 secondes et une rétention de 4 secondes. Chacun doit trouver le temps qui lui est agréable, mais le rythme doit être apaisant. À répéter 3 fois 5 minutes chaque jour.

Il est bon également d’adopter un mode de vie qui nous corresponde physiquement et psychologiquement en termes d’alimentation, de sommeil et d’activité physique. L’équilibre vient aussi de savoir prendre des temps pour soi, être juste présent à soi et au monde sans effort pour être. C’est déjà une façon simple de modifier la conscience, mais essentielle dans nos rythmes de vies souvent effrénés. Il appartient à chacun de développer ces techniques et ces pistes. Quitte à se faire accompagner, ou conseiller lorsqu’on en ressent le besoin.

L’objectif de ces techniques est de trouver sa façon de se relier à la fois à son corps et à son être mais aussi à ce qui nous entoure d’une autre façon. Et prendre soin de son environnement, c’est aussi prendre soin de soi.

Nous avons la chance de vivre à une époque où les recherches scientifiques viennent confirmer ce que ces médecines anciennes pressentaient : ces composants communs ont des effets sur nos neurones, sur notre cerveau, sur notre système immunitaire, mais également sur notre microbiote intestinal et sur l’expression de nos gènes.

 

 

Notes

[1] Pr J.-Y. Fagon, Dr C. Viens-Bitker, Médecines complémentaires à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, rapport de mai 2012.

[2] D. Gassman, K. Grawe, « General change mechanisms: The relation between problem activation and resource activation in successful and unsuccessful therapeutic interactions », in Clinical Psychology and Psychotherapy, 2006, 13, 1-11.

[3] Celestin-Lhopiteau Isabelle, Thibaut-Wanquet Pascale, Hypnose et pratique paramédicale, Lamarre, Paris, 2018.

[4] Vanhaudenhuyse A., Faymonville M-E, 2015 ; Flamand-Roze C 2016

[5] Vanhaudenhuyse A., Faymonville ME, 2015, Lindfors P 2012, Kohen D.P 2010

[6] Université de l’Illinois, États-Unis, 2015 ; St Elisabeth’s Medical Center, Etats-Unis 2012 ; Université d’Oslo, Norvège, 2013 ; Université de Boston, États-Unis, 2013

[7] Impact de l’Entraînement Mental de l’Attention et de la Régulation des Emotions sur le Cerveau et le Comportement : Implications pour la Neuroplasticité, le Bien-être et la Recherche sur les Psychothérapies basées sur la Méditation, Dr. Antoine Lutz, Equipe DYCOG, INSERM, 2019

[8] C. Flamand-Roze, « Les mind-body thérapies », in Neurologies, décembre 2017, vol. 20, numéro 203..

[9] Celestin-Lhopiteau Isabelle, Thibault-Wanquet Pascale, Guide des Pratiques PsychoCorporelles, Ressources pour les soins et la santé, Elsevier Masson, 2018, 2e édition.

[10] En cas de doute, vous pouvez consulter le site de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires : www.derives-sectes.gouv.fr)

 

Propos recueillis par Aubry François

© Gwladys Louiset Photography