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Stéphane Allix entre ombre et lumière

Catégorie(s) : Bien-être, Art de vivre, À découvrir, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres, Développement personnel

Journaliste d’investigation, fondateur de l’Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires (INREES) et auteur – entre autres – du best-seller Le Test ou du surprenant Lorsque j’étais quelqu’un d’autre, réédité cet automne au Livre de Poche, Stéphane Allix traverse depuis plus de 30 ans les frontières qui séparent des mondes en apparence antagonistes. En entremêlant les images et les mots, les doutes et les évidences, l’harmonie et le chaos, il nous raconte dans son nouveau livre Entre ombre et lumière, itinéraire d’un reporter (Flammarion), les années qu’il a passées à explorer des territoires de feu et de sang où se levaient parfois d’inespérés soleils, sans oublier sa découverte de réalités incroyables qui échappent souvent à nos cinq sens. Invité d’honneur du colloque « Être conscient » (www.etreconscient.bzh) qu’il inaugurera le temps d’une conférence le 8 novembre 2019 au Palais des Congrès de Lorient (56), Stéphane Allix évoque pour nous quelques-uns des sujets qui ont nourri son passionnant parcours en clair-obscur.

Happinez : Que recherchez-vous lorsqu’encore adolescent, vous quittez la France pour l’Afghanistan en guerre ?

Stéphane Allix : À cette époque-là, l’adolescent assez naïf que je suis veut absolument faire du reportage de guerre, fasciné par les journalistes qui ont couvert celle du Vietnam. Je photographie souvent les manifestations parisiennes et m’enflamme lorsqu’elles dégénèrent et que commencent les affrontements avec les forces de l’ordre. Cette obsession me poursuit depuis plusieurs années déjà, même si je n’ai que 19 ans. Je n’ai pas spécialement de pensées suicidaires, je veux juste connaître ça. Ces lieux où l’on côtoie la mort, où on la regarde en face, suscitent énormément de fantasmes mais, une fois qu’on y est, provoquent un état de tension permanente qu’on ne retrouve pas dans notre vie quotidienne. Telle que je l’interprète aujourd’hui, c’est aussi, je pense, une forme d’initiation nourrie par des mémoires que je porte sans doute depuis plus longtemps que cette existence, un héritage de la guerre qui a baigné le continent européen de façon si tragique il y a à peine 80 ans. Je ne sais pas pourquoi je pars, je suis seulement l’appel qui me pousse vers cet horizon. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait toute ma vie, suivre ces appels un peu incertains, ces intuitions plus que fortes que la raison ou la logique.

Happinez : Quel fil rouge relie les diverses étapes de votre parcours de vie ?

Stéphane Allix : Un fil rouge que je trouve très cohérent. Au début, c’est l’envie de passer la frontière afghane, comme les quelques rares reporters, médecins et humanitaires qui s’y étaient risqués jusque là. Je me rends compte, plus de trente ans après, que ce désir de traverser des espaces un peu bizarres et hors-normes fait partie de mes dispositions fondamentales. Puis, ce désir s’est structuré, j’en ai fait un métier, je suis devenu journaliste. Tel un intermédiaire jetant une passerelle entre différents mondes, je me suis rendu là où personne n’allait pour comprendre ce qui s’y passait et tenter d’informer les autres sur les sujets de la guerre, de la drogue, du terrorisme… Après la mort de mon frère Thomas, j’ai remplacé les frontières géopolitiques par celles de la psychologie et de la science, toujours avec l’idée que quand on observe à distance un sujet que l’on ne connaît pas, on a tendance à projeter sur lui des idées préconçues qui, la plupart du temps, sont le fruit de nos propres fantasmes. C’est comme si pendant un peu plus de 10 ans de ma vie, j’avais appris ce métier de débroussailleur de l’information, creusant profondément et croisant mes sources, avant que les hasards de l’existence – si l’on croit au hasard – me confrontent à la mort et m’enjoignent d’appliquer ces outils d’enquêteur à d’autres sujets qui sont ceux de la vie après la mort et de la dimension spirituelle.

Happinez : Selon vous, notre existence consiste-t-elle à passer de l’ombre à la lumière ?

