Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Participez au congrès virtuel Surdouessence, dédié aux hauts potentiels, les 14 et 15 novembre 2020
Pour un certain nombre d’entre nous, les choses de la vie se présentent différemment, dans un rythme cognitif et/ou émotionnel plus intense. Les défis intellectuels, qui semblent pour la plupart des gens insurmontables, leur apparaissent comme des jeux d’enfants et ce qui est considéré comme normal à tel âge les ennuie déjà depuis des années. Les relations sociales, quant à elles, leur jouent souvent des tours, la forte acuité de leur univers émotionnel ayant tendance à les éloigner des autres. Mais alors, comment se réconcilier avec soi-même quand on entre dans les catégories “haut-potentiel intellectuel” ou “haut-potentiel émotionnel” ? Comment être pleinement soi et ne pas se résumer à cette particularité ? Quelques jours avant la tenue du congrès virtuel Surdouessence, les 14 et 15 novembre 2020, réunissant nombre de personnalités exploratrices de ce sujet, l’écrivain Alban Bourdy, qui a fondé l’événement, et fait vivre son message à travers l’association Surdouessence, nous convie, le temps d’une interview, dans l’univers encore peu connu des surdoués et des hypersensibles, tout en nous faisant également part de sa propre expérience de vie en tant que haut potentiel.
Happinez : Qu’est-ce qui relie (puis, à l’inverse, différencie) les surdoués et les hypersensibles ?
Alban Bourdy : Il faut tout d’abord bien s’entendre sur les mots, parce qu’on a affaire à de plus en plus d’amalgames terminologiques. On dit normalement de quelqu’un qu’il est surdoué suite à un test de Q.I. (WAIS, ou WISC pour les moins de 16 ans) qui a révélé un score égal ou supérieur à 130 sur l’échelle de Wechsler. On dit d’un surdoué qu’il est un HPI (personne à Haut Potentiel Intellectuel), ou encore, pour les plus neutralistes, un HQI (personne à Haut Quotient Intellectuel). On parle là d’une proportion de la population d’entre 2 et 3 %. Un hypersensible, ou HPE (personne à Haut Potentiel Émotionnel), est une personne qui réagit sensitivement et émotionnellement bien plus que la moyenne. On parle là d’une proportion de la population aux alentours de 30 %. Afin de déterminer l’hypersensibilité d’un individu, il existe bien le fameux test d’Elaine Aron ou d’autres questionnaires de ce type, mais il s’agit là surtout d’indicateurs, il n’y a rien qui soit universellement reconnu comme déterminant.
De l’opinion majoritaire, tous les surdoués sont hypersensibles. L’hypersensibilité serait une caractéristique du haut potentiel. Cela s’expliquerait par une intensité électrique dans le corps plus importante allant de pair avec un fonctionnement cognitif, sensoriel et nerveux amplifiés. Il serait effectivement assez logique que tout soit lié, tout fonctionnant dans un ensemble. Toutefois on observe qu’il y a beaucoup plus d’hypersensibles que de surdoués, c’est donc qu’on peut très bien être HPE sans être HPI. L’hypersensible non-HPI se retrouve beaucoup dans le fonctionnement du surdoué, mais il ne partage pas avec lui la vitesse de raisonnement et la précocité intellectuelle (souvent spectaculaire dans la petite enfance).
Vous organisez un congrès virtuel à la mi-novembre. Quels sont les grands moments qui vont rythmer cette rencontre ?
Ce congrès virtuel, organisé par l’équipe suisse de Surdouessence, propose sur le week-end des 14 et 15 novembre 2020, 10 conférences, 1 atelier, et 2 tables rondes.
Comme moments phares de ce programme, je citerais :
– L’intervention conjointe, le samedi 14 à 09h30, de Saverio Tomasella (docteur en psychologie clinique) et Yor Pfeiffer (auteur-compositeur-interprète et écrivain, artiste zèbre) pour une conférence de cœur à cœur sur la sensibilité avantageuse, avec instants musicaux.
– L’atelier de Daphnée Boulogne (coach, diplômée de l’ESSEC), à 13h20 le dimanche, pour booster la confiance en soi.
– L’intervention, à 15h15 le dimanche, de Monique de Kermadec, Ph. D., qui a soutenu le projet Surdouessence lorsqu’il n’était encore qu’une idée dans ma tête et un élan dans mon cœur. Monique de Kermadec répondra aux questions des participants lors de ce temps d’échange.
– Les deux tables rondes, le samedi à 16h30 et le dimanche à 16h, qui réuniront tous les intervenants du week-end ainsi que quelques personnalités supplémentaires.
Avec pour thématiques l’hypersensibilité, le haut potentiel et l’autisme, on ne peut rêver mieux pour créer de grands moments lors de cette rencontre que de pouvoir compter sur la présence de Saverio Tomasella, Monique de Kermadec et Josef Schovanec.
On peut réserver pour le programme entier, ou bien seulement pour une, ou quelques, conférence.s. Les tables rondes sont en accès gratuit dès lors que l’on s’inscrit à une conférence du programme. Tous les horaires que j’indique sont à l’heure d’Europe centrale, mais le congrès est bien entendu accessible dans le monde entier, d’autant qu’après le direct, où s’offre la possibilité d’interagir, toutes les interventions sont visionnables à volonté au minimum jusqu’au 31 décembre 2020. Vous trouverez le programme complet, ainsi que la page d’inscription, sur le site surdouessence.ch
Auriez-vous l’exemple de trois personnalités (HPI ou HPE) qui vous ont particulièrement marqué et qui participent à l’événement ?
Saverio Tomasella. Pour la deuxième édition du salon Surdouessence, j’invite donc Saverio Tomasella, dont je viens de finir la lecture d’À fleur de peau. Je ne le connais pas du tout, nous ne sommes nullement en connexion. Je l’invite, comme je le fais souvent, par Facebook avec un petit message. Les jours passent, pas de réponse, ce n’est pas tout le monde qui lit les messages par Facebook des non-amis et je finis par faire le deuil de sa participation. Et juste quelques jours avant l’événement, miracle, il me répond et dit oui ! J’étais dans la voiture avec la secrétaire de l’association Surdouessence lorsque j’ai lu sa réponse, nous passions sur une voie ferrée, tout mon corps a été parcouru d’un frisson délicieux. J’ai été béat tout le long du trajet, après avoir rapidement repensé le programme pour lui faire une place. Il arrive que l’on puisse être déçu de faire la connaissance personnellement de quelqu’un pour qui on s’est pris d’affection via ses ouvrages. Avec Saverio, c’est loin d’être le cas, au contraire, plus je le connais et plus je l’affectionne. Il est de ces êtres avec qui être en contact fait fleurir le cœur. Ce qu’il instaure humainement dans les conférences qu’il a proposées à Surdouessence est d’une qualité exceptionnelle, les assistances d’une centaine de personnes se transforment en familles de cœur. Il est un phare pour tous les hypersensibles, une personne comme je n’en connais pas d’autres au monde, d’une chaleureuse simplicité déconcertante et d’un optimisme inaltérable.
– Daphnée Boulogne. Je l’ai rencontrée au salon Surdouessence de Nanterre en avril 2018, elle était participante. Elle est de ces gens que je remarque au milieu d’une foule parce qu’on la dirait nimbée d’une pureté et d’une lumière un peu surnaturelles. Elle porte un éclat particulier, et une personne à qui je l’ai présentée m’a fait part d’un ressenti similaire sans que je lui aie fait état du mien. Je suis toujours ô combien admiratif de ces personnes qui osent vivre dans la vérité de leur sensibilité et qui portent une telle force de vie communicative. Diplômée de l’ESSEC, Daphnée a fermé son cabinet de conseil en recrutement et tourné le dos à une vie toute tracée pour suivre la voie de son hypersensibilité. Devenue coach certifiée et membre de l’EMCC (Conseil Européen du Coaching, du Mentorat et de la Supervision), elle accompagne avec dynamisme et une infinie douceur ses homologues hypersensibles.
– Christine Leclerc-Sherling. J’ai rencontré Christine il y a à peine un an et elle a pris beaucoup d’importance dans le projet Surdouessence. Elle partage ma démarche à un point inespéré, la côtoyer ravive la flamme de toutes mes aspirations trop vite découragées par le passé. Elle a amené au projet de l’équilibre, de l’assise, et aussi des étoiles. J’admire son énergie positive, sa capacité de travail herculéenne, son équilibre entre sérieux et légèreté, son multiculturalisme dirigé vers la construction de ponts, son ambition tenace d’œuvrer à contribuer au mieux dans le monde, sa présence vibrante tellement présente, sa capacité de dévouement à servir les missions qu’elle s’est choisies. Sa formation en psychologie glanée aux quatre coins du monde lui confère une acuité rare, une vision circulaire et fraternelle. Son esprit libre, créatif et ultrasensible est un bel exemple de haut potentiel épanoui.
Étant vous-même surdoué, pourriez-vous nous raconter votre histoire ?
