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“Il faut entrer au cœur de l’épreuve pour y trouver des possibles”. Entretien avec le philosophe Fabrice Midal

Catégorie(s) : Livres, Rituels, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Philosophie, Rencontres, Sagesse & spiritualité

Crise sanitaire, difficultés économiques, environnement à la dérive… L’année 2020 est venue souligner fortement le temps de bouleversements qui est le nôtre. Mais faut-il pour autant se laisser prendre dans un tourbillon de pessimisme et de détresse ? Pour le philosophe, écrivain et fondateur de L’école de méditation, Fabrice Midal, toute crise est une occasion de rebondir. C’est l’esprit qui gouverne son nouveau livre Comment rester serein quand tout s’effondre (Flammarion / Versilio). Cette interview exclusive va lui permettre de développer ce qu’il entend par là, en insistant sur le fait que l’ombre répond à la lumière et que les difficultés font – heureusement – partie de la vie.

Happinez : N’y a-t-il pas comme une gêne quand on se met à imaginer un monde uniquement fait d’harmonie et d’énergie positive ? N’oublie-t-on pas quelque chose d’important ?

Fabrice Midal : Le rêve d’un monde harmonieux dans lequel tout serait positif, est en effet une illusion qui nous fait beaucoup de tort et explique bon nombre de nos souffrances. Tout simplement parce que la vie, ce n’est pas ça ! Et heureusement ! La vie est beaucoup plus riche et subtile que cette dimension unilatérale qu’on identifie malencontreusement au bonheur. Tous les moments vraiment importants de nos existences contiennent des difficultés, des peurs, des incertitudes et des joies profondes dans un mélange indistinct : mettre au monde un enfant, prendre la parole en public pour dire quelque chose qui nous tient à cœur, construire une maison au sens propre ou au sens figuré…

Rejeter les difficultés, c’est rejeter la vie.

Écrire un texte, faire un exposé à l’oral… au début, c’est difficile. Rester figé sur notre idée qu’il faudrait que tout soit positif engendre de la frustration et du découragement. Ça nous tétanise et on y arrive encore moins…

Il est bien plus sain et aidant d’accepter que parfois, on n’y arrive pas. C’est le pas nécessaire à faire pour avancer !  Apprendre à nager, au tout début, semble difficile ! Et c’est aussi pour cela que c’est merveilleux d’y arriver…

Dans mon livre, Comment rester serein quand tout s’effondre, j’en suis, pour cette raison, venu à dessiner les contours d’une vraie sérénité concrète et réelle, pas cette illusion qui construit notre souffrance en nous offrant de fausses consolations. Et pour donner de la clarté, j’oppose deux paradigmes : le paradigme statique ou le paradigme dynamique. Le paradigme statique considère que la sagesse consiste à être calme, sans émoi, sans rencontrer de difficultés, rester dans sa tour d’ivoire, impassible… La vraie sagesse est en réalité dynamique, elle sait transformer les difficultés, découvrir des raisons d’espérer même dans l’obscurité. Elle est la force de vie dont nous avons tous besoin.

 

Comment redevenir humain dans une société qui érige la perfection comme modèle ?

Il faut être précis. Je ne pense pas que notre société nous demande d’être parfait. Elle nous demande d’en faire toujours plus, nous fait croire qu’on n’en fait jamais assez… Du coup, nous nous sentons toujours en faute ! C’est ce qui explique tant de stress, d’angoisse et de burn out. Le problème n’est pas celui que nous croyons. Nous ne sommes pas coupables de ne pas en faire assez, mais victimes d’une idéologie extrêmement pernicieuse. Il est temps de nous libérer de cette idéologie et de retrouver un peu de sérénité ! De prendre de la hauteur et ne plus se laisser faire !

 

Que retenir, aussi bien sur le plan individuel que collectif, de cette crise qui touche le monde ?

Il y a urgence à retrouver un rapport réel, sain, concret à ce qui est difficile, à ce qui semble négatif, à ce qu’on voudrait rejeter. Sinon, c’est la panique ! Et nous avons vu les effets délétères de la peur et de la colère. On est prisonniers de ressentis qui nous aveuglent !

Prendre de la hauteur, c’est découvrir que la vie est une dialectique des contraires. Toutes les civilisations ont appréhendé cette question : c’est, pour prendre deux exemples parmi tant d’autres, le Yin et le Yang dans la pensée orientale, ou l’ombre et la lumière chez Jung.

Avec la crise, j’ai l’impression que ce discours est devenu davantage nécessaire.

Dans mon livre, j’explore les manières de pouvoir se coltiner les difficultés, d’en faire quelque chose, d’en faire des forces, des occasions d’aller de l’avant, de se réinventer…

Nous ne sommes jamais condamnés par une situation donnée !