Stéphane Allix : Quelle que soit la manière dont le nouveau-né que nous étions est arrivé sur terre, l’éducation qui nous a été donnée et l’évolution culturelle de la société ont forcément modelé notre personnalité. Ce modelage a aussi réveillé davantage de peurs et d’appréhensions qu’il ne nous a mis face à celui que nous sommes réellement. L’ombre, qui habite tout être humain, constitue justement tout ce que nous n’avons pas envie de voir. Ce peut être aussi éventuellement nos désirs et nos pulsions. Et quand on vit totalement plongé dans cette ombre, on ne sait pas pourquoi on agit dans tel sens ni que ce qui nous porte n’est pas un désir altruiste mais l’expression de blessures, de fantasmes et d’idées fausses. Je pense que l’existence terrestre nous invite à faire la lumière sur cette ombre, non pas pour des raisons morales ou éthiques – parce que la lumière, c’est bien, c’est l’amour – mais tout simplement parce que plus on est lucide, plus on sait qui on est, plus on sait comment on fonctionne et moins on est esclave de cette espèce de rouleau compresseur psychologique qui, en règle générale, nous fait vivre à défaut.

Happinez : D’où vous vient la conviction désormais inébranlable que notre monde ne se limite pas à ce que perçoivent nos sens ?

Stéphane Allix : Elle est le résultat d’années de recherches et de questionnements sur ce qui, dans l’approche scientifique de la réalité, relève de la certitude ou du doute. Ce cheminement intellectuel honnête et rigoureux m’a conduit à remettre en question les convictions matérialistes dans lesquelles j’avais été élevé. Je me suis aperçu que l’idée que tout est matière et que l’esprit n’existe forcément pas, ne tient pas, n’est pas démontrée scientifiquement. À l’inverse, je me suis rendu compte qu’il existait des millions de témoignages relatant des phénomènes qui ne sont pas censées être possibles – comme les expériences de mort imminente – et qui laissent supposer que l’homme disposerait de capacités que j’appellerais “extrasensorielles”. Un être humain vivant et en parfaite maîtrise de ses fonctions cérébrales est parfois capable de sortir de son corps, de se rendre dans des espaces distants, de percevoir des informations éloignées – dans le temps ou dans l’espace – d’une façon absolument non-conventionnelle et inexpliquée à ce jour. Mais quand le cerveau se trouve en état de dysfonctionnement, voire en cessation d’activité, il arrive quand même que des gens rapportent avoir vécu des expériences de mort imminente, être sortis de leur corps ou avoir vu à distance. Il existe donc une dimension de nous-même qui n’est visiblement pas dépendante de la santé optimale du corps et du cerveau et qui peut continuer à vivre une fois que ceux-ci ne fonctionnent plus.

Happinez : Comment imaginez-vous aujourd’hui la vie après la mort ?

Stéphane Allix : Il est aujourd’hui évident pour moi que la vie se poursuit. La mort constitue une forme de métamorphose, un moment où la relation qui existe entre notre conscience immatérielle et un corps que l’on habite et qui est devenu une identité très forte, très structurée et très dense, se dissout. Les bouddhistes parlent, de façon très appropriée je trouve, de dissolution des éléments de la conscience après la mort. Personnellement, je m’inspire et j’ai beaucoup travaillé sur le Bardo Thödol, le livre des morts tibétains, qui explore en profondeur les différentes étapes de cette dissolution et les conséquences psychologiques qu’elles peuvent avoir sur la conscience. Par exemple, chose peu observable dans notre vie quotidienne, le fait que nous créons notre réalité devient éminemment visible et évident après la mort, lorsque le corps n’est plus là pour nous ramener dans une espèce de densité. Je pense que l’après-vie ressemble à un rêve où, tout d’un coup, on peut être à un endroit et la seconde suivante à l’autre bout du monde, où on peut être calme et détendu l’espace d’un instant et voir apparaître ensuite des personnes, des entités, des formes. Ce qui nous fait peur peut, brusquement, sortir de notre conscience et devenir apparent devant nos yeux, tout comme les choses qui nous font plaisir et nous enchantent. C’est aussi pour ça que le bouddhisme insiste énormément sur le fait crucial de cultiver durant notre existence cette lucidité, cette lumière qui nous permet de connaître l’origine des phénomènes et de nos pensées afin de ne plus en être trop esclave et ne pas subir ce mécanisme incessant de projection après la mort. Je ne vois la mort ni comme un espace angélique, ni comme un lieu dangereux. Il est vrai que notre vision occidentale de la spiritualité nous fait dire qu’après la mort viendra la lumière, l’amour, une espèce de félicité, ou inversement l’entrée soudaine dans un enfer, la condamnation à errer ad vitam aeternam telle une âme perdue. Ces deux visions sont extrêmes et, au même titre que notre existence terrestre est meublée de moments de bonheur et d’autres étapes un peu plus difficiles, ça continue de la même façon dans l’au-delà, avec des instants de joie et d’autres emplis de craintes qu’il peut nous sembler même parfois impossible de dépasser. La vie se prolonge avec son évolution, ses changements, ses opportunités, dans un contexte différent, en-dehors du temps et de l’espace, avec les bagages que l’on a acquis au fil de nos existences précédentes.