J’avais 5 ans lorsque le mot “surdoué” m’est tombé dessus, devenant une identité de substitution. On m’appelait de partout “le surdoué”, étant le seul identifié ainsi dans tous les établissements scolaires que j’ai fréquentés, le seul dans ma famille et le seul dans le quartier où je vivais (il a d’ailleurs fallu attendre l’année de mes trente ans pour que je rencontre quelqu’un qui me dise qu’il avait été “diagnostiqué” surdoué lui aussi). Enfant, et encore adolescent, il arrivait fréquemment que des personnes, que je ne connaissais pas et qui ne connaissaient pas mon nom, me montrent du doigt en disant aux personnes avec eux : “c’est lui, le surdoué“. On m’a fait passer le test de Q.I. à mon entrée au C.P. parce qu’on s’est rendu compte avec ébahissement que je savais déjà lire et écrire sans n’avoir jamais rien fait pour apprendre (cela faisait deux ans que je savais lire, mais le personnel de l’école maternelle ne s’en était jamais rendu compte). Le fait que je sois “surdoué” expliquait aux yeux du personnel de mon école primaire que j’aie su lire et écrire spontanément, et point barre. Il n’y avait aucune autre explication ou aménagement. On m’a fait passer directement dans la classe supérieure, le CE1, mais je m’y ennuyais tout autant. Un ennui qui s’est prolongé tout au long de ma scolarité chaotique à laquelle j’ai mis un terme un peu avant d’avoir seize ans. J’avais une boulimie d’apprendre que je ne pouvais assouvir que chez moi avec des livres. Je me suis toujours senti en grand décalage avec le contexte scolaire, et ça n’est pas allé en s’arrangeant en devenant adulte. J’attendais pourtant avec impatience de devenir adulte, depuis l’âge de trois ans je me sentais comme un adulte dans un corps d’enfant et je souffrais de n’être pas pris au sérieux quand je me trouvais plus crédible et réfléchi que la grande majorité des adultes que j’observais. Je souhaitais ardemment être une fille, je ne me sentais bien qu’avec les filles, j’étais très précoce dans le domaine sentimental, les garçons m’horripilaient, et j’avais en horreur ce diktat de “t’es un garçon, alors sois fort et con !” que je percevais partout. J’étais vraiment mal avec mon apparence et ce corps dont je ne comprenais pas l’existence, trop focalisé sur mon activité cérébrale. Ma grande émotivité m’a fait échouer à tous les entretiens d’embauche que j’ai passés, à l’exception d’un pour un centre d’appels où j’étais sorti le meilleur à l’écrit et où on m’a repêché pour cela. J’ai toujours vécu dans un décalage assez abyssal avec le monde environnant. Adulte, je me sens comme un enfant dans un corps d’adulte. J’ai apprivoisé ce décalage tout d’abord par l’écrit, mon moyen de communication le plus naturel, en écrivant de nombreux ouvrages de différentes natures. La communication orale était un gros problème lorsque j’étais adolescent et jeune adulte, parce que, quand quelqu’un me parlait, j’étais assailli d’une part par l’émotion, et de l’autre par une multitude de réflexions générées, me venaient une grande quantité de réponses possibles, cela était tellement dense dans ma tête que quand ma bouche s’ouvrait les mots se bousculaient… et rien ne sortait. Paradoxalement, je m’exprimais avec aisance sur des scènes de théâtre. La communication orale privée a mis longtemps à s’ajuster, je l’ai apprivoisée petit à petit, puis à vitesse grand V à partir du moment où j’ai accepté ma grande émotivité.
Quelles sont les récentes découvertes des neurosciences à ce sujet ?
Au sujet de l’hypersensibilité, à ma connaissance, les seules études scientifiques menées sur le sujet sont l’œuvre des équipes d’Elaine Aron, docteure américaine en psychologie clinique. Les résultats récents de ces études sont intéressants. Il a été découvert notamment qu’il existait chez les animaux aussi une proportion d’hypersensibles, une proportion semblable à celle observée chez les humains.
Pour ce qui est du haut potentiel intellectuel, j’ai eu la chance de pouvoir consulter en exclusivité de récents résultats d’études américaines dont les rapports n’ont pas encore été traduits en français. N’étant pas de formation scientifique, je ne peux me prononcer sur la validité ou non des protocoles utilisés, mais ces études ont observé un flux électrique cérébral plus marqué et plus rapide chez les sujets surdoués. Les résultats de ces études ont aussi semble-t-il démontré l’arborescence, en montrant le trajet d’activité neuronale. On constate sur les sujets étudiés qu’un souvenir, ou une question, suscite chez les non-HP un trajet “éclairant” des zones selon une trajectoire unique, tandis que chez les HP cela se démultiplie de façon assez anarchique, “éclairant” toutes sortes de zones. Parfois la trajectoire est dans les deux cas d’un même point A à un même point B, mais chez le sujet non-HP le chemin utilisé a été le chemin le plus droit tandis que chez le sujet HP on a fait des détours et des boucles en tous sens (mais attention, sans pour autant perdre du temps, au contraire en allant plus vite, jusqu’à douze fois plus vite).
