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Embrassons pleinement le réel. Regard du philosophe Alexandre Jollien sur le sage Swami Prajnanpad

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Ouvrir le recueil Le maître du oui (Points vivre, mars 2020), c’est quitter d’abord les murs un peu épais de son lieu de confinement pour se retrouver dans la campagne bengalie auprès de Swami Prajnanpad. Mais à mesure que tournent les pages et que les citations sélectionnées par Renaud Peronnet apparaissent – quintessence d’un enseignement mêlant à l’expérience de la spiritualité la sagesse orientale et la psychanalyse – on comprend le mouvement essentiel qui consiste à accueillir le réel sous toutes ses facettes, ce réel qui nous ramène à l’intensité de vivre, à chaque instant, peu importe les murs qui nous retiennent aujourd’hui. Le philosophe et écrivain Alexandre Jollien, qui signe la préface de ce livre, partage ici avec nous ce que la pensée de Swami Prajnanpad lui inspire.

Happinez : Si vous deviez présenter Swami Prajnanpad en quelques mots, à ceux qui n’en auraient jamais entendu parler, que diriez-vous ?

Alexandre Jollien : À mes yeux, Swami Prajnanpad est un grand réconciliateur, un maître de vie qui nous apprend à dire un « oui » intégral à l’existence telle qu’elle se présente, telle qu’elle s’impose. Puisant à la source des trésors de l’hindouisme mais aussi de la psychanalyse, il inaugure un art de vivre pour nous conduire à une liberté vaste, entière. C’est un maître de l’acceptation, à cent lieues de la triste résignation. Il nous arrache avec légèreté et joie à la dépendance, à la prison de notre mental, aux peurs, à toutes les causes de la souffrance. C’est un compagnon de route qui nous apprend à adhérer à ce qui est, à nous dégager de tout infantilisme, à repérer les mille et une projections de l’ego.

 

Face à l’âpreté de l’existence, quelle est l’approche de Swami ?

Sur le tragique de l’existence, sur les souffrances inévitables, la maladie, la mort, le mental ajoute une couche de psychodrame qui nous écrase, nous aliène et nous met à la torture. Swami Prajnanpad dégage une voie pour que l’on cesse d’être prisonnier du passé, il invite à congédier tout sentiment de peur lié à un ego recroquevillé, froussard. Il nous convie à l’action car rien de pire, dans la souffrance, que l’immobilisme. C’est un maître de liberté qui pourfend tout ce qui nous empêche d’être en mouvement, tout ce qui nous bloque, tout ce qui nous ratatine.

 

Ce livre est-il un mode d’emploi pour « mieux » vivre ?

Plus qu’un mode d’emploi, il s’agit d’un viatique, d’un tremplin vers la liberté. Ouvrir ce livre, c’est adopter un autre rapport au monde, plus audacieux, plus généreux, c’est s’exercer à la sagesse, c’est pratiquer un grand saut hors de la prison de l’ego et du mental. C’est jeter un regard hyper réaliste sur le monde, connaître les causes de la souffrance et s’en affranchir. À chacun d’inventer sa voie, à chacun de puiser au sein de la vie l’immense ressource d’une existence, à chacun d’apprendre à aimer sans souffrir, sans enfermer quiconque.

 

S’il est essentiel de dire « oui » à ce que la vie nous présente, cela signifie-t-il accepter même l’inacceptable ? L’acceptation n’est-elle pas une forme de résignation ?

Précisément, l’acceptation est le contraire de l’immobilisme, de la résignation. Accepter le réel tel qu’il est, prendre en compte ce qui est ici et maintenant, permet d’être éminemment actif, de se mobiliser contre les injustices, les inégalités. Si l’on dilapide nos forces à regretter un passé que l’on ne pourra jamais changer, si on lutte contre des mirages, contre des moulins à vent, on gaspille l’énergie qui doit être mise dans l’actualisation de la vie, de la joie, de la paix pour chacun.

 

Dans la situation de confinement qui est la nôtre, comment pourrait s’exprimer en actes la voie transmise par Swami ?

Ainsi que le dit Swami Prajnanpad : « Quand vous êtes malades, vous dites : “Oui, je suis malade, j’accepte le fait d’être malade. Et maintenant, que puis-je faire ?” Accepter, c’est d’être actif et non passif, c’est tout à fait le contraire de l’inaction. »

Les temps troubles que nous traversons sonnent, dès lors, comme une invitation à être actifs, généreux, au fond du cœur, loin de toute passion triste.

Swami Prajnanpad disait aussi : « La perfection, ce n’est pas de faire quelque chose de grand et de beau, mais de faire ce que vous êtes en train de faire avec grandeur et beauté. »

Si on peut être des héros, aujourd’hui, n’hésitons pas, prêtons main forte. Dans le même temps, je pense que suivre Swamiji, c’est aussi, entre mille autres choses, comprendre que la vie est un art, que la racine de nos maux est le refus et que c’est dans l’ici et maintenant, dans le banal, que s’offre la réalité. Il s’agit, sans précipitation ni attentes extraordinaires, de comprendre qu’une lucidité joyeuse nous ouvre au monde.

 

Propos recueillis par Aubry François

Portrait Alexandre Jollien © Stéphane Etter

Portrait Swami Prajnanpad © Frédérick Leboyer