Happinez : Quelle expérience extraordinaire vécue il y a quelques années en Amazonie vous a-t-elle amené à comprendre la violence inexpliquée que vous portiez à l’intérieur de vous ?

Stéphane Allix : Je m’étais engagé dans une retraite chamanique – le chamanisme étant pour moi un puissant outil d’exploration intérieure – pour faire un point à un moment charnière de mon existence, sans imaginer du tout ce qui allait en ressortir. Cette pause fondamentale m’a permis de mettre en lumière ma part d’ombre la plus douloureuse. J’ai choisi de m’y confronter et à mon retour de voyage, il n’a plus été question que de cela. Pour le dire simplement, je pense avoir vu émerger pendant cette retraite, la mémoire d’une vie antérieure particulièrement violente et traumatique. Et plutôt que de glisser ça sous le tapis, en essayant d’oublier rapidement cette expérience un peu bizarre, je suis allé retrouver l’identité de l’homme que j’avais sans doute été. Je me suis rendu dans les endroits où il avait vécu et essayé de retracer dans les moindres détails tous les éléments qui composaient sa vie pour comprendre qui il était, comment il avait été happé par l’ombre et la violence. Ce processus m’a aidé à en guérir, à m’en dissocier. Je raconte en détail ce parcours dans le livre Lorsque j’étais quelqu’un d’autre (Livre de Poche). Il existe, pour chacun de nous, des moments de vie où se produit un événement ou une expérience qui nous invitent à regarder plus profondément en soi. Ils se produisent de différentes manières, souvent désagréables. On appelle cela les épreuves. Elles nous enseignent à mon avis plus de choses que les moments où tout va bien. Elles nous invitent à comprendre un peu mieux qui l’on est, à se surpasser, à découvrir nos ressources insoupçonnées. L’expérience chamanique que j’ai vécue a consisté à demander de l’aide aux esprits pour comprendre le monde et la réalité. Il est illusoire de penser que nous sommes seuls en permanence ou qu’on a le plein contrôle sur notre vie. Je crois que nous sommes entourés d’aides, de guides, d’anges gardiens, peu importe le terme. Et quand on accepte justement de lâcher prise, de faire confiance et d’avoir de l’espérance en la puissance de la vie, elle dépose sur notre chemin ces manifestations, ces invitations qui peuvent nous être extrêmement profitables.

Happinez : À votre avis, la science pourra-t-elle un jour prouver l’existence de ces réalités invisibles étudiées par l’INREES et avec lesquelles notre conscience semble entretenir de nombreuses relations ?

