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Ce que les peuples racines ont à nous dire… Rencontre avec Frederika Van Ingen

Catégorie(s) : Santé, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres, Rituels, Développement personnel, Bien-être, Art de vivre, Nature, Philosophie

En remontant des sources millénaires – de l’Amérique du Nord au Tibet en passant par l’Amazonie –, Frederika Van Ingen a compris que les thématiques qui avaient nourri jusque-là son intérêt journalistique (médecine, psychologie, écologie), se mariaient avec une cohérence troublante dans le regard des peuples racines. Depuis, elle construit des ponts entre nos deux mondes pour que nous puissions nourrir le nôtre de cette sagesse oubliée. Son livre Ce que les peuples racines ont à nous dire (publié en janvier 2020 aux éditions Les Liens qui Libèrent) nous restitue cette vision des sociétés ancestrales où la santé est synonyme d’équilibre, un équilibre dans lequel l’être humain et l’univers entrent en relation.

Happinez : Pour les peuples racines, quel est le rôle de l’être humain au sein du monde ?

Frederika Van Ingen : Dans leurs visions, l’homme est le gardien de l’équilibre d’un monde dont il fait partie. Un monde plus qu’humain où il a le devoir de jouer son rôle. L’humain n’est ni en-dessous ni au-dessus des autres êtres vivants, mais a développé un talent, tout comme chaque espèce – et même chaque individu – a le sien. Dans ces visions, l’humain est donc constitué de capacités qui lui permettent de prendre soin des équilibres. Peut-être est-ce à cela que devrait lui servir son intelligence rationnelle, analytique. Mais en la développant à l’extrême dans nos cultures modernes, en la coupant du monde vivant, et en se plaçant au-dessus en tant que gestionnaire et consommateur, il aurait perdu l’intelligence de la connexion que les autres formes de vie, elles, ont préservé… Son travail, dit notamment la tradition Lakota, est d’apprendre auprès des animaux, des plantes, de la nature en général, pour pouvoir préserver les équilibres.

Comment expliquent-ils l’explosion des « maladies de civilisation » comme le cancer, les maladies dégénératives ou encore la dépression ?

Pour tous ces peuples, d’où qu’ils soient, la maladie provient d’une dysharmonie. À l’origine, le vivant fonctionne car il est sous-tendu par une intelligence, que chacune de ces traditions a nommée (Enk’aï chez les Maasaï, Ipmil chez les Samis, Wakan Tanka chez les Lakotas, etc.). L’harmonie de ce fonctionnement doit être entretenue, notamment par l’humain. S’il ne joue pas son rôle, cela crée un déséquilibre. Pour les Kagabas de Colombie, la maladie vient d’un non-respect des lois de la nature. Et ces maladies-là, de « civilisation », qu’eux n’ont pas, seraient l’expression du non-respect collectif de ces lois par nos sociétés modernes. Car pour eux, la maladie est liée à la fois à nos histoires personnelles, et surtout nos relations, à soi-même, aux autres, et à la nature, et à notre relation collective à la nature et au cosmos. La relation à soi consiste, dans leur vision, à se connaître pour découvrir son talent personnel, ce « don » avec lequel nous sommes nés qui nous permet de contribuer à l’équilibre. La relation aux autres doit être harmonisée – ce que leurs sociétés, à travers leurs rituels notamment, permettent de faire régulièrement – pour ne pas provoquer des « blocages d’énergie » susceptibles de se matérialiser dans le corps, l’esprit, ou d’autres domaines de la vie. Enfin, la relation à la nature doit être harmonieuse car elle est l’expression de l’intelligence du Vivant, et que tout déséquilibre créé sera naturellement compensé, par exemple sous la forme de ces maladies.

S’il vous fallait transmettre un seul principe de vie hérité des peuples premiers, auquel penseriez-vous d’abord ?

J’aime cette idée simple selon laquelle tout être a sa place, sa raison d’être, dans l’harmonie du vivant. Et que le travail de chacun est de la trouver pour y contribuer, car elle permettra non seulement l’épanouissement de la personne, mais nourrira le collectif. C’est aussi le travail des collectifs humains : trouver cette place en tant que collectif, en se posant la question de sa place au service du vivant. Et aider leurs membres à la trouver. Beaucoup de ces sociétés sont organisées autour de l’accompagnement de leurs membres à trouver leur talent, juste tant pour l’individu que pour le monde. Et elles travaillent constamment à se réajuster elles-mêmes au monde, pour demeurer au service du Vivant. C’est pourquoi aujourd’hui nombre de ces peuples se lèvent pour défendre les droits de la Terre, et pour nous indiquer le chemin de cette relation à celle qu’ils appellent leur Mère, que nous avons coupée. Ils nous montrent que nous devons commencer par retrouver notre place dans la famille plus qu’humaine, et comprendre que nous ne sommes pas des orphelins de la terre qui se chamaillent autour de l’héritage, mais plutôt ses enfants qui doivent honorer celle qui nous donne la vie. Cette vision qu’il existe, sur la toile du vivant, une place pour chacun apaise aussi au passage nos egos, blessés à force de se battre pour la trouver. Cela nourrit une des forces de ces peuples qui est la confiance en la vie : ils savent qu’elle nous mène, quand on sait l’écouter, là où nous devons aller.

 

Propos recueillis par Aubry François

Portrait © Réda Settar