Greniers bondés, garages qui débordent, placards encombrés… Nos maisons sont pleines, pleines d’objets qui s’accumulent, qui s’amassent et qui, sans que nous en soyons forcément conscients, alourdissent nos vies. Et qui nous donnent sournoisement envie d’avoir encore plus, alors que nous possédons déjà trop. Et si on faisait le tri, pour avancer dans la vie le corps et l’esprit plus légers ?

Il y a trois ans de cela, j’ai vendu ma maison normande dans laquelle je vivais depuis 16 ans. Depuis déjà des années, je la vidais, en douceur, par volonté d’ascétisme autant que par besoin d’alléger le poids de cette coquille que je trainais en permanence derrière moi tel un bon gros escargot. J’ai profité de ce déménagement pour accélérer le processus. Au final, je me suis séparé d’environ 80 % de ce que je possédais. D’abord pour des raisons purement pratiques (j’avais décidé d’habiter dorénavant dans un endroit moins spacieux), mais surtout pour me sentir plus léger, matériellement comme spirituellement.

Et ça a plutôt bien marché.

En m’engageant sur cette voie, je me suis inscrit sans le savoir à l’époque dans un courant philosophique en vogue : le minimalisme. Le principe est simple : vivre avec le moins d’objets possible.

La démarche demande un véritable engagement, forcément, pour les enfants gâtés de la société de consommation que nous sommes. D’abord parce que face à chaque objet, le dilemme est plus ou moins douloureux : je garde, ou je m’en sépare ? La décision est simple lorsqu’il est réellement utile au quotidien. Une brosse à dents, ma veste en cuir de tous les jours, ma casserole, mon livre de chevet, ma table à manger, et bien sûr mon inséparable téléphone portable. J’en ai besoin, je garde. L’écrémage se complique quand l’objet en question touche au confort. Dans ce cas, il faut trancher, se montrer courageux au prorata de sa motivation à changer de comportement, d’habitude, à aller vers moins de possession. La situation devient critique lorsqu’il s’agit de renoncer à des effets personnels, des souvenirs, des bibelots ou des œuvres d’art chargé d’histoire, d’affect. Là, un peu de rigueur s’impose pour avancer. Pourquoi conserver au fond d’un placard une écharpe offerte par une ex que je ne vois plus depuis vingt ans, et que je ne mets jamais ? Pourquoi garder un livre dédicacé qui traine dans ma bibliothèque depuis des années que je n’aime pas, que je ne relirai jamais, ou pire, que je n’ai jamais lu ? Pourquoi conserver un petit moulin en plâtre de Mykonos, souvenir de vacances que j’ai toujours trouvé laid, et dont je n’ai pas besoin pour me souvenir de ce formidable séjour ? Allez, un peu de courage, débarrassons nous de tout ça. Et du reste.

Débarrassons-nous-en, mais intelligemment. En ce qui me concerne, l’objectif était que le moins d’objets finissent à la déchèterie. On a une âme d’écolo, ou on ne l’a pas. Mais quand on l’a, on n’a pas le choix. Comment ? En vendant, tout d’abord. Quelques billets qui rentrent, ça ne fait jamais de mal. En offrant, ensuite. Ce qui ne m’est pas utile peut l’être à quelqu’un de mon entourage, ou de mon quartier. En donnant, enfin. À des associations qui en feront bon usage, ou par le biais de groupes de donation sur les réseaux sociaux.

Vider ma maison m’a pris cinq années, incluant les six derniers mois plus intenses. Dans cette quête d’allègement, le temps est un allié. En opérant de manière régulière, petit à petit, en m’autorisant à remettre des décisions dans l’instant trop difficiles, je me suis allégé en douceur sans même m’en rendre compte. Et j’ai constaté quelques mois plus tard que je ne me souvenais même plus de l’existence de ces objets dont j’avais eu tant de mal à me séparer.

Au fur et mesure que j’avançais dans cette voie, je me sentais réellement plus léger. Comme si, jour après jour, le sac que je portais sur mon dos devenait moins lourd à déplacer. Et, à ma surprise, les objets qui avaient survécu à ce grand délestage commencèrent à prendre davantage d’importance, une fois sortis de la masse des choses inutiles. Cette (r)évolution m’a fait progresser dans ma quête d’une vie moins consumériste, l’amassage de biens appelant l’acquisition de biens. Par ricochet, j’ai diminué ma consommation d’énergie, de matière première, de frais divers de manufacture, de transport et d’emballage. Et ça aussi, ça fait du bien. Nous le savons tous, consciemment ou inconsciemment : la promesse d’une croissance infinie dans un espace fini est une hérésie. Autant l’admettre, changer ses habitudes, s’alléger l’esprit, se préparer au monde de demain et avancer dans la vie avec la légèreté d’un elfe en laissant des traces moins profondes sur la Terre.

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com
Il vient de publier Presque libre aux éditions La Trace.

Photographie : © Xan Griffin / Unsplash