Stéphane Allix : Oui. La science n’est pas une espèce de bloc qui, de façon un peu brutale et spontanée, aurait un jour fait tout un tas de découvertes pour les donner à contempler au monde. La science est plutôt une méthodologie en évolution permanente, une communauté d’individus très différents les uns des autres, au même titre que les humains à l’échelle de la planète. Certains, bornés, refusent catégoriquement d’interroger leurs croyances et vont, pour ça, nier ce qu’ils auront même observé. Face à des événements inexpliqués et inexplicables dans leur modèle de description entretenu jusqu’à présent, d’autres seront plus à l’aise avec l’idée de remettre en question ce qu’ils ont appris plutôt que de s’enfermer dans ce modèle. C’est ce qui s’est passé en physique quantique. Il y a un peu plus d’un siècle, Max Planck étudiait le rayonnement dans son laboratoire quand il a soudain observé quelque chose de bizarre. Et plutôt que de passer à côté, il a refait l’expérience, avec un résultat similaire, pour en conclure enfin que ses théories scientifiques et sa manière de voir les choses ne correspondaient peut-être pas à la réalité. Comment alors pourrait-il expliquer ce qu’il observe avec une nouvelle théorie ? Par ce processus intellectuel de questionnement, il a développé les bases de la mécanique quantique. Aujourd’hui, la mécanique quantique continue à faire débat, non pas sur sa réalité, mais sur son interprétation. Il y a mille écoles et la plupart des gens n’y comprennent rien. Les physiciens sont d’ailleurs les premiers à dire que si l’on croit comprendre quelque chose à la physique quantique, c’est qu’on se trompe. Cette physique n’est toujours pas en mesure d’être harmonisée avec la physique de la relativité, on a donc deux modèles scientifiques nous permettant de décrire la réalité. L’une macroscopique et l’autre microscopique. Les outils scientifiques comme la physique quantique, la médecine et la psychiatrie, nous confrontent aussi de plus en plus à des phénomènes de nature immatérielle et nous permettent, par là, de solidifier davantage cette réalité. Dans l’étude de l’extraordinaire dont notamment les expériences de mort imminente, on possède actuellement un tel nombre de données et d’éléments que cela nous incite à revoir le fonctionnement du cerveau. Tous les neurologues ne sont pas d’accord, il y a encore de grandes batailles, et c’est comme ça qu’évolue la science. Dans une espèce d’ébauche permanente et à travers de grandes batailles et de longs débats. Mais ça va dans le bon sens.

Happinez : Quelles leçons essentielles avez-vous retenu de toutes ces années passées ?

Stéphane Allix : La leçon la plus importante, selon moi, est que la vie ne se réduit pas à ce qui se situe entre le moment de notre naissance et celui de notre mort. Elle englobe une dimension beaucoup plus vaste et nous invite à apprendre, à évoluer, à devenir plus lucide sur ce qui nous anime. Pourquoi ? Pour être quelqu’un de bon – et, là encore, il ne s’agit pas d’une question de morale. Je ne cherche pas le bon point d’un curé, d’un imam, d’un rabbin ou d’un moine. Être bon exprime simplement un équilibre intérieur. Il est aussi important de se rappeler qu’on est aidé mais que personne ne cherche à nous punir parce qu’on aurait mal agi ou je ne sais quoi. Notre existence est constituée de tout un ensemble d’événements, certains absolument dramatiques comme la perte d’un enfant, chose innommable. Mais quand on parvient à apaiser un petit peu la douleur, quand on arrive à prendre de la distance, à ne plus considérer cet épisode comme une injustice qui s’abat sur nous, on peut peut-être réaliser qu’il nous invite à considérer l’existence différemment. Certains parents touchés par ce drame avaient notamment pu s’ouvrir à une dimension spirituelle à travers un cheminement exemplaire. Je ne veux pas laisser croire que les choses vont tout à coup bien, quelques années après la perte d’un enfant, qu’il n’y a plus de douleur parce qu’on aurait parcouru un chemin spirituel. Ce serait donner une vision angélique des choses. Non, on conserve ce manque, cette déchirure tout au long de notre vie, mais malgré tout, on touche à quelque chose d’autre. Le monde dans lequel on vit voudrait nous faire croire que la recherche du bonheur est synonyme de ne rien faire, de siroter des bons cocktails au soleil, mais c’est une image complètement dévoyée. Le bonheur se trouve au contraire dans le dépassement de soi, dans la réalisation intérieure. Ce que certains événements nous imposent de faire.

Propos recueillis par Aubry François

Portrait Brigitte Baudesson © Flammarion