Certes, quand la crise est arrivée, nous avons tous eu l’impression que c’était la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous devions faire face à cet abîme. Et il se produit le même phénomène au niveau individuel : quand une catastrophe nous tombe dessus, nous avons le sentiment d’être seuls au monde. On regarde autour de nous et on a l’impression que la chance sourit à tout le monde, sauf à nous. C’est quelque chose qui est très profondément ancré. Pourtant, en réalité, tout le monde traverse des épreuves. Et toutes les époques ont vu la terre trembler sous leurs pieds ! L’idée que nous serions les seuls à qui cela arrive est une illusion ! Il nous faut apprendre à mettre les choses en perspectives. Depuis que l’Homme est Homme, chaque génération a vécu des crises, des souffrances, des déchirures. Et à chaque époque on trouve des personnes pour inventer des nouveaux chemins, et découvrir de nouveaux possibles. Mes grands-parents ont vécu la montée du nazisme, la persécution des leurs, la Seconde Guerre mondiale, mes parents ont traversé la guerre d’Algérie. Cela participe de la condition humaine. C’est important de prendre conscience que nous ne sommes pas les seuls, ni comme génération, ni comme individu. Nous appartenons à un monde plus vaste et nous pouvons prendre appui sur la sagesse de nos ancêtres pour traverser les difficultés qui sont aujourd’hui les nôtres.

 

Comment avez-vous vécu personnellement cette période de chaos général ?

Cela va vous paraître surprenant. Mais j’ai trouvé que c’était une occasion de grandir…et cela m’a paradoxalement donné de grandes joies. Bien sûr, j’ai vécu des moments difficiles, des moments de peurs, de chagrins — mais aussi le sentiment de devoir réinventer mon travail, mon métier. Et j’ai trouvé cela souvent exaltant. Difficile, mais exaltant.

Dans l’École de méditation que j’ai fondée, j’ai eu l’impression que le ciel me tombait sur la tête quand nous avons dû annuler tous nos stages les uns après les autres. Et puis après le premier moment de choc, j’ai inventé d’autres approches, discerné de nouveaux possibles, et c’est devenu très intéressant.

J’ai aussi dû apprendre à être plus au clair sur certains mécanismes de peurs, ce qui m’a fait avancer.

La sérénité que j’essaie de penser vise à cesser d’être spectateur de sa propre vie. Et paradoxalement, c’est cela qui rend heureux ! Aujourd’hui, on essaie de nous montrer qu’être serein consiste à rester zen et calme, à rentrer dans notre forteresse intérieure ou à nous évader de la réalité. Pour ma part, c’est le contraire qui m’aide. C’est agir, entrer dans l’action, faire, qui m’aide le plus profondément à dépasser les difficultés et à retrouver confiance !

Pour moi, l’une des choses les plus difficiles à vivre pendant le confinement, fut le moment où le gouvernement a interdit les enterrements. J’ai été dans un état de choc ! J’ai senti qu’on touchait à une racine anthropologique essentielle et j’ai aussitôt relu le texte d’Antigone qui veut enterrer son frère au prix de sa propre vie. Le roi Créon le lui interdit. Mais elle sent qu’on ne peut plus être vivant si on franchit cette limite. Je me suis alors beaucoup engagé pour faire revenir le gouvernement sur cette décision.
Mais j’ai trouvé qu’on franchissait une ligne rouge. Je ne cesse d’y penser, du reste.

Je crois enfin que le chaos actuel nous invite à essayer d’aller chercher plus profondément ce qui est humain en nous. Et c’est ça, la sérénité : être un peu plus en harmonie avec l’énigme de notre propre humanité. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des moments où j’ai mal, que l’irrationalité de notre temps ne me choque pas, ou que la crise économique qui se profile devant nous ne m’inquiète pas. Mais il y a autre chose que ça. Nous avons comme tâche de vivifier cet “autre chose”. Il nous faut inventer comment trouver les racines de vie qui sont en nous. C’est à la fois poignant et heureux.

 

Avez-vous un conseil concret pour les gens qui traversent aujourd’hui des difficultés ?

Bien sûr ! Paradoxalement, quand nous avons une difficulté, ce qui est le plus aidant, c’est d’essayer d’entendre, de voir, de se demander ce qui se passe. En le faisant, on enlève une certaine forme d’émotivité qui nous empêche de voir la réalité telle qu’elle est. On arrête de projeter plein de choses inutiles sur la situation. C’est le premier mouvement : revenir tout simplement à ce qui est, comme c’est. On se rend alors compte que c’est en rencontrant ce qu’on éprouve qu’on peut le transformer. Nous avons le sentiment que si nous approchons de trop près ce qui nous met en péril, nous allons être engloutis. C’est une peur archaïque qu’on peut bien comprendre ! Mais la sagesse consiste à voir que cette peur est mauvaise conseillère, et qu’il faut entrer au cœur de l’épreuve pour y trouver des possibles.

Ensuite, il faut se libérer de l’illusion qu’on devrait trouver une issue, un réconfort avant de traverser l’épreuve. Cela n’est pas possible ! C’est en acceptant d’entrer en rapport avec ce qu’il se passe qu’on va éventuellement trouver la solution. C’est indiscutablement difficile. Mais cette difficulté fait partie de l’existence humaine.

C’est tout simple : quelqu’un qui a peur de nager apprivoisera l’eau en l’approchant, en commençant doucement à s’y plonger. C’est comme ça pour tout dans la vie, on n’apprend pas à nager sur son tabouret ! À un moment, il faut entrer dans l’eau. Ça fait peur, on va surement avoir froid, ça va demander du travail, mais après, quelle joie de pouvoir nager !

 

Fabrice donnera du 24 novembre au 6 décembre 2020 un cours en Visio-conférence en six séances : ”Comment la méditation peut m’aider très concrètement dans toutes les situations de la vie quotidienne”. Pour en savoir plus : www.fabricemidal.com/meditation-actu/comment-la-meditation

 

Propos recueillis par Aubry François

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