Article

Oser se montrer… par Camille Sfez

Catégorie(s) : À la une, À découvrir, Développement personnel

Apprenons à donner la main à l’audace, à avancer avec elle dans notre sac à dos, à en faire une compagne de jeu.

« C’est comme si, en osant faire mon métier comme je l’entends, en osant être visible, je prenais un trop grand risque. » Voilà une phrase entendue à de nombreuses reprises dans la bouche de femmes que j’accompagne. Comme si, en assumant qui elles sont, un danger terrible les guettait, la peur d’être critiquée, blessée, ou encore enviée, je n’en sais rien. Le regard pétrifiant de la Gorgone, qui risquerait de les statufier. La peur est handicapante au point qu’elles préfèrent rester cachées, faire comme il faut et ternir leur lumière. Une femme qui refuse de se conformer à une norme sociale, qui assume son excentricité, ses talents, qui forcément dérange un peu, à d’autres époques aurait vu sa vie menacée. Mais est-ce seulement l’héritage de ces stigmatisations qui se joue ici pour mes patientes ? La peur d’être visibles ne peut être réduite au danger qu’encouraient les femmes de nos lignées, il s’agit aussi de croyances ancrées dans notre histoire intime.

Qui en nous voudrait se cacher lorsqu’on nous ouvre les portes d’un comité de direction, d’une salle de conférence, d’un nouveau poste ou lorsqu’on doit créer un site Internet pour présenter les activités de notre entreprise ? Est-ce l’enfant qui se sent en danger, qui a cru à un moment de son histoire qu’il n’avait pas le droit d’exister tel qu’il était ? Cette conviction silencieuse, qui a pu se forger lorsque nous étions encore tout petits et qu’une dispute éclatait entre nos parents, lorsque nous avons perçu les doutes sur leur désir d’avoir un enfant, lorsque nous avons cru que notre présence pouvait obliger l’un d’eux à rester, lorsque la naissance d’un frère éclipsait notre place ou encore qu’un deuil accaparait ceux qui s’occupaient de nous. Se cacher était pour ces enfants une stratégie de survie bien utile, entravant aujourd’hui nos actions d’adultes. Ces petits que nous étions ont certainement besoin d’être rassurés, avec tendresse, sur leur valeur. D’être pris dans nos bras.

Lorsque je pense à la vulnérabilité, je visualise cette image : je suis nue face à une foule, j’attends avec appréhension les réactions, espérant qu’on reconnaisse mon courage plutôt que de se mettre à rire. Et pourtant dans ma vie, je reste souvent habillée : je répète les mêmes propos, donne les mêmes conseils, montre l’image de moi qui a déjà été validée. Alors que je m’entends répondre à cette patiente que le monde a besoin d’elle dans sa totalité, je m’interroge sur celle que je laisse dans l’ombre lorsqu’une occasion de sortir de ma zone de confort se présente. Comme un vieux réflexe, une autoroute mille fois arpentée : me faire petite pour ne pas prendre le risque d’être vue. Les habitudes sont nos chemins de facilité, elles ont besoin d’audace pour bifurquer sur des routes de campagne.
Et si cette peur parlait à tous ceux qui osent faire évoluer le système dans lequel ils sont ? Ceux qui y ajoutent leur couleur, ceux qui ouvrent des imaginaires en défrichant des qualités ou des comportements non encore valorisés dans notre société. Ceux qui construisent des ponts entre l’ancien et le nouveau, les bâtisseurs, les semeurs de graines. Nous faisons tous cela, chaque fois que nous osons éclairer, par nos mots ou nos gestes, une terre vierge, un espace ouvert.

Prenons soin de cultiver l’audace, c’est elle qui chasse la peur. Pour moi, c’est oser croire à un “ils” qui me comprendraient, ces autres que je perçois encore du côté des puissants, des dominants, de ceux qui savent et qui jugent. Oser montrer ma vulnérabilité serait faire confiance au fait qu’ils pourraient voir les ombres et les lumières sans m’exclure, qu’en offrant ma couleur au monde, je permettrais à d’autres de dire « moi aussi, j’aime cette teinte, je la porte et souhaite la révéler ». Pour vous, l’audace prend sûrement une autre dimension, mais apprenons à lui donner la main, à avancer avec elle dans notre sac à dos, à en faire une compagne de jeu. Ainsi des milliers de nouvelles routes se dessineraient chaque jour. C’est ce que je nous souhaite.

Texte Camille Sfez Photo Fuu J/Unsplash

Camille Sfez a renoué avec son “féminin” en 2005, lors d’un stage de développement personnel en Angleterre, avant de créer, en 2011, la Tente Rouge de Paris, groupe d’échange, de transmission et de soutien pour les femmes. En tant que psychologue clinicienne et formatrice, elle les accompagne aujourd’hui pour favoriser l’émergence d’une nouvelle conscience de soi en tant que femmes. Elle est l’auteure de La Puissance du féminin (Leduc, 2018), et de Vulnérable (Leduc, 2021).

Camille animera une formation en ligne sur la vulnérabilité très prochainement avec Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles.