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De la guérison inexpliquée au miracle

Catégorie(s) : Art de vivre, Happi.Body, Santé, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Rituels, Développement personnel, Bien-être

Ancien directeur du bureau des constatations médicales de Lourdes et président de l’Association médicale internationale de ce haut lieu de pèlerinage, le Dr. Patrick Theillier livrera, à l’occasion du colloque “Santé, Méditation et Conscience” (www.sante-meditation-conscience.com), organisé le 28 septembre 2019 par les éditions Guy Trédaniel et l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP), une expertise scientifique exceptionnelle sur le sujet controversé des miracles. Il revient aujourd’hui sur le cas de Bernadette Moriau, 70ème miraculée reconnue par l’Église, qui l’accompagnera sur la scène du Grand Rex, et tente de réduire la frontière qui sépare encore le monde de la science de celui de la spiritualité.

Happinez : Qu’est-il arrivé à Sœur Bernadette Moriau, en juillet 2008 ?

Patrick Theillier : Sœur Bernadette Moriau, qui souffrait énormément depuis 40 ans, a guéri subitement, 2 jours après s’être rendue à Lourdes. Sa lombosciatique, qui s’était déclarée à l’âge de 28 ans, s’était aggravée, petit à petit, malgré les traitements médicaux puis chirurgicaux. Elle s’était retrouvée paralysée, victime de troubles sphinctériens, forcée de prendre de la morphine depuis 14 ans, de porter une attelle aux jambes et un corset afin de pouvoir se tenir assise sans trop de douleurs. Elle était donc invalide à 100%, à titre définitif. Venue à Lourdes pour prier pour les autres, elle a vécu très intensément la procession eucharistique où l’on bénit les malades, mais il ne s’est rien passé de particulier sur le moment. C’est deux jours plus tard, dans la chapelle de sa congrégation, qu’elle a entendu une voix intérieure lui dire « Lâche tout, abandonne tes attelles et ton corset. » Arrêtant aussi complètement et brutalement la morphine, sans symptômes particuliers, elle a pu faire dès le lendemain 5 kilomètres de marche à pied dans la forêt. Sœur Bernadette a mis cette guérison sur le compte de son pèlerinage et de l’intercession de Notre-Dame-de-Lourdes et en a parlé à son médecin avant de me téléphoner, quelques mois plus tard, pour me raconter son histoire. Face à cette étonnante guérison, il m’a semblé important d’aller plus loin en vue de l’authentifier. Cela s’est fait progressivement, en passant par divers stades, jusqu’à ce que le comité médical international de Lourdes, dont je fais partie aujourd’hui et qui comprend des chefs de cliniques des hôpitaux du monde entier, admette que cette guérison n’avait pas d’explications scientifiques dans l’état actuel de nos connaissances. Puis le dossier a été envoyé au diocèse de l’Oise et c’est l’évêque qui a décidé de faire une reconnaissance canonique définitive du miracle.

Happinez : Selon quels critères l’Église a-t-elle validé ce miracle ?

Patrick Theillier : Selon quatre critères très précis qui existent depuis le XVIIIème siècle où le cardinal Prospère Lambertini, futur Benoît XIV, les a définis. Premièrement, il est impératif que la personne souffre d’une maladie grave, physique, connue et répertoriée par la médecine. Ensuite, aucun traitement pouvant expliquer la guérison ne doit bien entendu être utilisé. Troisième critère : il faut que la guérison soit soudaine, subite, instantanée et sans convalescence. Enfin, celle-ci est obligatoirement complète et durable. Il ne s’agit pas d’une simple rémission.

Mais l’Église prend aussi en compte les fruits spirituels qui découlent d’un tel événement. Car une guérison miraculeuse est plus qu’une guérison. Des guérisons inexpliquées, il en existe en médecine, des cas particuliers le montrent bien. On pronostique par exemple six mois de vie à une personne pour un cancer du pancréas et cette dernière vit plus longtemps sans que l’on sache pourquoi. On est encore loin de tout connaître du fonctionnement de l’être humain. Mais la différence des miraculés, c’est que leur guérison les touche profondément. Il y a un avant et un après. Ils ont la conscience aiguë qu’il s’est passé quelque chose de surnaturel et vivent le passage de Dieu dans leur vie. Parce que le miracle, par définition, c’est ça : un événement extraordinaire qui touche la personne dans tout son être – physique, psychique et spirituel.

Happinez : Comment parvenez-vous, en tant que médecin catholique, à réunir sans contradictions la science et la religion ?

Patrick Theillier : J’y arrive sans problème parce que je pense que la science sans la religion a ses limites, elle ne peut pas tout expliquer, les plus grands scientifiques eux-mêmes le reconnaissent. Mais la foi, sans la raison, risquerait aussi, à l’inverse, de tomber dans l’illuminisme. S’il faut distinguer la science, qui s’occupe avant tout du comment, de la religion, qui s’emploie à répondre au pourquoi et à donner du sens aux événements, la foi et la raison ne sont pas du tout à opposer. Elles ont besoin l’une de l’autre. J’ai été très marqué par une encyclique de Jean-Paul II intitulée Fides et ratio où il disait : « La foi et la raison sont les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever jusqu’à la contemplation de la vérité ». Et le miracle est une vérité. C’est plus qu’un fait ordinaire qui doit être étudié par les médecins, puis, secondairement, par le spirituel.

Happinez : Un critère différencierait-il les personnes vivant un miracle, des autres ?

Patrick Theillier : Durant ce qu’on appelle une régression spontanée, la personne n’a aucune conscience de ce qui se passe et le médecin lui-même n’y comprend rien. Le phénomène les dépasse. Tandis que lors d’une guérison miraculeuse, le sujet sait avec exactitude ce qui lui est arrivé, qu’à un moment précis de son existence, il a vécu quelque chose de très fort, une révélation. Cela peut très bien arriver à des personnes qui ne sont pas catholiques. Certaines m’ont confié avoir découvert un véritable « Dieu d’amour » qui prenait soin d’elles.

Happinez : La guérison miraculeuse provient-elle, selon vous, d’une force extérieure à la personne ou d’une force qu’elle possède déjà en elle ?

Patrick Theillier : Pour moi, la personne humaine, dans une anthropologie que je dirais réaliste, est à la fois corps et psychisme mais possède aussi une âme intérieure, ouverte au spirituel. La partie la plus profonde de notre âme, que l’on pourrait nommer « esprit », peut avoir une action très forte sur celle-ci ainsi que sur notre corps. Prenons l’exemple des mystiques : j’en connais quand même quelques-uns de près qui vivent des phénomènes inexplicables par la médecine, comme la lévitation. À Pau même, où j’habite, beaucoup de témoins ont vu sœur Mariam, au XIXème siècle, s’élever au sommet de tilleuls de 35 mètres de hauts. Bernadette Soubirous, à Lourdes, a quant à elle posé sa main sur une flamme sans qu’elle ne brûle, durant son extase. Cette force vient à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Par nous-même, nous sommes incapables d’utiliser aussi facilement cet esprit qui est nous. Cela nécessite l’expérience ou l’approfondissement spirituel très intense des mystiques qui peuvent être les sujets de phénomènes provenant de l’esprit mais qu’ils ne cherchent pas à produire. Le cas des guérisons miraculeuses a pour origine, je crois, une décision suprême. Les miraculés n’ont pas pensé, cinq minutes avant, qu’ils allaient guérir. Ça leur tombe dessus. Je pense à Jean-Pierre Bély, que j’ai bien connu, qui était grabataire depuis 16 ans, invalide à 100% et qui tout d’un coup s’est mis debout. Il disait souvent « pourquoi moi ? ».  Et ils le disent tous. En tant que médecin, j’essaie de comprendre, d’expliquer ce qui a bien pu se passer, mais je dois bien constater qu’un phénomène d’origine surnaturelle est à l’œuvre. En tant que chrétien, je pense que la puissance de Dieu peut agir sur l’âme spirituelle de quelqu’un et aller jusqu’à la guérison complète du corps.

 

Propos recueillis par Aubry François

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