Quels seraient vos conseils à tous ceux qui vivent ces spécificités au quotidien et qui se sentent submergés ?
La règle fondamentale me semble être celle des 3 A : s’accepter, s’accueillir, s’aimer. Cela paraît souvent difficile, voire insurmontable, mais s’y atteler sérieusement en vaut, ô combien, la peine.
Jusqu’à mes 30 ans, j’étais totalement paralysé par cette hypersensibilité. Les regards extérieurs me renvoyaient que mes réactions étaient inappropriées, stupides, voire monstrueuses, et, adoptant cette optique, je m’embourbais. Quand je sentais l’émotion monter très fort, ou que je réagissais très fort à un stimulus d’un de mes sens, cela me faisait de plus en plus paniquer et ce stress venait dilater énormément la réaction en elle-même. Ma jeunesse a été dévorée de l’intérieur par le stress. Ce que j’aurais souhaité, c’est que l’on vienne me dire que ce que je ressentais était normal, que je n’étais pas le seul dans ce cas, et que je n’avais pas en avoir peur, bien au contraire. C’est ce message d’apaisement qui est le ciment de ce que je transmets dans l’ouvrage “Lettres à un jeune zèbre” (Rosso éditions).
Lorsque j’ai pris connaissance pour la première fois des ouvrages qui s’écrivaient sur l’hypersensibilité et le haut potentiel, j’ai d’un seul coup vu mes réactions autrement. Le pouvoir libérateur en a été immense, j’ai shifté d’un coup ! Je me suis mis à ne plus voir cela comme quelque chose à combattre, mais comme quelque chose à accueillir pour apprendre à composer avec. Ma vie a incroyablement changé, brutalement. J’ai, petit à petit, expérimenté de nombreux aspects positifs de mes particularités. Le fardeau est devenu trésor. C’est la volonté de communiquer ce miracle intérieur qui m’a poussé à faire des conférences sur mon parcours et à créer Surdouessence.
Au quotidien, les “conseils” que je partagerais sont :
– Lorsqu’on se sent trop submergé (de pensées ou d’émotions), favoriser le retour sensoriel au corps. Par exemple en se touchant tendrement les poignets, la nuque ou les tempes. Ces contacts rassurent, adoucissent et permettent un recentrage, un rééquilibrage. Pour les pensées, c’est aussi une chose très efficace de porter sa concentration dans ses pieds. On s’allège alors en portant la concentration et l’énergie ailleurs que dans la zone en surchauffe.
– Écrire, ou parler à voix haute si l’écriture n’est pas quelque chose de naturel pour soi. Ne pas avoir peur de parler tout seul si on n’a personne de disponible pour nous écouter. Il faut exprimer tout ce que l’on a sur le cœur, même si ça semble irrationnel à notre raison. Il est bon de mettre des mots sur ce que l’on ressent, sur ce qui nous submerge, on désamorce souvent beaucoup de choses rien qu’en faisant ça. On s’en faisait toute une montagne, mais bien délimité et exprimé par des mots, cela s’avère, d’un seul coup, beaucoup moins compliqué. Et le fait d’avoir nommé ce qui nous taraudait change notre perspective, on l’a un peu apprivoisé. Il ne faut pas garder les choses à l’intérieur, nous sommes des éponges et il faut prendre soin de nous presser, souvent, avec délicatesse, pour nous épurer. L’écriture et la parole profonde et authentique sont de bons moyens de maintenir la pureté de notre cœur et le bon fonctionnement de notre mental, de notre part émotionnelle et de notre système nerveux.
– Se rassurer, par des gestes et des paroles, et ne jamais se laisser figer par la peur. Pour une raison étrange, notre bonheur se cache souvent derrière la porte que l’on a le plus peur d’ouvrir. Oser, sans forcer, en se faisant confiance, en écoutant l’intuition dont nous sommes dotés.
– Prendre soin de soi constamment avec la même attention que l’on peut avoir pour ses enfants. La créature que nous sommes est comme notre premier enfant, si nous ne veillons pas sur elle avec amour et douceur, nous ne serons plus en état d’accomplir ce que nous voulons accomplir dans la vie. Si l’on ne prend pas soin de soi, on ne peut ni efficacement ni longtemps prendre soin des autres. Cette prise de conscience est particulièrement essentielle pour les haut-potentiels, lesquels sont souvent perfectionnistes et peu indulgents avec eux-mêmes ; ils aimeraient que leur corps puisse suivre l’hyperactivité de leur cerveau.
Propos recueillis par Aubry François
Visuel © Danielle MacInnes / Unsplash
Portrait © Léa Barré