Le sommeil est un phénomène miraculeux.
L’art d’être malheureux
Quel est le sens de l’existence ? Pourquoi voulons-nous toujours être heureux ? Le psychiatre belge Dirk De Wachter s’intéresse depuis longtemps à ces questions. Nous avons traduit ses réponses en sept sagesses accessibles.
Extrait de Happinez 54 – accueillir
Texte José Rozenbroe
L’art de vivre, c’est l’art d’être malheureux
“Poussière de Lune” est le titre du septième épisode de la troisième saison de la série Netflix The Crown. Nous sommes en juillet 1969 et l’homme pose pour la première fois le pied sur la Lune : un événement magique retransmis devant plus de 500 millions de téléspectateurs du monde entier. Le prince Philip, époux de la reine d’Angleterre Élisabeth II, est totalement obsédé par l’épopée de ces trois courageux astronautes. Il est à un stade de sa vie dominée par la frustration, l’insatisfaction et l’impuissance. Âgé de 48 ans, qu’a-t-il réalisé ? Ces trois astronautes sont reçus au palais royal et, lors d’un entretien privé, le prince leur demande ce qu’ils ont ressenti exactement durant leur merveilleux voyage spatial. Que pensent-ils ? Le destin de l’homme est-il dans l’espace ? Les voyageurs lunaires Armstrong, Collins et Aldrin, qui, à sa grande déception, ne sont pas des demi-dieux, mais de simples mortels enrhumés, ne savent trop comment réagir face à cet homme visiblement en pleine crise de la quarantaine. Ils lui répondent en toute franchise qu’ils étaient tellement occupés à suivre toutes les procédures à bord et à cocher toutes les check-lists pendant le vol qu’ils n’ont pas vraiment eu de temps pour les intuitions spirituelles et les réflexions philosophiques. Après cette conversation embarrassante, les astronautes quittent la pièce et laissent le prince seul avec son désespoir. Quelques instants plus tard, on retrouve le trio spatial, impressionné par la splendeur du palais, qui court dans les couloirs et dévale les escaliers en sautant comme des enfants.
Pour Philip, cette rencontre est une déception, mais aussi une révélation et un moment de lucidité. Il prend tout à coup conscience que le bonheur et le sens de la vie ne résident pas dans les plus grands actes de bravoure ni dans une vie d’aventures. Pas plus que dans un voyage lunaire, mais alors dans quoi ? Si, comme le prince, vous ne croyez plus en un dieu, comment donner une direction à votre vie ?
Grandiose et exaltant
Quel est le sens de la vie ? Pourquoi avons-nous fait du bonheur une quête presque obsessionnelle ? Pourquoi tout doit-il être toujours grandiose et exaltant ? Ce sont précisément ces questions que le psychiatre et auteur belge Dirk De Wachter se pose. Et ses réponses sont en réalité très simples : ne visez pas le bonheur de manière compulsive, acceptez les difficultés de la vie, cherchez le sens de la vie dans le rapport avec l’autre. C’est un message qu’il prêche partout où il passe, aux journalistes, à la radio et à la télévision, dans des conférences, lors de festivals et dans les petites salles du pays. Un message qui, visiblement, touche une corde sensible chez ses auditeurs et ses lecteurs. En mars de l’année dernière paraissait son nouvel ouvrage, L’art d’être malheureux, aux éditions La Martinière. C’est un livre assez court, mais chaque page contient une sagesse que l’on aimerait pouvoir retenir ou écrire sur un Post-it à coller dans son agenda, à accrocher au-dessus de son lit ou à plaquer sur le frigo.
Assez bien
Dans ce livre au titre volontairement provocateur, Dirk De Wachter s’interroge sur la nature du bonheur et tente de comprendre pourquoi celui-ci est devenu notre but ultime. Il rappelle ainsi que le sentiment de bonheur est causé par une substance sécrétée dans le cerveau, l’endorphine, dont l’effet ne dure que peu de temps, même lorsque l’on reçoit la plus merveilleuse nouvelle du monde.
Le bonheur est donc, par définition, de courte durée, et certaines personnes sont plus enclines que d’autres à sécréter cette hormone.
Dirk De Wachter conclut également : « Le bonheur dépend en grande partie de nos attentes. Lorsque l’on n’obtient pas ce à quoi on s’attend, on est déçu. Et on a du mal à digérer les contrecoups, cela nous rend malheureux. Ce que nous voulons, c’est être heureux. Et un peu de bonheur ne suffit pas. » Ce que Dirk De Wachter veut nous dire, c’est que, à notre époque, tout le monde aspire au succès ultime, au plus grand bonheur et aux sensations les plus folles. Peut-être rêvez-vous d’un voyage aux îles Caïman ou de gravir l’Everest ou, comme le prince Philip, de vous envoler vers la Lune. N’oubliez pas qu’un jour, vous rentrerez à la maison et devrez gérer le quotidien. Acceptez l’idée, conseille-t-il donc, qu’une vie ordinaire est satisfaisante. Et qu’une telle vie ordinaire connaîtra inévitablement des périodes malheureuses et des moments de tristesse. Il est essentiel d’accepter cela et d’apprendre à “vivre avec”. « L’art de vivre, c’est l’art d’être malheureux. »
Retrouvez l’intégralité de l’article dans Happinez 54 – accueillir
Photo Hanuj Mathew // Unsplash